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Sans pilote

L’annulation des vols d’Air Mauritius pour cause d’indisponibilité des pilotes est un événement d’une extrême gravité, tant pour la compagnie d’aviation nationale que pour l’économie mauricienne. Elle ne saurait être traitée comme un simple conflit industriel. On ne badine pas ainsi avec l’avenir d’un secteur touristique qui rapporte soixante milliards de roupies en devises et qui contribue à environ 8% du produit intérieur brut. Une île entourée par la mer, géographiquement isolée et dépendante du commerce international de biens et de services ne saurait être physiquement déconnectée du reste du monde, même pour quelques heures. Le Premier ministre a parfaitement raison d’être très ferme dans son approche de résoudre cette crise qui a coûté Rs 120 millions aux actionnaires d’Air Mauritius, puisque des avions sans pilote ne valent rien. Mais, comme ministre des Finances, il doit aussi savoir qu’une économie sans pilote peut se crasher.

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Quelles que soient les raisons qui les ont poussés à agir de la sorte, le coup fourré des pilotes s’apparente à un acte antipatriotique. On ne met pas en péril une économie dont les activités principales sont tributaires de l’aviation. On ne tient pas en otage une industrie qui est un pilier économique avec des dizaines de milliers d’emplois directs. On ne fait pas du chantage à son employeur sans même déclarer litige. Et on ne met pas en danger la vie des malades qui ont des rendez-vous médicaux à l’étranger.

Il est bien plus facile de faire fuir des touristes et des investisseurs que de les convaincre de venir à Maurice. Ce qui avait été construit pendant des décennies a été détruit, il est vrai partiellement, en un seul soir. Les campagnes internationales de promotion, les missions de prospection à l’étranger, la création de nombreuses agences de soutien à l’investissement, les généreuses facilités fiscales accordées aux étrangers, ce sont là des milliards de roupies dépensées par l’État pour faire de Maurice une destination touristique incontournable, un centre d’investissement régional attrayant et une plateforme financière de premier choix. L’intérêt particulier ne peut primer sur l’intérêt national et des actions individuelles irréfléchies ne valent pas l’argent des contribuables.

Ce qu’ont fait ces pilotes a terni l’image du pays mais, pire encore, a sali la réputation de la compagnie aérienne. Déjà, le service à bord d’Air Mauritius n’est pas fameux. Maintenant, s’il faut aussi avoir des doutes sur l’humeur du commandant de bord, entre les mains duquel est placée la vie des passagers, le paille-en-queue laissera des plumes. La confiance en un transporteur aérien est un tout, elle ne se limite pas aux sourires du personnel navigant.

C’est pourquoi ce qui s’est passé ne peut rester impuni. Le chef du gouvernement a engagé sa crédibilité dans cette affaire en la qualifiant de « franchement inacceptable» et en accordant tout son soutien au conseil d’administration d’Air Mauritius. Qu’il demeure cohérent jusqu’au bout. S’il fait marche arrière, il perdra tout contrôle sur les entreprises publiques qui nécessitent une remise en ordre. C’est ce que veulent les syndicats qui défendent le statu-quo. Or, un leader politique doit se faire respecter.

On attend de même d’un ministre des Finances dans l’administration de l’économie : agir davantage que subir, prendre les devants au lieu de suivre l’intendance, résister plutôt que céder aux pressions. Hélas, le titulaire actuel ne pilote rien, se contentant de satisfaire les lobbies du secteur privé sur le taux d’intérêt et le taux de change. Il laisse l’économie en pilotage automatique pour se concentrer sur les problèmes politiques.

Ils sont multiples et se succèdent au point d’engendrer un profond malaise dans le pays. Une dizaine de membres et proches de la majorité gouvernementale se trouvent en délicatesse au regard des affaires qui traînent entre le Central CID et le DPP. Un observateur indépendant, généralement posé dans ses critiques dans Mauritius Times, parle de « decay and putrefaction in the standards of behaviour and quality of elected members », dont l’odeur de décomposition va jusqu’au processus de « decay of the institutions ».

Les institutions, c’est ce qui compte. Elles déterminent la compétitivité internationale du pays, bien plus que les politiques ou les facteurs de marché,  selon la grande majorité des analystes interrogés dans le présent baromètre. Les keynésiens croient que la relance de l’économie passe simplement par une politique de la demande. Les économistes néo-classiques pensent que, pour y arriver, il suffit de libérer les facteurs de production. Mais non, affirme l’école autrichienne, c’est le cadre institutionnel qui est primordial.

La politique d’accès aérien peut servir les intérêts d’Air Mauritius. Le prix du pétrole comme facteur de coût peut être relativement bas. Mais si la compagnie souffre de handicaps institutionnels, elle ne prendra jamais de l’altitude.

Air Mauritius n’est pas une institution, mais une société commerciale. L’État, lui, est une institution en ce sens qui dicte les règles du jeu. Toute interférence étatique dans la gestion de l’entreprise crée un dysfonctionnement institutionnel. S’il persiste, il risque de déboucher sur un état de putréfaction qui ne pourra être nettoyé que par la règle institutionnelle opposée, la privatisation. En attendant, pour parer à toute éventualité, qu’on ait au moins le choix entre deux concurrents sur toutes les lignes aériennes.

 

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