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Suicides en prison : autopsie d’une peine silencieuse

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Le suicide en prison semble être un phénomène récurrent à Maurice. Des gardiens témoignent des limites de la prévention de ces drames, malgré une surveillance accrue. D’autant que les détenus utilisent souvent des méthodes ingénieuses pour mettre fin à leurs jours. Les raisons de ces actes désespérés sont multiples : isolement, désespoir, absence de soutien psychologique...

«Un échec personnel et institutionnel ». C’est ainsi que les gardiens de prison affectés au « General Duties » ainsi qu’à la Correctional and Emergency Response Team (CERT) de la prison centrale de Beau-Bassin décrivent le suicide d’un détenu. Le dernier cas en date remonte à dimanche dernier, lorsque John Mick Martingale a été retrouvé pendu dans sa cellule à la prison centrale. 

Selon nos recoupements d’informations, « il s’est pendu à un barreau de l’imposte de sa cellule, utilisant le tissu du matelas pour former une corde de fortune ». C’est un gardien de prison affecté aux « General Duties » qui a fait la macabre découverte lors d’une ronde matinale de routine. Le détenu, apprend-on, se trouvait dans une cellule individuelle. Son décès fait actuellement l’objet d’une enquête interne par l’administration pénitentiaire. Entre-temps, sa famille, rejetant la thèse du suicide, a entamé des procédures légales.

Y a-t-il des statistiques sur le nombre de cas de tentatives de suicide, voire de suicides, en milieu carcéral ? C’est l’omerta. Du moins, nos sollicitations au Mauritius Prison Service (MPS) sont demeurées vaines. Nos sources font comprendre qu’à ce jour, il n’existerait pas de statistiques compilées.

Toujours est-il que selon des gardiens, ces cas existent bel et bien. Il y a quelque temps à la New Wing de la prison de Beau-Bassin, un jeune détenu a mis fin à ses jours peu après les heures de visites, raconte un gardien sous couvert d’anonymat. Ce jour-là, il avait appris que son père s’était présenté à la prison pour déposer des effets personnels pour lui. Lorsque le détenu avait émis le souhait de le voir, les gardiens l’ont informé que son père n’avait pas voulu le rencontrer et était reparti après avoir déposé ses affaires.

Environ une heure après avoir reçu le colis, le détenu a été retrouvé pendu dans sa cellule. « Defwa bann sirkonstans fer bann deteni resanti enn reze de la par zot bann pros. Zot moral vinn down net », disent nos sources proches de la prison.

Un autre gardien de prison comptant de longues années d’expérience confie, lui, avoir récemment sauvé un détenu qui tentait de se pendre. « Monn trouv li fini met dra-la dan likou, pe apandan », relate-t-il. Il a immédiatement donné l’alerte et les secours sont arrivés. « Les médecins de la prison ont été dépêchés et le détenu a été transféré à l’hôpital », dit-il.

Cependant, le gardien n’a rien pu faire dans un précédent cas, alors qu’il était en service. « Kan nou rant dan selil, tro tar, li ti fini aret bouze. » Selon le protocole pénitentiaire, les gardiens ne peuvent pas manipuler le corps avant que le décès ne soit certifié par un médecin et que la police ait inspecté les lieux, précise-t-il.

Les méthodes utilisées

La question se pose : comment les détenus s’y prennent-ils pour commettre l’irréparable. Selon le gardien, ils rivaliseraient d’idées communément dites « prison made ». « Nou anpes zot pran lakord, lase soulie, me zot servi dra ou zot linz. Nou pa kapav anpes zot pran zot drap, sinon zot pou fer konplint », explique-t-il.

Ainsi, draps, élastiques de boxers, lacets de chaussures... ces objets à première vue anodins sont souvent utilisés pour des pendaisons. « Ena dimounn pou riye, me isi nou trouv dimounn pandi ar lavabo, ar pwanie laport selil », confient des gardiens. L’un d’eux rapporte avoir trouvé un détenu pendu à l’aide du couplet d’une porte. Les supports de lavabos, sur lesquels les détenus placent des cordes, sont aussi utilisés.

C’est notamment la méthode qu’a utilisée le constable Arvind Hureechurn. C’est en posture assise, attaché à un lavabo, que ce policier âgé de 29 ans, incarcéré au Moka Detention Centre, a commis l’irréparable. Il avait été arrêté en octobre 2016 pour l’importation de deux kilos d’héroïne en provenance de Madagascar. Ce suicide avait été qualifié d’intriguant à l’époque, car très rare.

