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Société actuaire de Maurice : «Fode pa ki pension vine touzour enn zouti politik»

La Contribution sociale généralisée (CGS) continue de défrayer la chronique. C’est au tour de la Société des actuaires de Maurice de monter au créneau. Tous sont unanimes quant au fait que la décision d’apporter une telle réforme mérite consultation. Ils se sont exprimés lors d’une rencontre au Caudan Arts Centre le jeudi 25 juin 2020, en présence des représentants du secteur privé. Voici les observations de quelques actuaires. 

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Bernard Yen : « NPF : le mécanisme n’a pas été correctement exploité »

bernardLa Banque mondiale a décliné la pension en cinq piliers : le Basic Retirement Pension (BRP), le National Pensions Fund (NPF), le National Savings Fund (NSF), le Private Pension Scheme (PPS) et l’Informal Arrangement. À Maurice, les deux piliers qui seront affectés par la réforme de la pension sont le BRP et le NPF. 

Le système actuel, c’est-à-dire le NPF, a été mal compris pendant de longues années. Dès son introduction en 1978, il avait pour objectif de payer une pension d’un tiers du salaire. Aujourd’hui, Maurice opère selon un système mixte du NPF et du PPS. Les personnes ayant contribué pendant 40 ans au NPF et qui prennent leur retraite touchent une pension du NPF variant entre Rs 5 000 et Rs 6 000 par mois. 

Dans le secteur sucrier, vu que les employeurs contribuent davantage, les retraités touchent un montant qui peut s’élever à Rs 9 000 mensuellement, soit une pension avec une hausse de 15 %. « Cela aurait été négligeable si le BRP avait été de Rs 3 000 par mois. Mais, il se chiffre aujourd’hui à Rs 9 000, montant qui sera d’ailleurs sera revu à la hausse pour atteindre Rs 13 500. Nous avons peut-être franchi une limite naturelle au niveau du BRP. Comment financer ce montant additionnel de Rs 4 500 ? », s’interroge Bernard Yen. 

L’idéal, selon, serait de fixer le montant à 2/3 du salaire minimum. « C’est une insulte envers les personnes actives de vouloir aligner le BRP au salaire minimum. Malheureusement, le BRP a aujourd’hui dépassé le NPF. Or, cela s’éloigne de son objectif de base. » explique-t-il. 


Comment la CSG sera-t-elle financée ? 

C’est la contribution faite au NPF par le secteur privé qui sera utilisée. Ainsi, celui-ci se chargera indirectement de financer la hausse du BRP. La contribution des employeurs au NPF fait partie du Remuneration Package des salariés. Or, dans l’éventualité de vouloir réduire ce bénéfice, le coût de l’emploi augmentera. 

Richard Li explique que les employés seront mécontents et les employeurs devront les compenser différemment. Pour lui, il est clair que l’économie n’est pas statique mais dynamique. Les Self-Employed seront également concernés par la CSG et contribueront Rs 150 par mois. La contribution au NPF se faisait volontairement pour ces derniers et le montant de la pension touchée à l’âge de la retraite dépendait de leurs contributions. 

Avec la réforme, les employeurs du secteur privé touchant de gros salaires contribueront à hauteur de 3 %. « Nous misons sur un système avec une philosophie de taxer les gros salaires pour les pauvres. Ce système ne devrait-il pas tenir compte des Self-Employed qui touchent des gros salaires et tout faire pour qu’ils contribuent de manière juste ? » s’interroge Richard Li. 
Pour lui, un système bien fondé doit prendre en considération tous ces aspects, y compris le cas des expatriés. Ces derniers contribueront aussi à la CSG. Toutefois, en tant qu’étrangers, ils ne bénéficieront pas de leurs contributions par la suite. 


Le système actuel est-il déficitaire ?

Le ministre des Finances a avancé que le NPF n’est pas soutenable. Dans cette hypothèse, ce qui peut être compréhensible au vu des derniers chiffres publiés, cela ne serait pas surprenant. La longévité a en effet augmenté, contrairement au retour sur investissement qui, lui, diminue. 

Pour Bernard Yen, il ne faudrait pas tomber dans la facilité. « Le déficit peut être rectifié, car le NPF dispose d’un mécanisme d’auto-ajustement pour éviter les situations complexes», précise-t-il. Le contributif du NPF accumule des points qui sont associés aux coûts. Les points varient annuellement. Ces points sont convertis pour calculer la pension à l’âge de la retraite. 

