
Les défis et enjeux qui se présentent au gouvernement issu du scrutin législatif de novembre 2024 sont de taille. Aux questions sociales s’ajoutent les défis que soulèvent la problématique de la dette publique, la rétention des compétences ou encore la nécessité de renforcer nos piliers économiques. Bien que le gouvernement souhaite réorienter notre modèle économique, « ce Budget pèche par l’absence d’une élaboration rigoureuse et détaillée des mesures nécessaires à cette transition », fait observer l’économiste Sanjay Matadeen.
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Que vous inspire le Budget 2025-2026 ? Contient-il les promesses d’une véritable relance de notre économie et de l’assainissement des finances publiques ?
Le Budget se concentre prioritairement sur la consolidation des finances publiques plutôt que sur une politique de relance économique.
Avec une dette publique atteignant 642 milliards de roupies, soit près de 90 % du PIB, et un déficit budgétaire qui s’établit à un niveau préoccupant de 9,8 %, il est devenu indispensable d’engager des mesures rigoureuses d’assainissement budgétaire afin de restaurer la soutenabilité des finances publiques.
En ce qui concerne la relance de notre économie, bien qu’il y ait eu une volonté affichée de réorienter le modèle économique, passant d’une économie fondée sur la consommation à une économie productive tirée par l’investissement, ce Budget pèche par l’absence d’une élaboration rigoureuse et détaillée des mesures nécessaires à cette transition. La vision du gouvernement pour les cinq prochaines années reste floue et sans réponse précise.
L’exercice budgétaire demeure timide face aux défis systémiques qui menacent le pays, parmi lesquels on compte une pénurie croissante de main-d’œuvre, le ‘brain-drain’ de jeunes, la dégradation des secteurs économiques traditionnels, une baisse de l’efficience et de la productivité, les lourdeurs administratives, ainsi que le manque de concurrence et l’absence de conditions équitables de marché. De plus, Maurice accuse un retard significatif dans le domaine de l’intelligence artificielle ainsi que dans la mise en œuvre de son programme de digitalisation des services publics.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu d’explications claires sur les économies que cette réforme (de la pension) permettra de réaliser ni sur l’utilisation prévue des fonds ainsi économisés.»
Le gouvernement de l’Alliance du Changement se donne trois années pour remettre le pays sur les rails, cela vous paraît-il suffisant ?
La principale préoccupation demeure le faible taux de croissance, estimé entre 3 % et 3,5 % pour l’année financière en cours, ainsi que le déficit budgétaire élevé, qui a atteint 9,8 % du PIB. Le déficit commercial s’est détérioré au cours des dernières années, avec des importations dépassant plus de trois fois la valeur des exportations, ce qui exerce une pression excessive sur la valeur de la roupie. Les lourds déficits du Metro Express, d’Air Mauritius, de la Central Water Authority (CWA), du Central Electricity Board (CEB) ainsi que d’autres entités gouvernementales exercent une pression financière significative sur les finances publiques. À cela s’ajoutent les gaspillages régulièrement dénoncés par le Bureau de l’Audit. Le gouvernement a beaucoup à accomplir, et s’il n’y a pas une volonté politique forte et courageuse pour se concentrer sur les priorités nationales, même une décennie au pouvoir, comme le précédent gouvernement, ne suffira pas. Un ministère du Plan économique a bien été créé, mais où se trouve le plan stratégique pour l’île Maurice pour les dix prochaines années ? Quelles sont les priorités nationales ?
La réforme de notre système de pension universelle est-elle adéquatement traitée ?
Il y a eu des manquements de la part du gouvernement en matière de communication et de consultation. Si l’on considère que les pensions universelles représentent des dépenses de près de 55,4 milliards de roupies par an, soit 7,8 % du PIB, et que ce poids deviendra encore plus insoutenable avec le vieillissement de la population, une analyse plus approfondie des différents scénarios aurait dû être conduite.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu d’explications claires sur les économies que cette réforme permettra de réaliser ni sur l’utilisation prévue des fonds ainsi économisés. Par ailleurs, nous constatons que les contributions à la CSG vont se poursuivre, sans que l’on sache précisément où ces contributions seront affectées. En tant qu’économiste, je suis favorable à une réforme du système de pension universelle. Cependant, je déplore le manque de politique publique fondée sur des données probantes (« data-driven policy making ») et le manque de transparence de la part du gouvernement. Il me semble que même les fonctionnaires et le ministre concerné ont été pris de court. Je m’interroge sur le fait de savoir si le ministère de la Sécurité sociale emploie des économistes et des actuaires, et s’il dispose réellement de toutes les données statistiques nécessaires pour prendre des décisions éclairées sur la question.
