Interview

Sonny Wong, General Manager-Commercial chez Innodis : «Environ 65 % des ventes se font dans les grandes surfaces»

Durant ces 10 dernières années, le marché de la distribution alimentaire a subi des mutations profondes avec l’apparition des grandes surfaces commerciales. Quels sont les impacts de celles-ci sur les habitudes des Mauriciens ? Sonny Wong, General Manager-Commercial chez Innodis, fait un constat de cette nouvelle configuration commerciale.

Comment décririez-vous l’état actuel de la distribution à Maurice ?
La situation actuelle dans la distribution des Fast Moving Consumer Goods (FMCG) est complexe. Nous assistons à une forte concurrence entre les grandes surfaces ainsi qu’entre les distributeurs. Cela pousse les supermarchés à demander continuellement des concessions commerciales de la part des distributeurs, afin qu’elles puissent proposer des prix toujours plus attrayants. Bien que ce soit à l’avantage des consommateurs, il faut néanmoins une concurrence saine, mais aussi et surtout un équilibre entre tous les opérateurs.

Que faut-il pour établir cet équilibre que vous souhaitez ?
Il est important d’avoir un cadre juridique complet qui englobe toute la chaîne de distribution afin d’apporter des paramètres d’action, tant au niveau des distributeurs qu'à celui des enseignes. Les différentes institutions, que ce soit au niveau du gouvernement ou encore l’association des consommateurs, veillent déjà à ce qu’il n’y ait aucun abus au niveau des pratiques commerciales. La mise sur pied de la Competition Commission of Mauritius a également eu un impact positif pour le pays, en ce qu’il s’agit de s’assurer du jeu de la concurrence.

Ce qui manque encore aujourd’hui, c’est un organisme qui veille, avec le cadre juridique approprié, à ce que la balance des pouvoirs entre les distributeurs et les grandes surfaces soit respectée, afin de décourager et éventuellement sanctionner toute pratique qui puisse apporter un avantage disproportionné à l’une des parties, que ce soit en termes de remises, de délais de paiement, etc.

À l’ouverture des grandes surfaces, on a témoigné d’une frénésie d’achat, mais il semble que celle-ci se soit estompée. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce que les promoteurs auraient mal préparé leur marketing ?
Pas forcément. Je pense que dix années de cela, l’engouement des investisseurs pour investir dans la grande distribution était justifiée. Les opportunités étaient bien réelles. Aujourd’hui, on peut dire qu’environ 65 % des ventes se font dans les grandes surfaces à Maurice, ce qui signifie que celles-ci ont pris de l’ampleur au détriment des petites boutiques, dont on constate des fermetures d’année en année.

Ce qui reste, tout de même regrettable, au vu de leurs places dans des petits quartiers, et leur proximité avec les consommateurs…
Les petites boutiques traditionnelles ont beaucoup aidé les familles mauriciennes et continuent à le faire. L’arrivée de la grande distribution a tout simplement modifié les habitudes et les comportements d’achat des consommateurs. Aujourd’hui, faire des achats dans les grandes surfaces constitue pour de nombreux Mauriciens une sortie familiale. Avec les loisirs et les food courts, qui font partie de ces espaces et attirent les consommateurs, c’est aussi un moyen pour les grandes surfaces de faire plus de chiffres d’affaires. Ceci-dit, aujourd’hui, la plupart des ménages mauriciens réfléchissent davantage avant de dépenser – il y a moins d’achats impulsifs.

Pour en revenir aux petites boutiques, je pense qu’elles ne vont pas toutes être amenées à disparaître. Les gens ont de moins en moins de temps, et la proximité devrait être un facteur important à l’avenir pour les consommateurs.

Est-ce que notre marché est devenu saturé ?
On n’en est pas loin. Mais, le fait que d’autres enseignes voient le jour signifie qu’elles ont compris comment s’adapter, en développant des stratégies de proximité. Ce sont des enseignes d’un nouveau modèle qu’on appelle des ‘local discounters’. Leur différence tient au fait qu’elles offrent une ‘shopping experience’ moins attrayante, mais leurs armes principales sont des prix qui sont souvent les plus bas du marché. Elles ont une cible spécifique, c’est-à-dire une clientèle de proximité, ce qui leur permet de grandir.