Détection

N’y a-t-il pas de moyens pour prévenir ces cas ? Les prisonniers présentant des tendances suicidaires sont surveillés de près, fait-on ressortir. « La majorité de ceux qui ont des tendances suicidaires, nous les admettons à l’hôpital psychiatrique Brown Séquard où ils peuvent bénéficier d’un suivi psychologique », indique-t-on.

De plus, à leur arrivée, les détenus sont informés des structures de soutien moral et psychologique en prison, comme les sessions de « counseling » avec des psychologues. Ils sont également encouragés à développer une vie spirituelle pour éviter tout dérapage. « Nou ankouraz zot vinn spiritiel koumsa zot res kalm e pa fer move kitsoz », confient des gradés de prison. 

Au niveau du MPS, on affirme solliciter l’aide des ONG pour soutenir les détenus. Dès que les gardiens de prison remarquent des comportements « douteux », ils en informent l’administration et des procédures sont mises en place pour fournir un accompagnement psychologique. Malgré cela, certains franchissent le pas. « Kan le mal trape, pena okenn indis avan ki zot al fer sa », confie un gradé. 

Un gardien affecté aux « General Duties » indique, de son côté, que « nous avons des formations, mais parfois, c’est difficile de percevoir les signes précurseurs, surtout quand un détenu ne montre aucun comportement alarmant ». Dans certains cas, des détenus masquent habilement leurs intentions. « Li difisil pou kone kan enn deteni pou fer sa. Mazinn ou, kan lapolis aret zot, zot pa rakont ‘full confession’ dan lanket. Isi ou krwar zot pou koze ? » ajoute un autre gardien. 

Dans le cas de John Mick Martingale, le personnel pénitentiaire ne cache pas son incompréhension. En apparence, indique-t-on, rien ne laissait présager un tel geste. « Ce détenu, qui travaillait au bureau du Welfare, bénéficiait de deux visites mensuelles et recevait de l’argent de poche. Son comportement était jugé exemplaire », confie-t-on.

D’ajouter que « cela a été une surprise pour tout le monde ». « Il ne montrait aucun signe de détresse. S’il travaillait au bureau du Welfare, c’est qu’il était jugé digne de confiance. Il a même été suivi plusieurs fois par un psychologue », fait-on savoir. La veille de son décès, poursuit-on, John Mick Martingale avait assisté à la messe de la prison. « Son comportement était normal et rien ne présageait qu’il allait commettre l’irréparable. »

Le choc est total parmi le personnel : « Beaucoup de membres du staff sont profondément attristés par cet événement, d’autant qu’il n’y a eu aucun signe avant-coureur. C’est troublant qu’une personne, même dans une situation aussi difficile, en arrive à de telles extrémités. » 

Difficile surveillance

Bien que des rondes régulières soient effectuées, il est souvent impossible de prévenir tous les incidents. D’autant que la surveillance de nuit des prisonniers n’est guère aisée pour les gardiens, laisse-t-on entendre. Lors des « round checks », ces surveillants se retrouvent souvent seuls à effectuer des patrouilles dans des blocs où sont enfermés plus de 300 détenus. Munis de leur torche, ils doivent faire le tour des cellules pour s’assurer que tous les détenus sont présents et que l’ordre règne. 

L’on fait observer que les prisonniers connaissent les rouages du fonctionnement du milieu carcéral. « Zot konn bann ler ki gard prizon pase par-ker. Seki anvi swiside pou atann gard prizon ale pou li fer sa », explique un surveillant comptant plusieurs années d’expérience dans les geôles mauriciennes.

Dans certaines cellules, il n’y a qu’un seul prisonnier, tandis que d’autres peuvent en accueillir jusqu’à quatre. « Li pli fasil pou deteni ki tousel komet swisid. Pou bann ki fek rant dan prizon, zot osi rod fer tantativ swisid, parski li pa fasil pou tini prizon », ajoute un autre surveillant.

D’autres détenus ne donnent-ils pas l’alerte ?« Misie ti ena lamizik for sa ler-la » ou encore « misie ti ena tapaz partou partou ». Ce sont les versions souvent entendues lors des enquêtes après des suicides. Les deux voisins de cellule ainsi que les gardiens de service sont interrogés. Toutefois, la loi du silence prévaut souvent en prison. « Mem si zot konn kitsoz, bien rar enn deteni pou rakonte », confient des enquêteurs.