S’il n’y a pas une volonté politique forte et courageuse pour se concentrer sur les priorités nationales, même une décennie au pouvoir, comme le précédent gouvernement, ne suffira pas.»
Que pensez-vous du Income Support Scheme de Rs 10 000 que vient d’annoncer le gouvernement ?
Il est positif que le gouvernement ait entendu la voix des parties concernées, même si cela n’a pas entièrement satisfait leurs attentes ; au moins, certains efforts ont été faits. Cependant, en l’absence de détails complets sur le cost-benefit analysis réalisée et sans comparaison avec d’autres scénarios envisageables, il est difficile de se prononcer sur cette annonce. Le gouvernement introduit un ciblage pour les personnes âgées de 60 à 64 ans, alors que tous, y compris les plus aisés, recevront une pension de 15 000 roupies à partir de 65 ans. Ne serait-il pas préférable de verser une pension de 15 000 roupies dès l’âge de 60 ans, mais assortie d’un ‘means-test’ pour que seuls les bénéficiaires réellement méritants soient aidés ? Cela permettrait d’éliminer automatiquement les ménages aisés, les grosses fortunes du secteur privé, les anciens membres du Parlement et autres dignitaires qui bénéficient déjà d’une pension substantielle en plus de la pension de retraite de base à partir de 65 ans. De plus, les syndicats ne jouent pas pleinement leur rôle ; ils devraient formuler des propositions constructives plutôt que de s’enfermer dans des positions rigides.
La question du chômage des jeunes est-elle traitée afin, entre autres, d’enrayer la tendance de l’émigration vers le Canada ?
On ne peut pas parler simultanément d’un problème de chômage et d’une pénurie sérieuse de main-d’œuvre. Les jeunes émigrent à l’étranger afin que leurs compétences et leur expérience soient reconnues à leur juste valeur. Ils estiment qu’il y a davantage de méritocratie et de perspectives à l’étranger.
Le Japon a récemment ouvert une ambassade à Maurice, et connaissant la puissance de ce pays en matière de technologies avancées, d’énergie et d’activités maritimes, cela ouvre de nouvelles opportunités.»
Fallait-il une véritable imposition sur les dividendes réalisés par les gros conglomérats de même que les sociétés engagées dans les activités offshore ?
Il faut être prudent : le secteur du global business (offshore) demeure un secteur fragile, confronté à une concurrence internationale féroce. Une fiscalité trop lourde se ferait au détriment de Maurice. Au contraire, il est nécessaire de revoir ce secteur, où le « back office » a pris trop d’ampleur, alors qu’il est impératif d’introduire davantage de services à forte valeur ajoutée, tels que la gestion de patrimoine (wealth management), les « family offices », les assurances captives, les plateformes de financement, entre autres.
Le secteur financier peut contribuer davantage à la croissance économique du pays, il figure parmi les secteurs offrant les meilleures rémunérations et constitue une opportunité pour retenir nos jeunes talents. En ce qui concerne les grands conglomérats, il serait peut-être temps d’envisager des mesures fiscales supplémentaires, telles que l’instauration d’une taxe sur les plus-values, une taxation des dividendes, ainsi que d’autres taxes « vertes ».
Toutefois, ces mesures doivent toujours être accompagnées d’une analyse coûts-bénéfices rigoureuse afin de ne pas décourager l’effort et les investissements.
Les opérateurs dans le secteur des PME font valoir que ce Budget ne leur offre aucun signal positif quant à la pérennisation de leurs entreprises. Est-ce qu’ils ont raison de craindre pour l’avenir de ce secteur ?
