
Pour Sheila Bappoo, ancienne ministre de la Sécurité sociale, le tandem Ramgoolam-Bérenger représente une chance réelle pour l’avenir du pays. Elle se dit confiante que le gouvernement du Changement fera carton plein en raflant les 120 sièges aux prochaines élections municipales.
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Sheila Bappoo, vous revoilà sur le devant de la scène, portée par l’écrasante victoire de l’Alliance du Changement. Ce retour, vous l’attendiez ?
Certainement. Je suis restée active sur le terrain ces cinq dernières années (2019-2024) au sein du Parti travailliste (PTr). Face à l’incompétence et à la mauvaise gestion du gouvernement Mouvement socialiste militant (MSM) et de son alliance Lepep, le pays a été mis à genoux, enchaînant les scandales : corruption, favoritisme, népotisme au profit des proches du pouvoir, recrutements, promotions… tout semblait organisé au détriment de candidats souvent mieux qualifiés.
On l’a vu notamment dans les rangs de la police, où des recrues, proches du clan Soleil, ont été engagées sans passer par la case formation à l’école de police. Affectés directement selon les préférences de la « kwizinn » du MSM, ce n’est que cette année qu’ils ont enfin été envoyés en formation. Même logique dans le monde des affaires : Avinash Gopee, les hôtels Apavou, ou encore Maradiva, propriété de la fameuse « Lady Macbeth » et de la famille Ramdanee, tous cités parmi les bénéficiaires d’un système verrouillé.
Puis est arrivée l’affaire des « Moustass Leaks », avec, en coulisses, une Lady Macbeth plus influente que jamais. Le sommet de l’iceberg ? Pravind Jugnauth décide de couper l’accès à Internet, provoquant la révolte immédiate des jeunes.
Finalement, l’écrasante victoire de l’Alliance du Changement a été le cri du peuple. Une victoire attendue, portée par une mobilisation sans précédent : hommes, femmes, jeunes, aînés, toutes classes et communautés confondues. Les électeurs sont allés voter la plume à la main, bien décidés à sanctionner le MSM. Résultat : 60-0. Une claque historique.
Après des décennies de militantisme, ressentez-vous toujours la flamme pour défendre les causes sociales ou politiques ?
J’ai toujours cette flamme en moi. Formée dans les années 70 avec l’idéal d’une société progressiste et juste, moi, Sheila Bappoo, je reste fidèle à ces convictions et principes. Mon combat se poursuit, après 52 années de politique active.
J’ai apporté ma contribution au Mouvement militant mauricien (MMM), puis au MSM, avant de conclure mon parcours politique au sein du PTr. J’ai quitté, non sans regret, le MMM et le MSM en raison de profonds désaccords idéologiques et politiques.
Il revient à notre gouvernement actuel de prouver sa capacité de performance et de bonne gouvernance»
Des rumeurs vous placent « en haut de la liste ». Êtes-vous en train de chercher votre prochaine « bout » ?
Rumeurs… c’est regrettable ! Je ne fonctionne pas à coups de rumeurs. « Rod bout » n’a jamais été mon style. Je suis même allergique au mot « bout ». Les offres ont toujours émané des leaders, jamais l’inverse. Si j’ai gravi les échelons de la politique, c’est grâce à mes compétences, ma capacité de travail et ma fidélité.
Ombudsperson for Children ? Ce poste vous irait bien, compte tenu de votre passé de ministre de la Femme et du Bien-être de l’enfant, ainsi que de votre engagement social…
Ce n’est pas sur mon agenda…
Vous avez connu les grandes heures du MMM, du MSM, du PTr, les alliances stratégiques, les ruptures… Comment jugez-vous la solidité et les défis de l’Alliance du Changement dans le contexte actuel, ainsi que le tandem Ramgoolam-Bérenger qui a surpris par sa cohésion ?
Ah oui, les grandes manœuvres politiques n’ont jamais cessé au fil des mandats. Les alliances stratégiques se succèdent, les ruptures aussi. À l’approche des élections générales, certains partis mangent à deux – voire trois – râteliers. Les leaders, eux, sont constamment en quête de nouveaux partenaires pour maintenir le pouvoir.