Quant au ratio entre le point et le coût, il est resté inchangé pendant 40 ans. Bernard Yen avance que normalement, en cas de déficit, deux options se présentent : une réduction des bénéfices ou une hausse du montant de la contribution. 

« Il y a un mécanisme du NPF qui n’a pas encore été utilisé. La dernière tentative remonte à 2008, lorsque le gouvernement de l’époque avait décidé de repousser l’âge de la retraite à 65 ans sur 10 ans, soit jusqu’en 2018. Le coût de la pension a été maintenu », argue-t-il. Cela l’amène à la conclusion que le NPF peut être plus soutenable que la CSG.


Sattar Jackaria : « Rien d’autre qu’un changement de nom » 

Sattar Jackaria a, pour sa part, été catégorique : la CSG n’est pas une réforme de la pension, mais une réforme de la taxe. Il estime que les actions auraient dû être prises il y a des années déjà, alors que les indications sur une population vieillissante étaient claires. 

« Le BRP était insoutenable il y a déjà 20 ans. Des rapports du Fonds monétaire international et d’autres institutions avaient soulevé le problème. Rien n’a été fait. Il y a eu deux tentatives de réformer le BRP, notamment en 2008 en essayant d’introduire le Means Test », rappelle Sattar Jackaria. Il déplore le manque de volonté du gouvernement de l’époque. 

Ce qui l’inquiète également c’est le financement de la pension à hauteur de Rs 13 500, comme promis dans la présentation du Budget de l’année dernière. « Déjà en 2016, la hausse du BRP était insoutenable… Le gouvernement a tout simplement le luxe de pouvoir imprimer de l’argent, contrairement au secteur privé », estime-t-il. 

Il rappelle que la CSG a débuté à 1 % en France pour ensuite passer 17 %. Pour lui, cette réforme n’est rien d’autre qu’un simple changement de nom, « car la CSG est le BRP ». Cela devrait apporter quelques changements, notamment sur le fait que la CSG sera déduite du salaire et payée par le secteur privé. Le gouvernement espère obtenir Rs 3,6 milliards en un an à travers la CSG. « Ce n’est pas normal qu’après 20 ans, alors qu’une réforme est prévue, le gouvernement n’ait pas indiqué de montant dans le Budget », déplore-t-il. 


Richard Li : «Une question de justice et d’équité»

richardLa réforme de la pension a suscité pas mal d’interrogations. L’une d’elles se penche sur la question de justice et d’équité. Pour Richard Li, cela est subjectif. Le principe du BRP est de proposer un certain niveau de salaire à tous les pensionnaires pour s’assurer de dépasser la ligne de pauvreté. C’est financé par la taxation. Les types de salariés se catégorisent comme ceux qui opèrent dans le secteur public et les travailleurs du secteur privé. 

Richard Li constate qu’il y a une mauvaise interprétation de la réforme de la pension. S’il concède que la CGS permettra d’avoir une hausse de la pension de vieillesse, c’est-à-dire du BRP, il insiste néanmoins sur le fait que « la CSG ne remplace pas le NPF ».


La tendance inquiétante de la population vieillissante 

sattarLa longévité est un phénomène international. Cependant, Maurice enregistre également une baisse du taux de natalité. Ces deux aspects se traduisent par une population vieillissante. « C’est le problème de tout un chacun », souligne Sattar Jackaria. La tendance qui se dessine de 2000 à 2019 est inquiétante. 

En 1982, Maurice comptait 69 000 pensionnaires, chiffre qui est passé à 224 000 en 2019. Sattar Jackaria est d’avis que cette tendance devrait se poursuivre. En 2055, on devrait, selon lui, totaliser 350 000 pensionnaires, ce qui représente un tiers de la population locale. 

Qui contribuera pour ces pensionnaires ? Le Population Support Ratio est en baisse, passant de 6,6 personnes en 2000 à 3,6 personnes en 2019. « Cela inclut le nombre de personnes actives qui contribuent pour un pensionnaire. Le coût des personnes âgées a augmenté. Maurice est ainsi comparable à des pays comme les États-Unis, le Canada, la France ou encore le Royaume-Uni. Nous sommes les Européens de l’Afrique », argue-t-il.