Toujours est-il que le suicide d’un prisonnier laisse souvent des séquelles bien au-delà des murs de la prison. « Chaque suicide en détention remet en question nos capacités à assurer la sécurité et la santé mentale des détenus », avoue le gardien affecté aux « General Duties ». « Boukou prizonie kan swiside dir ti enn nwizans. Pa ti ena konsiderasion pou gard. Me ena kondane kan mor fer sagrin. Le détenu Martingale, par exemple, était une personne aimante. C’est pour cela, que nous sommes tous attristés », ajoute-t-il. Dans ces situations, poursuit notre informateur, le sentiment de culpabilité peut peser lourd sur les épaules du personnel.

Évaluation des risques dans les centres pénitentiaires 

Le décès de John Mick Martingale relance le débat sur l’évaluation des risques en prison et les protocoles de prévention du suicide. Josian Babet, le responsable de communication du milieu carcéral, fait comprendre qu’une enquête interne, a été ouverte afin de déterminer s’il y a eu des manquements dans l’évaluation des risques (« risk assessment »). « Nous allons ensuite apporter les changements nécessaires », dit-il. 

Qu’en est-il des gardiens, ont-ils besoin de plus de soutien psychologique pour affronter cette situation ? Hanson Mungrah, de la Prisons Officers Association (POA), a été sollicité à maintes reprises pour une déclaration. Mais il est resté injoignable au téléphone. Le commissaire des prisons, Jagadisen Rungadoo, a également été sollicité. En vain. 

Beau-Bassin, Melrose et GRNO

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De janvier à juin, trois tentatives de suicide ont été enregistrées à la prison de Beau-Bassin.

Les suicides en détention ne surviennent pas dans toutes les prisons. Certains établissements, comme ceux de Beau-Bassin, Melrose et Grande-Rivière Nord-Ouest (GRNO), sont tristement connus pour être le théâtre de ces drames. À la prison de Phoenix, une tentative de suicide a déjà été recensée. Cependant, des lieux comme la prison de Petit-Verger, qui accueille des détenus purgeant des peines plus courtes, ou encore la prison ouverte de Richelieu, sont moins concernés. 

En revanche, la prison centrale de Beau-Bassin, la plus ancienne du pays, détient un triste record : elle enregistre le plus grand nombre de suicides parmi les établissements pénitentiaires. D’ailleurs, de janvier au 24 juin dernier, trois tentatives de suicide y ont été recensées, dont un cas impliquant Sheik Mohammad Sharaad Usamah Kurmally, 23 ans, un membre du clan d’Issa Bacsoo. Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Ce phénomène s’explique en partie par les conditions particulières de détention. Les cellules individuelles (« single cells »), y sont omniprésentes. Ces cellules sont meublées d’un pot de chambre, d’un lit, d’un pupitre et d’un tabouret. Un espace restreint, quasi monacal, où le détenu se retrouve seul face à ses pensées. « Le soir, le prisonnier s’endort avec tous ses soucis. Personne ne sait ce qui lui passe par la tête. L’isolement, ajouté à l’anxiété liée à l’incarcération, crée un climat propice aux pensées suicidaires, amplifiées par l’absence d’interactions humaines régulières. Ce contexte rend la prison de Beau-Bassin particulièrement vulnérable aux drames silencieux qui s’y jouent », souligne-t-on.

Les recours des familles

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Me Alexandre Le Blanc.

Les familles de personnes décédées en détention sont souvent démunies face aux procédures judiciaires complexes qui les attendent. Elles ont principalement deux options : « Elles peuvent se tourner vers la police si elles espèrent voir les responsables punis, ou vers la Cour si elles souhaitent obtenir une compensation monétaire », explique Me Alexandre Le Blanc. Cependant, ces démarches, bien qu’essentielles, peuvent s’avérer insuffisantes, car obtenir justice dans ces cas est rarement facile.

L’une des premières étapes pour les familles consiste à déposer une plainte. Toutefois, précise l’avocat, on ne peut pas « exiger » une enquête indépendante. « On peut porter plainte et, dans l’ordre normal des choses, s’il y a lieu d’enquêter, une enquête aura lieu. » Les familles peuvent se tourner vers différents organes, notamment la Human Rights Commission (HRC) ou l’Independent Police Complaints Commission (IPCC), en fonction des circonstances spécifiques du décès.