Mais la politique évolue, et les dirigeants finissent par tirer des leçons. On se souvient de sir Seewoosagur Ramgoolam, de sir Abdool Razack Mohamed, des frères Bissoondoyal ou encore de sir Gaëtan Duval.
Aujourd’hui, à la tête de l’Alliance du Changement, on retrouve le tandem Navin Ramgoolam – Paul Bérenger. Premier ministre et Premier ministre adjoint, deux hommes d’expérience, au passé politique dense, face à un adversaire de poids : le MSM. Je suis convaincue qu’ils feront tout pour honorer leur accord, unir leurs forces et avancer avec les nouveaux partenaires de l’Alliance du Changement – des maillons solides à mes yeux.
Le nouveau gouvernement hérite de défis colossaux : une économie à terre, une roupie dévalorisée, un tissu social fragilisé. Le travail sera rude. Le programme gouvernemental sur cinq ans devra relancer l’économie, restaurer la valeur de notre monnaie et redynamiser le social sur tous les fronts.
J’ai pleine confiance en ce tandem Ramgoolam-Bérenger. Leur volonté de respecter leur engagement est claire. Maurice a tout à gagner, sur le plan national et international. Mais le chantier de reconstruction est immense. Il faudra assainir, reconstruire, et surtout miser sur les compétences valables dans tous les secteurs – économique, social et politique. Ce tandem n’a pas le droit de trahir la confiance d’un 60-0 historique. Le chemin sera dur. Mais on y arrivera.
Le tandem Ramgoolam-Bérenger n’a pas le droit de trahir la confiance d’un 60-0 historique. Le chemin sera dur. Mais on y arrivera»
Les nominations aux postes clés, comme les nouveaux ministres, reflètent-elles le renouveau promis par l’Alliance du Changement ?
Oui, il faut de la transparence dans la gestion des affaires de l’État. L’expérience des anciens, combinée à l’arrivée de nouveaux visages et de jeunes, nous ouvre la voie d’un renouveau. Ce souffle nouveau offre l’espoir d’un véritable départ, à la hauteur des exigences d’une société mauricienne étouffée et d’un monde en constante mutation.
Certains Mauriciens expriment une frustration face à la lenteur des réformes promises. Cette impatience vous semble-t-elle justifiée, et comment l’Alliance du Changement peut-elle y répondre ?
Oui, je constate moi aussi une certaine frustration sur le terrain. Le gouvernement travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Il faut toutefois expliquer clairement à la population l’héritage catastrophique, presque suicidaire, que nous avons trouvé en arrivant. Les Mauriciens sont intelligents, ils comprennent.
Les scandales au plus haut niveau – Banque de Maurice, création de la Mauritius Investment Corporation (MIC) censée soutenir les entreprises en période post-Covid, mais devenue une sorte de distributeur automatique pour les besoins politico-financiers et familiaux du MSM – ont laissé des traces profondes. Jetons un œil à la Financial Crimes Commission (FCC) et aux enquêtes ouvertes pour corruption et blanchiment d’argent : un ex-Premier ministre, Lady Macbeth, un ex-ministre des Finances – ce « Grand argentier » qui a couvert le pays de honte auprès des institutions internationales. Quelle image désastreuse ils ont collée sur le dos de notre pays !
Mais le changement est en marche. L’Attorney General l’a affirmé à la radio : des réformes constitutionnelles sont imminentes, suivies d’un train de lois pour redresser la barre. Le ministre de l’Éducation travaille d’arrache-pied à une refonte totale du système scolaire – après l’échec cuisant de l’ancienne titulaire du portefeuille. Le ministre des Technologies, lui, s’active à moderniser notre administration, avec la numérisation comme levier, à l’heure où l’intelligence artificielle avance à grands pas.
Le gouvernement a présenté sa feuille de route pour les cinq prochaines années. Chaque budget portera son lot de projets structurants. D’ici la fin du mandat, en 2029, le bilan devra profiter à tous les Mauriciens - en particulier à notre jeunesse. Il faudra travailler dur, très dur, pour reconstruire la confiance des familles, et faire en sorte que ces réformes bénéficient aux générations actuelles comme futures.