Mais en grandissant, peuvent-elles encore maintenir ces ‘prix bas’ ?
Oui, car elles peuvent se permettre de travailler sur des marges restreintes. Si elles veulent perdurer avec le même modèle, elles sont condamnées à maintenir des frais d’opérations minimaux ainsi que des marges restreintes. La ‘shopping experience’ restera aussi moins attrayante que celle offerte par d’autres enseignes.

Est-ce un modèle payant ?
Je note qu’elles progressent bien, qu’elles sont aujourd’hui profitables et continuent à s’agrandir. Dans le long terme, si la majorité des consommateurs commencent à rechercher également un certain confort durant leur shopping, la question est de savoir si ces « local discounters » pourront s’adapter, tout en proposant toujours une offre différenciée en jouant sur les prix.

À Beau-Bassin, dans un périmètre plutôt restreint, deux nouvelles grandes surfaces sont venues s’ajouter à deux autres déjà présentes. Y a-t-il un marché pour ces quatre enseignes ?
Je pense qu’elles se sont positionnées par rapport à la densité de la population. Mais cela risque d’être au détriment des boutiques du coin. Cependant, chez Innodis, nous sommes soucieux de la pérennité de ces petits commerces de proximité. Une bonne partie de nos ventes est réalisée avec les boutiques traditionnelles. Nous sommes parmi les entreprises de distribution qui pensent que nous devons continuer à servir et à offrir à ces boutiques des produits à des prix compétitifs, afin qu’elles continuent d’exister dans notre paysage commercial. Aussi exploitons-nous la formule de boutiques spécialisées, parmi lesquelles on retrouve nos enseignes Point Frais, qui sont actuellement au nombre de 35 à travers le pays. Notre objectif est d’arriver à 60 boutiques Point Frais d’ici fin 2018.

Est-ce que les produits locaux peuvent-ils rivaliser avec ceux provenant de l’extérieur dans les mêmes gammes ?
Il faut reconnaître qu’il existe un problème d’économie d’échelle lorsqu’il s’agit de la production locale, même s’il y a une forte concurrence entre différents distributeurs. Nos coûts de production sont souvent plus élevés  que les produits importés. En raison de l’absence d’économie d’échelle, la production locale se heurte souvent à un problème de prix face aux produits étrangers.

En revanche, des produits avec une 'Date limite d’utilisation optimale' (DLUO) faible  favorisent la production locale. Je pense par exemple à nos yaourts DairyVale produit localement. Le fret aérien pour l’importation de cette catégorie de produits rééquilibre la donne.

Par ailleurs, je pense qu’il y a aussi des opportunités pour produire localement des produits à destination d’une clientèle ciblée. Il faut que le produit concerné puisse proposer un bon rapport qualité-prix. À Innodis, nous investissons dans la production des produits locaux à valeur ajoutée. Par exemple, au niveau de la volaille, nous allons bientôt mettre sur le marché un éventail de produits innovants déjà cuits.

Afin de continuer à progresser, nous mettons beaucoup d’emphase sur l’innovation, et cela inclut non seulement le produit lui-même, mais aussi l’emballage. À titre d’exemple, Innodis a beaucoup investi dans des équipements modernes afin d’améliorer l’emballage de nos produits à base de poulet. Nous avons, par ailleurs, la même politique d’innovation dans notre laiterie à Phoenix.

Quels peuvent être les effets de l’appréciation de la roupie face au dollar sur vos coûts et les prix au détail ?
L’appréciation de la roupie face aux devises utilisées principalement pour l’importation, tels que le dollar, le rand sud-africain, ou encore l’euro, nous permet d’offrir à notre clientèle les meilleurs prix sur les rayons. Cependant, il faut souligner que cette fluctuation positive au niveau des devises est souvent offset par des augmentations de nos coûts de production ou de ceux de nos fournisseurs étrangers. Par exemple, il y a fréquemment des augmentations du prix mondial du lait, ou encore de soya ou du maïs, qui sont les ingrédients principaux de l’alimentation de nos poulets Prodigal.

 

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