
Dans un entretien accordé au Défi Media Group, le Dr Farhad Aumeer, parlementaire et médecin, affirme avoir été menacé pour ses prises de position contre les réseaux de drogue. Sans filtre, il appelle à frapper fort, à casser la chaîne du trafic et à en finir avec l’impunité.
L’activiste Raouf Khodabaccus a récemment organisé une marche contre le trafic de drogue à Vallée-Pitot. En tant qu’élu de la circonscription n˚2, que pensez-vous de cette initiative citoyenne visant à sensibiliser les autorités sur la présence de trafiquants, que les habitants connaissent, mais que la police semble ignorer ?
Toute initiative citoyenne ou venant de la société civile visant à organiser une marche contre la drogue, afin de faire prendre conscience de l’ampleur dramatique que prend ce fléau, est toujours la bienvenue.
Publicité
Mais est-ce que ces marches suffisent pour combattre la véritable source du problème, c’est-à-dire les marchands de la mort présents dans des lieux bien connus de notre circonscription ?
Il existe certes une crainte de représailles, mais il y a aussi des personnes courageuses et engagées qui n’ont pas hésité par le passé à manifester devant les résidences des trafiquants.
Avez-vous pris contact avec Raouf Khodabaccus ou envisagez-vous de collaborer avec lui et d’autres citoyens mobilisés contre ce fléau ?
J’ai déjà eu des interactions avec ce citoyen et activiste. Mais pas pour cette action précise, il n’y a pas eu de communication. Évidemment, pour toute action susceptible de faire avancer la lutte contre le fléau de la drogue, je serai toujours présent pour apporter mon soutien.
Vous avez été l’un des premiers à dénoncer au Parlement le mécanisme d’attribution du Reward Money dans la lutte contre la drogue. Quelle est votre réaction face aux récentes arrestations et à la découverte alléguée de sommes importantes sur les comptes de certains hauts gradés de la police ?
Je ne suis nullement surpris par ces arrestations. J’ai toujours souligné que j’étais le premier à avoir abordé ce sujet au Parlement via une Parliamentary Question (PQ) en décembre 2022. Le Premier ministre de l’époque avait annoncé qu’un comité allait être mis en place pour mener une enquête, revoir les stratégies, le mécanisme existant et la manière d’allouer le Reward Money.
Si j’ai posé cette question, c’est parce que je disposais d’informations assez précises démontrant que tout ne tournait pas rond. Il y avait des soupçons de malversations, de favoritisme et de népotisme. Aujourd’hui, mes appréhensions se confirment. Et je pense qu’on est loin de voir la fin de ce que j’appelle la Reward Money Bonanza.
Il est triste de constater que certains ont abusé de la confiance et des largesses du système. Il faut maintenant déterminer comment ces sommes se sont retrouvées sur les comptes bancaires de certains policiers : s’agit-il de prête-noms ? Est-ce que ces fonds étaient en attente de versement ? Ou bien est-ce l’argent de faux informateurs qui se sont fait passer pour des dénonciateurs ?
De nombreux habitants dénoncent l’inaction ou la lenteur de la police face aux signalements de trafic de drogue, ainsi qu’un manque de patrouilles dans certains quartiers. Des mesures concrètes seront-elles prises pour renforcer la présence policière et restaurer la confiance ?
Oui, les reproches envers la police sont fréquents, notamment le manque de patrouilles, de surveillance et de facteurs dissuasifs. Tout le monde sait où se vend la drogue, sauf la police. Cela dit, sans vouloir être biaisé, depuis que ce gouvernement est au pouvoir, je constate des résultats sur le terrain. Néanmoins, le travail doit être plus agressif envers les trafiquants.
La National Agency for Drug Control dispose de suffisamment de moyens pour enrayer ce fléau. Je reste convaincu que des unités comme la Special Supporting Unit (SSU) ou la Special Mobile Force (SMF), en mode stand-by, doivent être déployées dans les zones sensibles. Il faut une politique claire qui permette d’agir rapidement afin de débarrasser les rues de ces « jockeys » qui sont des maillons de la chaîne de distribution.
Les gros trafiquants ne sont pas dans la rue, ils ont leurs hommes qui vendent pour eux. Si on coupe la chaîne, si on les bloque et qu’on leur montre que la police est prête à intervenir, on pourra faire tomber cette organisation.
Il est triste de voir aujourd’hui, dans des quartiers, des jeunes dans un état de « zombie », certains debout sur une moto, un pied en l’air, tenant une barrière. Pourquoi la police n’intervient-elle pas ? Il faut les interpeller, remonter jusqu’aux trafiquants, et ainsi réduire le nombre de « zombies » dans nos rues.