Engager une procédure judiciaire contre les autorités ou les responsables du décès est un défi de taille. L’obstacle majeur, souligne l’avocat, réside dans le délai de prescription de deux ans, prévu par le Public Officers Protection Act (POPA) et les procédures strictes qui régissent ces affaires. C’est un aspect récurrent lorsque l’État est visé par une procédure devant la justice, dit Me Alexandre Le Blanc. 

C’est pourquoi les familles doivent agir rapidement pour surmonter ces obstacles, notamment en ce qui concerne la collecte des preuves. « Les preuves de négligence ou de mauvais traitement sont nécessaires, mais sans la coopération des autorités, elles sont presque impossibles à obtenir », déplore Me Alexandre Le Blanc. 

La famille, ajoute-t-il, peut obtenir une indemnisation financière pour le décès du proche en détention. Toutefois, cela est possible uniquement si elle gagne le procès après avoir surmonté ces obstacles.

Une politique pénale à revoir

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Lindley Couronne, militant des droits humains.

« Monn deza sey met pandi… » À Le Dimanche/L’Hebdo, un ancien détenu, condamné à cinq ans de prison, raconte, sous le couvert de l’anonymat, comment il avait tenté de se suicider. Ce Sudiste a eu la vie sauve grâce à l’intervention des surveillants de la prison de Beau-Bassin où il était incarcéré : « Bann-la ti vinn tir mwa. »

L’isolement, la violence, le désespoir, le rejet familial, l’absence de soutien… Les raisons pouvant pousser un détenu à attenter à sa vie sont nombreuses. Dans le milieu carcéral, nos sources évoquent que, dans bien des cas, des proches des détenus, épouses ou autres parents, délaissent les prisonniers. « Ena madam deles misie, ena paran deles zanfan, aret vinn vizit zot. » 

Ce manque d’attention et de soutien familial est l’un des facteurs qui peut pousser un détenu à commettre l’irréparable. « Deza dan prizon zot tousel, zot mank sa kote kontak imin-la, kan sa koupe net, psikolozikman pa bokou dimounn ki reziste », confient des gardiens ayant plusieurs années d’expérience dans diverses institutions pénitentiaires de l’île.

« Il y a aussi ceux qui, face à de longues peines, sont submergés par l’angoisse », explique un gardien de prison affecté au département de la CERT (Cellule d’encadrement et de réhabilitation des prisonniers). Il cite notamment le cas de Sachin Tetree, condamné à la prison à vie pour le meurtre de Ritesh Gobine. Peu après son jugement, il avait tenté de se suicider en s’ouvrant les veines.

« Il n’est facile pour personne de s’adapter à la prison. C’est très dur, et les peines imposées à Maurice sont souvent très longues », souligne l’avocat Alexandre Le Blanc. Cependant, s’il salue le bon travail des Welfare Officers, il estime que la véritable question réside dans les conditions de vie en détention qui aggravent la détresse psychologique. 

Il est d’avis que les conditions carcérales exacerbent les souffrances des détenus, en particulier ceux qui sont confrontés à des peines sans possibilité de rémission. Comment « un individu peut garder espoir lorsqu’il sait qu’il ne sortira peut-être jamais de la prison ? »

Pendant son incarcération, plusieurs aspects peuvent affecter le moral d’un détenu. « Il y a le mauvais traitement de la part des autres détenus, ou de la part des gardiens, la sensation d’avoir été injustement condamné, les problèmes de la vie, qui se poursuivent à l’extérieur de la prison, l’incertitude, des peines qui semblent interminables. En somme, le désespoir », souligne-t-il. 

Lindley Couronne, militant des droits humains et membre de DIS-MOI, jette un autre pavé dans la mare. « En règle générale, les suicides en prison sont rapidement classés comme tels, mais je ne suis pas sûr à 100 % que ce soit toujours le cas », affirme-t-il. Il soulève une question troublante : comment peut-on être certain qu’il s’agit bien de suicides lorsque les événements se déroulent en privé et que la possibilité de manipulation existe ? Ainsi, pour lui, « il est difficile de savoir avec certitude ce qui se passe derrière les murs des prisons, ce qui brouille les pistes et complique la recherche de la vérité ».