Je ne leur donne pas tort : les PME sont les parents pauvres de ce Budget. Même s’il existe quelques mesures ciblant les PME, la concurrence féroce, les coûts opérationnels élevés, la pénurie de main-d’œuvre et l’absence d’un terrain de jeu équitable aggravent leur situation. Les activités de certains sites internationaux de commerce électronique ont connu une expansion considérable au détriment de la production locale et des PME… Étant donné que les PME représentent la majeure partie de l’emploi dans le pays, je crois que le gouvernement devrait leur accorder davantage d’attention. Il est nécessaire de revoir les dispositifs de soutien institutionnels offerts par SME Mauritius et l’Economic Development Board (EDB).
Faudra-t-il que Maurice s’active davantage afin de trouver des partenariats pour la mise sur pied de nouveaux piliers économiques comme celui de la Blue Economy ?
Cela fait un certain temps que nous parlons de l’économie bleue, et désormais nous évoquons aussi l’économie verte. Nous devons reconnaître que peu de progrès ont été réalisés dans ces secteurs émergents, en raison d’un manque d’expertise et de ressources.
Il est impératif de mettre en place un plan d’action qui énonce les efforts à réaliser, les partenariats requis, les investissements étrangers nécessaires, ainsi qu’une liste d’entreprises, d’organisations et d’institutions à contacter pour les attirer à développer ces deux secteurs dans le pays. Parallèlement, un dispositif d’incitations adéquat devra être rapidement élaboré.
Cela fait un certain temps que nous parlons de l’économie bleue, et désormais nous évoquons aussi l’économie verte. Nous devons reconnaître que peu de progrès ont été réalisés dans ces secteurs émergents, en raison d’un manque d’expertise et de ressources.»
Sur ce point, le Budget met aussi l’emphase sur la diplomatie économique. Quels en seront les bénéfices et que nous manque-t-il en termes de ressources au sein de nos ambassades ?
Dans un monde où la géoéconomie et le positionnement géostratégique dominent la scène mondiale, Maurice ne peut se permettre de rester à la traîne.
Le Japon a récemment ouvert une ambassade à Maurice, et connaissant la puissance de ce pays en matière de technologies avancées, d’énergie et d’activités maritimes, cela ouvre de nouvelles opportunités.
Par ailleurs, il faudra également solliciter nos partenaires traditionnels tels que l’Inde, la Chine, la France, la Grande-Bretagne et l’Union européenne et les États-Unis pour établir des partenariats stratégiques. L’EDB doit collaborer étroitement avec nos ambassades afin d’attirer des investissements directs étrangers diversifiés, et ne pas se concentrer uniquement sur le secteur immobilier. Mais avant tout, il faudra définir un plan d’action avec un calendrier précis.
Ce Budget jette-t-il les bases d’un écosystème qui permettrait d’attirer les investisseurs étrangers ?
Pas nécessairement. Il reste beaucoup à faire, notamment une réforme des institutions, dont fait partie l’EDB, la mise en place d’un régime d’incitations, une amélioration drastique de l’Ease of Doing Business à Maurice, ainsi que la recherche d’une solution à la pénurie de main-d’œuvre.
Il est primordial d’avoir une vision claire pour le pays, sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour galvaniser nos efforts et attirer les investisseurs étrangers.
Quelles sont donc les décisions qu’il vous semble importantes afin de traiter les enjeux majeurs de l’heure et à venir ?
Le pays a besoin de réformes drastiques dans de nombreux domaines, dont les économistes et autres observateurs ont tiré la sonnette d’alarme.
Il incombe au gouvernement de se ressaisir et de travailler avec rigueur pour mettre en œuvre ces réformes, tout en incluant les parties prenantes à travers des consultations.
Il faudra avoir le courage nécessaire pour faire avancer le pays, mais aussi garantir davantage de transparence et de responsabilité.
L’adoption rapide de la « Public Sector Fiscal Responsibility Act » pour renforcer la responsabilité, ainsi que de la « Freedom of Information Act » pour garantir plus de transparence, est essentielle. Il est également nécessaire d’introduire une loi sur le financement des partis politiques et de réformer notre système électoral afin de favoriser une plus grande participation, renforcer la démocratie et réduire la corruption. Ces réformes ne pourront se réaliser sans des ressources humaines qualifiées et prêtes à relever ces défis. Les institutions gouvernementales et parapubliques doivent apporter leur contribution, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment.

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