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Savinien Mérédac raconte l’histoire de Polyte, esclave émancipé

polyte C'est le récit d'un vieil homme de la mer du Nord du pays.

Qualifié de « chef d’œuvre de la littérature mauricienne », Polyte, le premier roman de Savinien Mérédac, nom de plume d’Auguste Esnouf, n’a guère usurpé cet attribut. L’ouvrage du Franco-mauricien abonde les premiers mots de la langue créole alors que le récit plonge dans le quotidien d’un vieux pêcheur du Nord de l’île.

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Depuis que le nom de Savinien Mérédac est apparu dans la presse ou prononcé durant les conférences sur le créole, c’est toujours pour souligner sa qualité de pionnier dans une langue qui n’avait pas sa place dans la littérature mauricienne durant l’époque coloniale si tant existait alors une vie littéraire à Maurice. Franco-mauricien, Savinien Mérédac, avec ce premier roman, ne se contente de placer que quelques expressions créoles ou patronymes donnés à l’époque aux non-Blancs. Mieux, il brode un véritable récit qui laisse deviner qu’il a observé de près le quotidien de ceux qu’il décrit et, surtout, noter leurs mots. La description qu’il en fait ne pouvait être le fruit d’un écrivain vautré dans son salon, prenant pour seuls exemples les employés, alors au service des « bourgeois » blancs. 

Mérédac a sûrement fait le plongeon dans cette société issue de l’esclavage afin de saisir ses nuances, la psychologie de ses habitants, son métissage. S’il prête à Polyte Lavictoire son personnage principal quelques traits positifs, c’est parce que ce dernier « a en lui l’apport de l’homme blanc (et) a fait de Polyte un homme si différent de son ancêtre, l’esclave débarqué du négrier : car elle est spirituelle cette lèvre, pas trop épaisse, autant sombre que les lèvres des Mozambique, (Ndlr : ce mot finira par devenir « mazambique », avec toute sa connotation raciste)  mais point énorme comme elles. »

Expressions créoles

À Grand-Gaube, où il vit, après avoir fait le tour du monde comme pêcheur, il est sans doute le seul à avoir été scolarisé. Aussi, c’est autour de ce personnage hors du commun que l’auteur construit son récit, auquel il donne une véritable épaisseur en restituant les détails de la vie quotidienne dans cette région du Nord. Mais ce qui étoffe aussi ce roman et lui donne ce cachet d’authenticité, c’est le recours aux mots de la langue créole, comme « zaffaires sériés », « pas-badiné », « zézère », ou encore des expressions comme « Zacot na pas guette so laque ».

L’auteur prend le soin de décliner des noms de rues, « L’Arsenal », « La Paix »

Même lorsqu’il dépeint son ‘héros’ sous les traits d’un raciste anti-hindou, on est tenté de penser que la période était propice à de tels comportements. Polyte, enfin, lui-même est incapable de se débarrasser de ses préjugés lorsque l’auteur lui prête ces pensées : « (…) ces malabares de trois cashs, qui voudraient accaparer la mer aussi, cela avait remué au fond de son cœur la vieille haine de toujours, la rancune du Noir contre l’Indien plus industrieux, plus économe et moins jouisseur. » Plus loin, après avoir été rembarré par le ‘Madras’ Rangapène, Polyte dira : «  Vous voyez, n’y a que les Blancs, qui sont des messieurs… un blanc, quand même qui manière il sera pauvre, c’est toujours un Monsieur. »

À l’issue de la lecture de ‘Polyte’, on ne peut s’empêcher de ressentir une forte impression d’avoir immergé dans un récit teinté de biographie et le souci du détail, si cher à tout conteur, à tout bout de page, permet au lecteur de s’imaginer l’époque, ses cases en chaume, les sentiers du village et même lorsque Polyte, qui croise des débardeurs au Caudan, s’aventure dans les rues de la capitale, l’auteur prend le soin de décliner des noms de rues, « L’Arsenal », « La Paix », afin de mieux restituer le réalisme de cette beuverie. Ce qui ressort étrangement de cette chronique d’un temps révolu, c’est l’absence de tout rapport avec le « bourgeois » blanc, sa seule évocation étant les bons mots flatteurs prononcés par Polyte à son égard. Est-ce un choix délibéré de l’auteur, soucieux de taire la nature des rapports entre les maîtres et leurs anciens esclaves, ou a-t-il voulu inscrire son récit dans un milieu social, culturel et géographique caractérisé par une certaine unité ?

Au-delà de ces interrogations, ce qu’il convient de retenir, c’est, d’une part, l’engagement des qualités littéraires de Savinien Mérédac  au service d’un récit qui s’inscrit à contre-courant pour l’époque et, d’autre part, l’utilisation des premières formes du créole dans ce premier ouvrage et qui ne servent pas à orner les phrases mais plutôt de participer à la conception d’une histoire unitaire. À sa sortie, l’ouvrage a eu une bonne réception auprès du public, signifiant que les colons avaient déjà accepté, dans une certaine mesure, l’idée qu’une certaine forme de la langue créole pouvait avoir sa place dans le roman. Pionnier à sa manière, Savinien Mérédac posait sa pierre à l’édification de la langue mauricienne, telle qu’elle se parle et s’écrit aujourd’hui.

Polyte, de Savinien Meredac (191 pp)
Atelier des nomades

 

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