Je constate moi aussi une certaine frustration sur le terrain»
Entre l’arrestation de Pravind Jugnauth et de figures clés comme Renganaden Padayachy ou Maneesh Gobin, soupçonnés de blanchiment, de fraude et de corruption ; les révélations explosives des « Moustass Leaks » ; et la débâcle électorale de l’Alliance Lepep… le MSM encaisse les coups les uns après les autres. Sommes-nous en train d’assister au début d’une longue traversée du désert pour ce parti ?
C’est désormais la question.
Deepak Balgobin, ex-ministre des TCI, a évoqué une « persécution politique ». Le mot est-il juste ?
Deepak Balgobin ? Que dire, sinon qu’il se ridiculise en criant à la « persécution politique » ! Qui a mis en place la FCC ? Et qui en subit aujourd’hui les effets boomerang ? Il suffit de lire les reportages de la presse sur les déploiements spectaculaires – et menés de manière professionnelle – des enquêteurs de la FCC contre les figures de proue du gouvernement MSM pour tout comprendre.
Les municipales du 4 mai sont vues comme un plébiscite pour l’Alliance du Changement. Quel enjeu réel voyez-vous derrière ces élections ? Les partis extraparlementaires peuvent-ils tirer leur épingle du jeu ?
Les élections municipales du 4 mai marqueront sans aucun doute la victoire de l’Alliance du Changement dans les cinq villes. Les dernières élections municipales remontent à 2015, il y a dix ans. Pendant cette période, le MSM a privé les citadins de leur droit de vote, et ceux-ci ont vu, au fil des ans, une détérioration progressive de l’état de leurs villes, au détriment de leur qualité de vie.
Je suis originaire de Beau-Bassin, et j’ai observé de près l’état de ma ville. Les routes, les pertes d’eau de la Central Water Authority (CWA), les cours abandonnées, et les ordures jetées un peu partout témoignent d’un manque flagrant de gestion.
J’ai moi-même porté plusieurs plaintes à la mairie et à la police. À côté de ma maison, un terrain vacant sert de refuge à des drogués et à des voleurs. Quelle sécurité pour les voisins ? L’état du bazar de Beau-Bassin, et celui de Rose-Hill, est tout simplement déplorable. On trouve de meilleurs bazars dans les villages.
Le terrain de foot à Vacoas, les jardins d’enfants et les terrains de pétanque laissent à désirer. La liste des défaillances est longue. L’ex-Parliamentary Private Secretary de Vacoas, qui évoquait la transformation de la ville en un Manhattan mauricien, fait sourire les naïfs.
Quant aux partis extraparlementaires, leur influence est nulle. Nando Bodha, qui se présentait comme futur Premier ministre avant de perdre aux élections générales de novembre 2024, cherche à se refaire une place avec les municipales.
Cependant, un autre problème persiste : l’absentéisme. Les élections municipales ne sont pas prises au sérieux, et le jour du vote, nombreux sont ceux qui ne se déplacent pas. Nos candidats sont sur le terrain 24/7 pour mener une campagne de proximité, expliquant l’importance d’une ville propre et bien gérée par des élus municipaux. Et ce, surtout face aux nouveaux défis comme le changement climatique, les pluies torrentielles et les drains bouchés.
Le gouvernement central mettra en place de nouveaux projets pour améliorer l’administration régionale et pour le bien-être des habitants des villes. Cette semaine, j’ai participé à deux grandes réunions de mobilisation dans des salles combles à Vacoas-Phoenix.
L’influence des partis extraparlementaires est nulle»
En tant qu’ancienne élue municipale, quels combats prioritaires devraient, selon vous, dominer les conseils municipaux aujourd’hui ?
La propreté des villes, le sport pour les enfants, les clubs sportifs, le sport féminin, l’état des terrains de jeux, ainsi que la participation des seniors et des femmes pour le bien-être de leur ville sont des priorités essentielles. Il est crucial de mener des campagnes d’information et d’éducation sur les dangers de la drogue, notamment la drogue synthétique, qui affecte gravement la jeunesse et les familles.