Il s’interroge également sur la politique carcérale. Entre répression et réhabilitation, il n’y a pas de véritable consensus sur les objectifs à long terme, constate-t-il. « On joue au yoyo avec les politiques carcérales, et cette instabilité nuit aux efforts de réhabilitation », regrette-t-il.

Dans le passé, la tendance a souvent été de privilégier la répression au détriment de la réhabilitation. Une approche qui, constate Lindley Couronne, s’est avérée être un échec. Car non seulement cela n’a pas réduit la criminalité, mais cela a également nui aux conditions de vie en prison.

Pour lui, la première responsabilité incombe aux décideurs politiques, qui semblent souvent ignorer les réalités du milieu carcéral. « Les prisonniers ne sont pas considérés comme un public prioritaire par les autorités, et cette indifférence contribue à maintenir un système qui ne change pas », regrette-t-il. 

Dans la foulée, il critique les nominations de personnes n’ayant pas les compétences requises à des postes clés dans le système carcéral, ce qui ne fait qu’aggraver les problèmes. « Aussi longtemps que ce système perdurera, il y aura des cas que nous ne pourrons jamais résoudre, et nous resterons dans le noir quant à la véritable nature de ce qui se passe en prison. »

Selon Lindley Couronne, des ONG comme DIS-MOI ont rencontré des difficultés pour accéder aux prisons, souvent traitées comme des « black sheep ». Malgré cette exclusion, des témoignages de détenus continuent de faire état de violences et d’abus au sein des établissements pénitentiaires. « On peut nous dire que ce sont des on-dit ou qu’il manque des preuves, mais les récits que nous recevons sont trop fréquents pour être ignorés. » 

La question de la protection des droits humains des détenus reste centrale, confirme Me Alexandre Le BLanc. Les mécanismes de surveillance sont censés inclure des visites régulières et des enquêtes sur les conditions de détention. Cependant, il relève un manque de transparence dans le fonctionnement du Board of Visitors. Ce Board, qui est l’organe chargé de ces contrôles, est composé de magistrats et d’autres professionnels du droit, et a de larges pouvoirs d’enquête et de surveillance. « On n’entend plus parler de ce Board, au point de se demander s’il est encore actif », s’inquiète-t-il.

Face à cette situation, Lindley Couronne appelle à une réforme radicale du système carcéral, insistant sur la nécessité d’une politique cohérente axée sur la réhabilitation plutôt que sur la répression. Il exhorte les décideurs à prendre leurs responsabilités et à ouvrir le dialogue avec les défenseurs des droits humains pour améliorer les conditions de vie des détenus et restaurer la crédibilité du système pénal.

Les enjeux de la santé mentale en détention

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Sonal Cheekhooree, anthropologue.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, « la détention ne se limite pas à l’enfermement physique ; elle affecte également profondément l’état mental des individus ». D’ailleurs, fait ressortir le psychologue Vijay Ramanjooloo, qui a une connaissance du milieu carcéral, « les études démontrent que les environnements clos, comme les prisons ou les périodes de confinement strict comme nous l’avons vécu pendant la COVID-19, peuvent entraîner des troubles mentaux sévères. Cette situation est souvent aggravée par le manque de détection et de traitement adéquat des troubles psychologiques ». 

Le sentiment d’isolement qu’entraîne la réclusion a un impact majeur sur les détenus, explique-t-il. « Contrairement à la société extérieure, les prisonniers sont coupés de leurs structures familiales et sociales. Cette coupure rend leur réintégration dans la société encore plus complexe, nécessitant une nouvelle socialisation et une adaptation à un environnement souvent très différent de celui qu’ils ont connu », observe-t-il. 

Certes, en comparaison aux 20 dernières années, les efforts pour améliorer le soutien psychologique en prison se sont intensifiés. Le psychologue cite des structures comme les services de soutien psychologique, les Welfare Officers, et la National Preventive Mecanism Division (NPMD) de la commission des droits de l’homme. 

« La NPMD, par exemple, veille à ce que les conditions de détention respectent les normes internationales, notamment celles définies par le Protocole optionnel à la Convention contre la torture (OPCAT). Le but est de s’assurer que les droits et le bien-être des détenus sont respectés, y compris leur bien-être physique et psychologique », explique-t-il. De plus, les initiatives récentes incluent la présence de psychologues à plein temps dans les prisons, ainsi que la formation continue des gardiens et du personnel. 

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Vijay Ramanjooloo, psychologue.

