Il y a plus de 25 ans, Sunita Albert, née Rambaran, avait fait le pari de réussir sa vie à Rodrigues. Aujourd’hui, à 48 ans, elle tient le restaurant Manze Lakaz à Port-Mathurin, où se conjuguent avec bonheur les plats végétariens et autres menus à base de poulet et de poisson. La Mauricienne a su se créer un créneau qui brasse large à Rodrigues.
Au moment où certains Rodriguais étaient convaincus que l’herbe était plus verte à Maurice, Sunita, âgée de 21, et confrontée au chômage à Maurice, choisissait de faire la route inverse. « Certes, j’ai eu un poste dans la fonction publique, mais à l’époque aucune jeune Mauricienne ne souhaitait travailler à Rodrigues », raconte-t-elle aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne, Sunita avait l’âme aventurière chevillée et le défi rodriguais ne l’intimidait guère.
Embauchée au ministère de Rodrigues, elle sera une fonctionnaire consciencieuse, si bien qu’elle obtient un stage de formation en Librarian à l’Université de Maurice. Toutefois après de bons et loyaux services pour son ministère, elle décide de mettre fin prématurément à sa carrière pour se mettre à son compte dans le business. Une incursion dans le milieu de l’alimentation se solde par un revers en raison des conditions économiques et sociales qui prévalaient à Rodrigues. « C’était vers les années 2008, dans le sillage de la crise économique mondiale, qui a vu l’exode des Rodriguais vers Maurice. Là, j’ai perdu un d’argent », confie-t-elle. Mais, les idées se bousculent dans la tête de la Mauricienne qui, entre-temps, a épousé un Rodriguais et donné naissance à un garçon. « Je n’étais pas du genre à baisser les bras. Je me suis souvenue des plats que l'on faisait à la maison à Beau-Bassin, où habite ma famille et c’est comme cela que l’idée du restaurant a pris naissance », se souvient-elle.
Menus végétariens
Sans étude de marché, elle ne se jette pas, pour autant, dans le vide. En montant son restaurant, en 2011, elle a en tête la difficulté qu’éprouvent de nombreuses familles mauriciennes pour trouver des menus végétariens durant leurs séjours à Rodrigues. « Il y avait là une lacune à combler, il suffisait de trouver les légumes appropriés et préparer des plats de qualité », explique-t-elle. Mais ces menus destinés à une clientèle spécifique et, de surcroît de passage, ne sauront suffire pour assurer la rentabilité de son restaurant. Aussi, Sunita s’emploie-t-elle à dénicher les légumes du terroir local afin de varier son offre. « J’ai commencé à incorporer les jaques, les fruits à pain, le sourane dans mes préparations. D’une part, je comblais les Mauriciens qui se délectaient de ces produits naturels devenus rares à Maurice et, d’autre part, je valorisais le travail des Rodriguais en achetant les produits de leur terroir ».
Sunita Albert se prépare aux fêtes de fin d'année, en mettant l'accent sur l'acceuil des Mauriciens.
Six ans après l’ouverture de Manze Lakaz, Sunita peut enfin rebondir sur ses jambes : le restaurant est devenu une adresse de premier choix pour une clientèle friande de menus végétariens, mais offre aussi des références plus larges avec des caris de poulet ou d’agneau, le briani et des faratas. Ce qui lui donne aussi sa particularité dans un marché encore peu compétitif, car la population locale est encore nombreuse à s’attacher aux repas faits- maisons. « Il n’y a pas encore de 'night life' à Rodrigues, tous les jours, la vie s’arrête après 17 heures, ce qui correspond aux horaires de travail dans l’île. Il ne faut pas chercher à comparer Rodrigues avec Maurice, où le développement continue à connaître un essor considérable », fait-elle ressortir. S’il y avait besoin d’évaluer sa popularité à ce jour, il suffit d’indiquer l’émission de cuisine qu’elle présente chaque semaine sur la Senn Kreol, diffusée dans le bouquet de CanalSat.
Rareté de l’eau
Comme l’ensemble de la population et presque tous les secteurs d’activités de Rodrigues, Sunita n’échappe pas à la rareté de l’eau, d’où son recours à deux approvisionnements mensuels facturés à Rs 2 000. « Si l'on arrive à régler ce problème, Rodrigues connaîtrait un développement spectaculaire, d’autant que les terres ne manquent pas et les Rodriguais ont appris à rationaliser l’eau et le travail de la terre », dit-elle.
Pour le moment, la Mauricienne se prépare aux fêtes de fin d’année, en mettant l’accent sur l’accueil des Mauriciens, nombreux à visiter l’île durant les périodes scolaires. « Un de mes autres soucis, c’est l’approvisionnement en légumes. Il me faut importer, dont le pâtisson et le brocoli. À chacun de mes voyages à Maurice, je profite pour faire le plein des sauces et des fines herbes, mais aussi et au besoin pour renouveler les ustensiles et les plats », fait-elle ressortir. Elle vient aussi de conclure un accord avec la sucrerie Médine pour un approvisionnement régulier, afin de parer à toute pénurie. Mais, pour sécuriser davantage son stock, elle compte s’appuyer sur la population locale, afin de l’inciter à la culture à grande échelle, dont celle des patates douces, l’arouille et la sourane. « Je pense que ces trois produits du terroir rodriguais peuvent apporter des 'plus-value' à la communauté des planteurs de l’île si la demande augmente et si la culture est réalisée dans le respect des normes de pratiques culturales. Ces cultures peuvent aider à promouvoir la gastronomie rodriguaise », fait-elle valoir.
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