Shafique Bhunnoo : «Nous attendons une rencontre avec le gouvernement» 

shaffiqueLa Société des actuaires s’attend à rencontrer le gouvernement au sujet de la réforme de la pension. L’objectif : discuter des implications de la CSG et des solutions qui pourraient être introduites à la place. « Nous avons adressé une demande de rencontre avec les autorités. Nous nous attendons à ce qu’il y ait des développements sur le sujet. Nous proposons notamment des amendements à la CSG, car il y a des aspects dans cette réforme qui ne sont pas équitables. Ce n’est pas normal, par exemple, que ce soit uniquement le secteur privé qui sera amené à contribuer à la CSG », soutient Shafique Bhunnoo, actuaire. 


Impact sur le recrutement 

La CSG influencera également le secteur des ressources humaines. Plusieurs facteurs seront pris en considération au moment de faire un choix à l’étape du recrutement. Parmi : les compétences académiques, l’âge du postulant pour avoir une projection de la longévité du salarié en entreprise, entre autres. « Des scénarios sont faits en tenant compte de la CSG », fait ressortir Kailash Bheenick. 

D’ailleurs, poursuit-il, une entreprise dépense beaucoup en matière de salaires. Aspect qui diminue la résilience d’une société face aux chocs économiques. « Nul ne peut prédire des crises économiques. À titre d’exemple, personne ne s’attendait à ce que les Mauriciens fassent le pied de grue devant les supermarchés cette année pour s’approvisionner en produits essentiels », soutient Kailash Bheenick.


Conséquence sur le ‘Private Scheme’ 

Cette réforme ne sera pas sans conséquence sur les Private Schemes. C’est ce qu’estime Kailash Bheenick. Pour lui, les employeurs ne voudront plus investir dans les Private Schemes. Cette hausse qui passe de 3 % à 6 % pour les employeurs, de même que l’introduction du Portable Retirement Gratuity Fund pèseront lourd. 

La CSG est littéralement une baisse de salaire ainsi qu’une taxe sans scellement. Le NPF et les Private Schemes sont de grands consommateurs des obligations gouvernementales. Le NPF représente Rs 165 milliards et la pension privée Rs 35 milliards, ce qui fait un total de Rs 200 milliards. 

Le Produit intérieur brut (PIB) local est de Rs 560 milliards. Ce sont 40 % du PIB qui seront concernés. La situation sur les marchés des obligations a empiré ces dernières années. La destruction du Private Pension Scheme risque d’avoir un impact à la retraite sur les grosses fortunes.


Kailash Bheenick : « La CSG financera également l’allocation chômage » 

kailashL’avenir s’assombrit pour Maurice. C’est en somme la crainte exprimée par Kailash Bheenick. La philosophie socialiste centrée sur la CSG n’est pas forcément la meilleure solution, selon lui. La dépense publique sera déficitaire d’environ Rs 2 milliards à Rs 3 milliards. 

C’est l’État qui devra prendre les devants au cas où le secteur privé ne parvienne pas à financer la CSG. Le financement de celle-ci signifie plus de dépenses pour le secteur privé et le déficit augmentera d’année en année. Dans 20 ans, le coût de la CSG devrait doubler. 

Se basant sur différents scénarios, Kailash Bheenick est d’avis qu’il se peut que le gouvernement augmente la contribution de la CSG, comme il l’a fait pour le BRP. « À titre d’exemple, le coût de la CSG en France a commencé à 1 % pour se s’élever aujourd’hui à environ 26 %. C’est exclusivement dépensé dans la pension. Il semble que c’est la CSG qui sera utilisée pour financer l’allocation chômage. Il ne faut pas que nous devenions comme le Zimbabwe », prévient Kailash Bheenick. 

Une hausse de Rs 4 500 de la pension équivaut à une augmentation de 50 %. Pour lui, ce serait impensable de réitérer cette situation à chaque élection, car l’impact serait implacable sur l’économie. « Ceux qui contribuent pour les pensionnaires ne reçoivent rien en retour. Ce sont nos enfants qui contribueront par la suite pour les pensionnaires. Est-ce un système qui est juste ? » se demande Kailash Bheenick.


Ils ont dit 

  • « C’est une insulte envers les personnes actives de vouloir aligner la pension au salaire minimum. » Bernard Yen, actuaire. 
  • « Le coût de l’emploi augmentera. » Richard Li, actuaire. 
  • « Cette réforme aura un impact non seulement sur la génération actuelle mais aussi sur les futures. » Sattar Jackaria, actuaire. 
  • « L’État devra prendre les devants si le secteur privé n’arrive pas à financer la CSG. » Kailash Bheenick, actuaire.

Fabrice Larétif             

 

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