Avec les incertitudes qui planent sur la scène internationale, le gouvernement semble jouer la carte des revenus touristiques. L’objectif de 1,4 million de visiteurs pour l’exercice 2022-23 paraît secondaire pour l’État. Il faudrait cependant définir une stratégie comprenant des mesures adéquates pour booster les recettes touristiques en termes réels.
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Le chiffre de 1,4 million de touristes pour l’exercice 2022-23, annoncé dans le dernier Budget, était le sujet de la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’Opposition le 18 avril. Le pays a, durant l’année calendaire 2022, accueilli plus de 997 000 touristes et environ 305 000 visiteurs lors du premier trimestre 2023.
Le ministre du Tourisme, Steven Obeegadoo, a reconnu que l’objectif de 1,4 million de visiteurs était, est et restera ambitieux. « Un objectif n’est pas un exercice comptable. C’est une définition d’un but commun pour mobiliser les ressources, la volonté, l’énergie de toute la population et du secteur touristique pour se tourner vers l’avenir avec des perspectives », a-t-il expliqué.
Les trois premiers mois de 2023 ont vu un taux de récupération de 87 % par rapport à la période correspondante pré-COVID-19 s’agissant du nombre d’arrivées. Toutefois, Steven Obeegadoo a ressorti les chiffres des revenus touristiques, qui selon lui, ont davantage d’importance. Avec des recettes touristiques de USD 1,5 Md en 2022, les revenus sont inférieurs de 17 % par rapport à la période pré-COVID-19. À titre de comparaison, a avancé le ministre Obeegadoo, le taux de récupération concernant les arrivées touristiques en 2022 est de 28 % en moins par rapport à 2019.
Or, Xavier-Luc Duval, ancien ministre du Tourisme, est d’avis que l’inflation sur le dollar influe sur les recettes. Il a également souligné que le taux de récupération des Seychelles pour le premier trimestre de cette année est de 132 % par rapport à 2019. « Comment se fait-il que Maurice soit aujourd’hui devancé par les Seychelles et les Maldives dans l’océan Indien ? » a demandé le leader de l’Opposition.
L’impact de la pandémie
Le ministre du Tourisme avait débuté sa réponse à la PNQ en s’attardant sur l’influence néfaste de la COVID-19 sur le tourisme au niveau mondial et à Maurice. Selon Steven Obeegadoo, le choix du gouvernement s’est porté sur la sauvegarde de la vie des Mauriciens. « Maurice a subi deux confinements suivant l’avènement de la pandémie. Les frontières sont restées fermées pendant plus longtemps à Maurice contrairement aux Seychelles et aux Maldives », a argué le ministre. Toujours selon lui, le marché sud-africain, qui a connu un taux de récupération de 86 % entre janvier à mars dernier par rapport à 2019, a été impacté par le cyclone Freddy qui a provoqué des annulations de dernière minute pour la destination mauricienne, notamment durant la période de la Saint-Valentin.
Par ailleurs, le secteur touristique est également exposé à divers défis liés à la demande, dont la connectivité et la croisière tourisme selon Steven Obeegadoo. « Qui pourra dire ce qu’il adviendra de la guerre en Ukraine ? Quel sera l’impact de l’inflation globale sur nos marchés touristiques ? Y-a-aura-t-il le ‘revenge’ tourisme à l’avenir ? Ce sont des incertitudes qui nous guettent », a affirmé le ministre.
En chiffres
Nombre d’arrivées touristiques (année calendaire)
2018 : environ 1,4 million
2019 : environ 1,3 million
2020 : 309 000
2021 : 180 000
2022 : 997 000 environ
Le gouvernement a accordé Rs 12,3 Md au secteur touristique sous le Government Wage Assistance Scheme.
L’apport de la Mauritius Investment Corporation (MIC) au tourisme est de Rs 15 Md.
Jocelyn Kwok, CEO de l’Ahrim : « La tendance à la hausse de la recette unitaire touristique va se maintenir »
La nette augmentation des recettes touristiques ne peut qu’être bénéfique pour le pays, affirme Jocelyn Kwok, CEO de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim). « Et il est tout à fait judicieux de chercher à faire durer cette tendance. C’est une approche logique, qui correspond à notre souhait à long terme pour l’industrie », dit-il. Pour lui, l’explication immédiate de la hausse de la recette unitaire touristique est simple. « Avec la hausse généralisée du coût de la vie et des prix, dont celui du billet d’avion, les voyageurs que nous accueillons appartiennent à la catégorie des plus aisés. Ils sont davantage des clients d’hôtel. Avec l’effet « revenge travel » du moment, ils séjournent plus longtemps et dépensent plus, notamment pour des activités d’excursions et de loisirs », explique notre interlocuteur. Et d’ajouter que l’hébergement pèse nettement plus lourd (plus de 60 % en moyenne) dans les dépenses totales de chaque touriste. « La tendance à la hausse de la recette unitaire touristique va probablement se maintenir pendant encore un certain temps, selon les indicateurs. C’est tant mieux. Mais il ne faut pas oublier les spécificités de notre destination », prévient-il.
Le CEO de l’Ahrim souligne que Maurice n’a pas la même configuration d’hébergement touristique que les Maldives, par exemple. Aux Maldives, dit-il, 95 % des touristes séjournent dans des hôtels cinq-étoiles. « À Maurice, un quart seulement des touristes vont dans les cinq-étoiles. Les recettes touristiques des Maldives n’ont donc rien à voir avec celles de notre pays. Notre cheminement est très différent en matière de tourisme. »
À moyen et long terme, Jocelyn Kwok estime qu’il « faut faire en sorte que le touriste reste plus longtemps et dépense plus, quel que soit son lieu de séjour. Pour cela, il nous fait améliorer tout le produit Maurice, il nous faut construire de la valeur et faire évoluer la destination dans ce sens. Nous avons énormément à offrir, en matière de culture, de shopping, d’éco-tourisme et d’expérience personnelle. Il faut pouvoir pousser ces offres vers le haut, en ligne avec la demande. »
Des mesures proposées pour inciter les touristes à dépenser plus
Sen Ramsamy, Managing Director de Tourism Business Intelligence : «À travers l’innovation, le secteur pourrait facilement générer plus de Rs 100 milliards par année»
Sen Ramsamy, Managing Director de Tourism Business Intelligence, se réjouit de la nouvelle stratégie du gouvernement. « On ne doit pas mesurer le succès du tourisme qu’en nombre d’arrivées, mais bien plus en termes de devises », indique-t-il. Le choix d’avoir moins de visiteurs qui dépensent beaucoup dans notre petite île, dit-il, aura moins d’impact négatif sur l’environnement et la société en général. Selon lui, plusieurs sondages, dans le passé, avaient révélé que bon nombre de touristes rentrent dans leurs pays avec leur disposable income non dépensé. « L’innovation dans le tourisme à Maurice est rare, sinon très timide. Tout le monde préfère copier sur la concurrence avec pour résultat une multiplication d’offres touristiques qui se ressemblent. Il n’y a pas vraiment de product differentiation pour diversifier l’offre et ainsi rendre la destination plus séduisante et inciter les touristes à dépenser plus », déplore-t-il.
D’autre part, il y a de nombreux arnaqueurs à travers l’île et même dans les hôtels. « Pour que les touristes dépensent plus, il faut de l’innovation, des offres de qualité et un service impeccable », insiste-t-il. Selon lui, à travers l’innovation, des programmes de formation rigoureuse et une sensibilisation de la population, ce secteur pourrait facilement générer plus de Rs 100 milliards par année.
« Il faut aussi placer à la tête des organismes, comme c’est le cas fait ailleurs, des professionnels qui ont à cœur ce secteur. Il faut des jeunes avec des idées nouvelles qui façonneront un meilleur destin pour notre tourisme », propose-t-il.
Pour y parvenir, il propose un partage équitable des bénéfices du tourisme avec l’ensemble de la population. « En peu de temps, Maurice a perdu sa place de leader du tourisme régional et se trouve loin derrière d’autres destinations. Il faut rattraper le temps perdu et donner de l’espoir aux prochaines générations », indique-t-il.