Vous venez d’être décoré du titre de G.O.S.K. pour votre contribution au pays. Comment comptez-vous mettre à profit cette reconnaissance dans votre engagement contre le trafic de drogue ?
Cette distinction vient couronner une carrière bien remplie de plus de 30 ans et reconnaître mon engagement depuis mon retour de Londres, notamment dans le domaine médical, en particulier en gynécologie et obstétrique. J’ai également été très actif sur le plan social.
Ayant toujours été sensible à la lutte contre la drogue, je compte faire de cette reconnaissance un levier supplémentaire dans mon engagement contre les trafiquants. Avec cette décoration, je considère qu’il est de mon devoir d’être actif sur tous les fronts, à Maurice comme ailleurs, pour mener ce combat.
La décision de repousser progressivement l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans a été mal accueillie…
Cette décision de repousser l’âge d’éligibilité est un mal necessaire, prise par le gouvernement. Elle tient compte de l’état dégradé de l’économie, comme une sorte d’ICU, causé par la dilapidation des fonds de l’État dans divers ministères ayant fourni un mauvais service.
Sans cette mesure, Maurice aurait chuté dans les classements internationaux et n’aurait pas attiré d’investissements. Le lendemain même de la présentation du Budget national, les parlementaires, moi y compris, ont eu une réunion avec des responsables du gouvernement où j’ai évoqué le cas des personnes effectuant des travaux pénibles tels que les maçons, chauffeurs de bus, femmes de ménage – et suggéré qu’un filet de sécurité plus empathique et compréhensif soit mis en place.
Cette proposition a été bien accueillie par les responsables gouvernementaux, et deux comités ont été mis en place par la suite.
Plusieurs nominations dans les ambassades ou les corps parapublics sont perçues comme des récompenses politiques. Pourquoi ce système perdure-t-il, malgré les critiques récurrentes ?
C’est une question pertinente. Beaucoup s’expriment dans ce sens. Je ne fais pas partie des instances de decision concernant les corps parapublics, mais il y a un équilibre à trouver entre l’expérience et l’arrivée de sang neuf. Je ne peux dire qui mérite ou non, mais certains nouveaux apportent des idées nouvelles, tandis que d’anciens éléments manifestent des réticences.
Quant aux soi-disant récompenses politiques, ce n’est pas aujourd’hui que ce système va changer complètement. Souvent, on retrouve des personnes ayant soutenu le gouvernement, même dans des moments difficiles. Ces personnes ont souvent un bagage et une contribution dans la vie sociale et politique qui justifient leur présence dans les ambassades.
Alors que d’autres, qui ont profité des avantages ou comme on dit « manz banann dan de bout », et qui sont en retrait, ont essayé de se faire remarquer pour avoir une nomination.
Le gouvernement traverse une crise de popularité sur plusieurs fronts. Comment expliquez-vous cette perte de confiance au sein de la population ?
Je ne suis pas d’accord qu’il y ait une perte de confiance. Il y a plutôt un malaise dans la population, car ses attentes envers le gouvernement n’ont pas été satisfaites assez rapidement.
Prenons le cas des white-collar crimes : Reward Money, MIC, affaires bancaires… la population souhaite voir des arrestations. Mais nous sommes dans un État de droit, et il ne s’agit pas de revenir aux méthodes d’autrefois, où l’on procédait à des arrestations musclées à domicile, comme cela a été le cas pour Navin Ramgoolam en février 2015. Il y a une manière de faire les choses.
Je peux assurer qu’il y a beaucoup d’enquêtes en cours. Il faut simplement faire preuve de patience pour voir la vérité éclater.
On parle souvent de « réseaux puissants » derrière le trafic de drogue. Avez-vous, en tant qu’élu, déjà été confronté à des tentatives d’intimidation ou de pression sur ce sujet ?
À Maurice, l’intimidation existe bel et bien. Depuis 2019, j’ai fait de la lutte contre ce fléau une priorité. J’ai attaqué publiquement certains avocats, soi-disant irréprochables, qui fréquentent la prison centrale pour en tirer des bénéfices. Ils savent très bien les avantages qu’ils en tirent.
J’ai reçu des menaces pendant la campagne électorale, venant de candidats que j’ai nommés publiquement, ayant un lien avec le trafic de drogue. Des trafiquants m’ont aussi mis la pression en proférant des menaces à mon encontre par des personnes interposées. Elles m’ont conseillé de faire attention. Mais je dis que cela ne me fait pas peur. Je ne reculerai pas.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !