Sans aucun doute, sir Anerood Jugnauth aura été un des politiciens à avoir marqué d’une pierre blanche la vie politique et publique de Maurice postindépendance. Il a dirigé le pays pendant 19 ans comme Premier ministre, a été président de la République pendant neuf ans et ministre mentor pendant deux ans avant de tirer sa révérence le 7 novembre 2019. Il avait 89 ans.
En un peu plus d’un demi-siècle, sir Anerood Jugnauth aura activement participé au façonnage de l’île Maurice moderne. Avec son décès, c’est une page de l’histoire politique du pays qui est tournée.
Associé au « miracle économique » de Maurice et à l’accession du pays au statut de République en 1992, SAJ accède six fois au poste de chef de gouvernement. La dernière fois sera, contre toute attente, à travers les élections générales du 10 décembre 2014 à l’âge de 84 ans. Par la même occasion, SAJ deviendra le politicien le plus âgé à devenir Premier ministre dans le monde démocratique. Un record.
Né le 29 mars 1930, le petit-fils d’un immigrant indien, arrivé à Maurice depuis le Bihar dans les années 1850, entame sa scolarité à l’école primaire Church of England Mission, à Palma. Il poursuivra ses études secondaires au Regent College. Cependant, sa carrière professionnelle débutera très loin de la politique. En 1949, le jeune Anerood prend de l’emploi comme enseignant au New Eton College. Mais pour lui, ce n’est pas sa vocation. Il s’intéresse au droit. Il fera ainsi ses premiers pas dans le domaine en tant que clerc au Poor Law Department avant de demander son transfert vers le Judicial Department. Cela avec l’idée d’aller plus loin. Passionné de droit, le jeune homme fait ses bagages pour l’Angleterre pour y entamer des études. Nous sommes alors en 1951.
Entrée en politique
Trois ans plus tard, Anerood Jugnauth est admis au barreau au Lincoln’s Inn, à Londres. Mais c’est la politique qui l’intéresse plus que tout. En 1957, il devient conseiller, puis président du village de Palma. Octobre 1963, Anerood Jugnauth fait son entrée au Parlement en tant que député de Rivière-du-Rempart, à une époque où il y avait 40 circonscriptions à Maurice. Il se présente sous la bannière de l’Independent Forward Block (IFB) des frères Bissoondoyal.
En 1964, avec des camarades de lutte, Anerood Jugnauth forme la All Mauritius Hindu Congress, tout en restant dans l’IFB. En parallèle, il devient ministre au sein d’un gouvernement dirigé par sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR). Il sera ministre du Développement (1965-1966), puis ministre du Travail en novembre 1966. En 1965, il assistera aux conférences constitutionnelles de Lancaster House, à Londres, en tant que membre de l’IFB. Le parti est favorable à l’Indépendance, tout comme le Comité Action Musulman et le Parti travailliste. Le Parti mauricien social démocrate (PMSD) votera contre.
En 1966, Anerood Jugnauth claque la porte du gouvernement SSR pour devenir Senior Counsel au Parquet. « J’étais en désaccord avec SSR sur un certain nombre de sujets », confiera-t-il lors d’une interview publiée dans « Maurice, ses combats, ses triomphes » à l’occasion des 50 ans de l’Indépendance de Maurice en mars 2018. Il ne participera donc pas aux élections de 1967.
Alors qu’il coule des années « heureuses » à la magistrature, le Mouvement militant mauricien (MMM) l’approche pour devenir président du parti. « La scène politique avait évolué. Le MMM avait été fondé. C’était un parti très populaire. Paul Bérenger et d’autres membres du MMM voulaient que j’adhère au parti. Quand j’ai vu ce qu’ils faisaient et anticipant que SSR allait mordre la poussière vu sa façon de gouverner, il me fallait prendre une décision », dira-t-il. Et d’ajouter : « mon souhait était de servir mon pays. J’ai donc démissionné du Parquet pour rejoindre le MMM. J’ai été nommé président du parti. Les Mauves me disaient que je serais présenté comme le prochain Premier ministre ».
Le premier retour en politique
Le retour en politique sera un coup de génie, car Anerood Jugnauth prend une autre dimension. Il devient leader de l’opposition à la tête des jeunes loups du MMM le 20 décembre 1976. Pendant six ans, il s’investit complètement dans son rôle d’opposant direct de SSR. La suite, on la connaît avec le raz-de-marée de juin 1982 où le MMM, grâce au soutien d’Harish Boodhoo et de son Parti socialiste mauricien (PSM), il remporte le premier 60-0 de l’histoire du pays. Il devient Premier ministre pour la première fois et fait d’Harish Boodhoo son adjoint et Paul Bérenger, son ministre des Finances.
Mais les bonnes relations avec Paul Bérenger ne dureront pas. Si les deux ont bien travaillé ensemble pendant des années, leur collaboration prendra fin neuf mois après ces élections. C’est la grande cassure. Paul Bérenger part avec 12 membres du Cabinet.
Anerood Jugnauth y voit une opportunité pour s’asseoir politiquement parlant. Il crée le Mouvement socialiste militant (MSM) avec les quelques membres du MMM et en intégrant les membres PSM. Il fait alliance avec ses adversaires d’hier, le Parti mauricien social démocrate de sir Gaëtan Duval et le Parti travailliste de Ramgoolam père, le deal étant que sir Seewoosagur Ramgoolam ira au Réduit. Une combinaison gagnante pour les élections législatives du 23 aout 1983.
Aux élections générales de 1987 et de 1991, sir Anerood Jugnauth (fait Chevalier par la reine Elizabeth II en 1988) remporte la victoire en fin stratège. Profitant des jeux d’alliance, il se maintient au pouvoir tout en se bâtissant une solide réputation de dur à cuire et d’homme au franc-parler. En 1991, c’est d’ailleurs en équipe avec le MMM qu’il remporte la joute électorale.
La période 1983 à 1995 ne sera cependant pas sans heurts. Ce qui sera probablement le plus grand scandale de cette époque a lieu en décembre 1985. Quatre membres de son gouvernement (Dev Kim Currun, Ismael Nawoor, Sattyanand Pelladoah et Serge Thomas sont arrêtés à l’aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, dans une importante affaire de drogue. C’est l’affaire des Amsterdam Boys. Une aubaine pour ces opposants. En 1986, SAJ met sur pied une commission d’enquête sur la drogue.
Traversée du désert
16 novembre 1995. SAJ dissout le Parlement et appelle les citoyens aux urnes pour le 20 décembre. En équipe avec le Renouveau Militant Mauricien, il connaît sa pire défaite politique. Il se fait battre par un 60-0 face à l’alliance PTr/MMM.
On le croit alors fini politiquement. Mais c’était mal le connaître. En 2000, en équipe avec le MMM, SAJ fait un retour en force en remportant les élections avec un 54-6. Grâce à l’accord MedPoint et un partage à l’israélienne du pouvoir, il devient président de la République le 7 octobre 2003, cédant son poste de Premier ministre à Paul Bérenger.
Lors de son discours de départ, SAJ, qui pense alors ne plus jamais devoir faire de la politique active, dira : « I am proud to go down in history as a no-nonsense, honest and dedicated Prime Minister having done my duty in good faith and without fear or favour ».
Mais voilà, aux élections générales de 2005, Navin Ramgoolam, qui revient au pouvoir, lui réserve une mauvaise surprise. La prestation de serment du gouvernement, menée par les Travaillistes, se fait en public à la Place d’Armes, Port-Louis. SAJ, qui en tant que Président, participe à la cérémonie et se fait huer par une foule en délire. Pour Navin Ramgoolam, c’était un moyen de pression dans le but de le pousser à la démission.
Mais SAJ s’entête. Il restera, mais gardera un goût très amer de cet épisode. En 2008, Navin Ramgoolam décide d’offrir un second mandat à SAJ. Ce n’est pas parce que les relations entre les deux sont particulièrement bonnes, mais plutôt pour éviter que SAJ ne redescende dans l’arène politique.
Retour inattendu
Mais, le 31 mars 2012, encouragé par Paul Bérenger qui lui explique que le pays a besoin de lui pour éviter de couler, il décide de claquer la porte du Château de Réduit. Le Parti travailliste crie à la trahison.
Ensemble, le MSM et le MMM marchent vers l’Hôtel du gouvernement avec le Remake. Mais un accident de parcours arrête le train en pleine marche. En 2014, Paul Bérenger décide finalement d’entamer des pourparlers avec Navin Ramgoolam, alors Premier ministre. Ils tombent d’accord sur un projet de « deuxième République ».
Sur le papier, le MSM mené par SAJ n’a absolument aucune chance. Un peu par dépit, l’Alliance Lepep est formée avec le MSM comme locomotive et le PMSD et le Muvman Liberater.
SAJ propose alors le « deuxième miracle économique », et embarque son ancien ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, dans le train. Avec beaucoup de succès. L’Alliance Lepep remporte les élections générales de décembre 2014 avec 47 sièges sur 60.
Le 23 janvier 2017, SAJ cède sa place à son fils, Pravind, et prend du recul. Il restera en tant que ministre mentor jusqu’aux élections générales du 7 novembre 2019. Mais déjà, il aura un rôle très effacé.
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