Cependant, malgré ces améliorations, des cas de suicide en prison continuent de se produire, soulignant les limites du système actuel. « Il est crucial de comprendre que les troubles mentaux ne se manifestent pas uniquement par des comportements visibles. Des conditions telles que la dépression majeure, les troubles anxieux, ou la schizophrénie nécessitent une surveillance continue et des interventions appropriées. »

Vijay Ramanjooloo plaide pour des programmes de screening mental lors de l’entrée en détention, en sus d’un suivi psychiatrique. « Un suivi psychiatrique régulier est souvent limité, avec une fréquence d’une fois par mois pour un nombre élevé de détenus, ce qui pose des défis pour un suivi individuel efficace », souligne-t-il. 

L’anthropologue Sonal Cheekhooree abonde dans le même sens. Elle insiste sur l’importance d’une approche ciblée, accompagnée d’un profilage détaillé des détenus afin d’identifier les tendances et les facteurs de risque communs pour mieux comprendre et prévenir ces tragédies. « Pour vraiment comprendre pourquoi certains détenus se suicident, nous devons examiner de près les caractéristiques socio-ethniques, l’âge, le niveau d’éducation, et les conditions de vie de ces individus », explique Sonal Cheekhooree. 

Cependant, elle met en garde contre une généralisation hâtive. « Chaque détenu est unique. Ce qui compte, c’est d’identifier des tendances générales qui pourraient aider à comprendre le problème », ajoute-t-elle. Cette approche pourrait permettre d’identifier des signes avant-coureurs et d’adapter les mesures de prévention.

L’accès aux soins mentaux est crucial. « Si un détenu a des problèmes psychologiques mais ne reçoit pas le traitement nécessaire, cela peut aggraver sa détresse », prévient-elle. Il est donc essentiel d’examiner les services de soutien psychologique disponibles et leur accessibilité pour les détenus.

Pour l’anthropologue, les prisons ne doivent pas seulement punir mais aussi réhabiliter. « Les détenus ont besoin de soutien et de réinsertion. » Cela signifie fournir un soutien adéquat, des services psychologiques et des programmes de réhabilitation pour aider les détenus à se réinsérer dans la société après leur libération.

Sonal Cheekhooree appelle à une réflexion sur le traitement des détenus. « Les prisons doivent s’assurer que les détenus reçoivent l’aide nécessaire et ne sont pas traités comme des animaux. » L’accent, selon elle, devrait être mis sur la réinsertion réussie des anciens détenus pour éviter les récidives.

Des risques psychologiques uniques

Doris Dardanne, la présidente de l’association Befrienders, attire l’attention sur les risques psychologiques uniques auxquels sont confrontées les personnes incarcérées. « En prison, les défis mentaux sont exacerbés par la perte de liberté et l’incertitude de la situation », explique-t-elle. 

Les principaux facteurs de risque incluent :

  • Perte de liberté : La privation de liberté crée un sentiment de désespoir et d’impuissance.
  • Attente du verdict : L’incertitude quant à l’avenir augmente le stress et la détresse.
  • Première incarcération : Les personnes incarcérées pour la première fois peuvent être particulièrement stressées et désemparées.
  • Environnement carcéral : Les conditions de détention peuvent intensifier les sentiments de désespoir et d’angoisse.

Doris Dardanne insiste sur l’importance de « reconnaître les signes avant-coureurs du désespoir qui peuvent mener à des comportements suicidaires ». Ceux-ci se manifestent souvent par des expressions de désespoir telles que « kontinie pa servi nanye » ou « mo fami pou plis dan bien si mo nepli la ». Elle parle aussi de signes non-verbaux comme des changements de comportement tels que l’isolement, la perte d’appétit, ou une apparente déconnexion avec l’environnement.

« Befrienders joue un rôle central en fournissant un soutien émotionnel aux détenus, mais cela ne remplace pas une aide professionnelle. L’association se rend régulièrement en prison pour offrir des visites aux personnes dans le besoin. En cas de tentative de suicide, Befrienders intervient pour apporter un soutien supplémentaire », précise-t-elle.

Doris Dardanne rappelle que le suicide en prison a des répercussions bien au-delà de l’individu concerné, affectant les familles, les gardiens et la communauté.

Nasif Joomratty, Irshaad Olitte, Fernando Thomas, Adila Mohit-Saroar, Kursley Thanay

 

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