Il faut également maintenir une politique de proximité en créant des comités de quartier, permettant aux forces vives et aux habitants de discuter des doléances, des problèmes et de recommander des solutions. Enfin, il est primordial de créer des espaces pour les artistes de notre société multiculturelle et diversifiée.
Diriez-vous que les femmes sont toujours les grandes oubliées des élections locales ?
C’est dommage qu’il n’y ait pas davantage de femmes candidates, et de conseillères municipales. Comme elles savent gérer leur foyer, leur emploi, leur entreprise, elles auraient pu apporter une réelle valeur ajoutée à la gestion de leur ville.
Bâtir une ville inclusive où hommes et femmes peuvent participer ensemble au développement de leur communauté aurait été magnifique. L’avenir nous le dira. Cependant, j’espère que des femmes pourront être élues maires, ce qui leur offrirait l’opportunité de démontrer leur capacité de gestion.
Quelle est, selon vous, la plus grande urgence sociale sur laquelle le gouvernement doit se pencher dès maintenant ?
Comme je l’ai déjà dit, le redressement de l’économie et la valorisation de notre roupie sont essentiels pour alléger la vie quotidienne des familles, tout en assurant un meilleur contrôle sur les prix des commodités. Le combat contre la drogue, notamment avec le nouveau projet de loi actuellement débattu au Parlement, est une priorité. Il en va de même pour la campagne nationale en faveur de l’éducation, de la prévention, ainsi que de la réinsertion et de la réhabilitation.
Le défi du changement climatique et la préservation de l’environnement dans nos villes doivent également être abordés. Les femmes doivent être des actrices à part entière dans ces projets d’avenir, car l’évolution vers une société égalitaire est désormais une résolution mondiale. La technologie informatique doit être accessible à tous, y compris aux seniors, tout comme l’intelligence artificielle, qui arrive à grands pas. Le sport doit être accessible à tous : enfants, jeunes, hommes, femmes, et même seniors.
Enfin, il est crucial de promouvoir l’entrepreneuriat pour renforcer notre économie, tout en mobilisant nos efforts pour construire une société inclusive, notamment pour les personnes en situation de handicap.
Deepak Balgobin se ridiculise en criant à la ‘persécution politique’»
La lutte contre la drogue est une priorité du gouvernement, mais le trafic semble hors de contrôle. Maurice peut-elle encore gagner cette bataille ?
Il est crucial d’initier une éducation dès la petite enfance tout en intégrant le civisme dans le programme scolaire. Il faut apprendre aux jeunes à devenir les citoyens responsables de demain. Il est également important de promouvoir et de créer des emplois attractifs afin qu’ils n’aient pas à quitter le pays pour de meilleures conditions de vie à l’étranger.
Des salons de l’emploi doivent être organisés chaque année, permettant ainsi aux jeunes de découvrir le monde professionnel et de se rassurer quant à leur capacité à devenir des acteurs compétents pour leur pays.
Cette confiance dans les décideurs politiques actuels renforcerait leur intérêt pour la politique future de leur pays, les incitant à rester sur le territoire. Ils s’engageraient alors dans la politique locale, refusant une politique de népotisme, pour rejoindre une plateforme de politiciens qui honorent leur pays et garantissent l’avenir de tous.
Si la politique actuelle demeure corrompue, malhonnête et déconnectée des attentes populaires, cette jeunesse hésitera encore à s’y engager, préférant suivre le même chemin que la vieille garde.
Sheila Bappoo, si vous deviez rempiler, quelle serait votre priorité politique, aujourd’hui ?
Une politique qui fait confiance à notre société arc-en-ciel. Il est essentiel de consolider davantage notre économie, de développer de nouvelles zones de développement et d’investissement. Cela est impératif pour maintenir le développement social et lutter contre la pauvreté.
Il est également crucial que l’évolution de notre société progressiste entraîne une véritable justice sociale, avec une société inclusive, où l’égalité des genres est respectée à travers des programmes concrets.
Pour le développement national de notre programme, la communauté internationale nous recommande de promouvoir le genre et le développement national, notamment au sein des pays membres des Nations unies. Il revient à notre gouvernement actuel de prouver sa capacité de performance et de bonne gouvernance.

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