Jean-Michel Pitot, CEO du groupe Attitude : «Repenser le produit global île Maurice»
Au-delà des hôtels, il faut, selon Jean-Michel Pitot, repenser le produit global île Maurice. « Les excursions peuvent, par exemple, être repensées de façon à être plus attirantes. Il faut que la complémentarité du produit soit plus attractive et intéressante », dit le CEO du groupe Attitude. Il souhaite une meilleure structuration des patrimoines historiques comme l’île-aux-Cerfs et l’îlot Gabriel. Il estime que des visites organisées et pédagogiques seraient un atout pour le secteur touristique et le pays.
« En interne, nous n’avons pas de stratégie précise pour qu’un touriste reste plus longtemps dans nos hôtels ou dépense plus. Je pense qu’il faudrait des discounts tarifaires au niveau national pour cela. Ce qui dépend également de l’appétit du touriste », explique-t-il.
Asraf Ghoorun, CEO de Tamtam Tours : «Une concentration accrue sur le marché asiatique apportera plus de recettes»
Le directeur de Tamtam Tours, agence réceptive, Asraf Ghoorun, est d’avis que c’est une bonne chose d’inciter les touristes à rester plus longtemps dans le pays. Mais il faut en même temps assurer que ces touristes sortent de l’hôtel et dépensent chez d’autres opérateurs. « S’ils ne sortent pas, ce sont les hôteliers uniquement qui vont en bénéficier », explique-t-il.
Selon lui, les Européens passent beaucoup de temps à l’hôtel et sur la plage pour se détendre. « Par contre, les touristes asiatiques, notamment les Indiens, les Chinois et les Malaisiens sont des visiteurs qui dépensent beaucoup dans les sorties et les activités hors de l’hôtel », soutient-il.
Du coup, il est d’avis qu’il faut se concentrer davantage sur le marché asiatique pour augmenter les recettes touristiques. « Nous sommes déjà dans la bonne direction avec la compagnie Vistara qui dessert désormais la destination. Maintenant, il faut travailler pour accroître notre visibilité sur ces marchés. »
Kunal Awotar, président de l’Association of Tourist Shop Owners : «Il faut revoir le système de Duty Free proposé aux touristes»
Une façon de faire que les touristes dépensent à Maurice est à travers les boutiques de marque. Cependant, Kunal Awotar déplore que les touristes se sentent arnaqués lorsqu’ils font leurs réclamations à l’aéroport. « Dans les campagnes de promotion, on vend la destination comme une Duty Free Island. Mais peu d’informations sont communiquées sur la notion de Duty Free. Par exemple, le touriste pense qu’il sera remboursé jusqu’à 15 % sur la TVA. Or, en réalité le taux de remboursement est de 9 % seulement », dit-il.
De plus, le remboursement se fait à un comptoir de la douane à l’aéroport. « Les touristes sont appelés à faire la queue et à attendre pour être remboursés. Ce processus est décourageant. » Il est d’avis qu’il faut revoir le système de Duty Free et faciliter le processus. « C’est ainsi qu’on pourra encourager les touristes à dépenser plus », avance-t-il.
Impact sur l’économie
Takesh Luckho, économiste : «Une hausse des recettes touristiques soulagera la politique monétaire du pays»
Takesh Luckho avance que beaucoup d’observateurs avaient déjà exprimé leur scepticisme sur le nombre de touristes ciblés par les autorités. « Avec une récession mondiale et des taux de croissance à la baisse dans nos marchés principaux, il ne sera pas facile d’accueillir 1,4 million de touristes », dit-il. Le rapport du Fonds monétaire international l’a fait observer. Cependant, il estime que si le touriste reste plus longtemps et dépense plus, les recettes en devises étrangères vont augmenter. Ce qui boostera la croissance et soulagera la politique monétaire du pays. Selon lui, le pays doit être vendu comme une destination de rêve pour des concerts/spectacles internationaux comme c’est le cas à Ibiza et à Phuket.
« Ce type de business model contemporain attire une nouvelle classe de tourisme, notamment de jeunes cadres et des professionnels qui dépensent beaucoup », fait-il observer. Pour lui, il est aussi nécessaire de revoir le concept de l’All-Inclusive Package (AIP) pour les touristes à court séjour. « Le plan AIP concentre le touriste dans l’enceinte de l’hôtel. Et les petits commerces, dont les taxis, entre autres, ne bénéficient pas en termes de business. Ainsi on perd l’effet boule de neige sur l’économie », fait-il ressortir.
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