La consommation de drogues synthétiques a été la cause de divers drames ces dernières années. Afin de répondre à ce genre de situation, un nouveau centre de réhabilitation pour traiter le problème des drogues synthétiques sera bientôt opérationnel.
Ameenah Yadun, le 13 février dernier, et Sita Devi Lutchiah, le 2 décembre 2020, sont décédées d’agression à l’arme blanche, perpétrée dans le premier cas par le fils et dans le second par le petit-fils. Comme d’autres auparavant, des crimes similaires ont eu lieu avec un dénominateur commun : la drogue synthétique, entraînant misère et déchéance.
Une situation qui inquiète de plus en plus, d’autant que, selon l’Africa Organised Crime Index et Enhancing Africa’s response to transnational organised crime (Enact) de 2019, réactualisé l’année dernière, Maurice est en première place d’un triste palmarès : celui du commerce des drogues synthétiques en Afrique.
Ajouté à cela, le dernier rapport du National Drug Observatory indique que la consommation des drogues de synthèse demeure la principale cause des admissions dans les établissements de santé. Sur les 834 admissions enregistrées en 2019, 520, soit 62 %, étaient liées aux drogues synthétiques.
Face à cette situation le ministère de la Santé prévoit d’ouvrir, avant la fin du mois de mars, un nouveau centre de réhabilitation au Brown Séquard Mental Health Care Centre, à Beau-Bassin. Ce département, destiné aux jeunes de 18 ans et plus, vise à séparer les patients qui ont un problème de drogue des autres types de patients fréquentant cet établissement de santé spécialisé. Actuellement, tous les patients sont mélangés, peu importe leur problème de santé mentale. « Ce nouveau département est calqué sur ce qui se fait au centre de désintoxication de l’hôpital de Mahébourg et au centre de réhabilitation Nénuphar, de l’hôpital de Montagne Longue », nous explique le Dr Anil Jhugroo, Addict Psychiatrist.
Il ajoute que ce nouveau service vise aussi à répondre à une demande, compte-tenu de la situation de la drogue à Maurice. Ce département de réhabilitation disposera de 12 lits dans un premier temps, mais avec une possibilité d’offrir un plus grand nombre de lits. Ce service pourra aussi accueillir des filles.
Selon le Dr Anil Jhugroo, ceux qui sont confrontés à l’emprise des drogues synthétiques en particulier, doivent bénéficier d’un encadrement spécifique afin de les aider à s’en sortir. « Le traitement et l’approche seront différents et seront personnalisés », soutient le psychiatre. Des soins à base de Suboxone, Méthadone ou d’autres médicaments contenant des Oméga 3 ou 6 sont donnés pour renforcer le système mental pour lutter contre les drogues synthétiques, indique-t-il.
Selon lui, des professionnels de santé spécialisés dans le traitement des personnes dépendantes à la drogue seront affectés à ce département : médecins, infirmiers, psychiatres et psychologues. Des sessions de yoga, de méditation, des jeux récréatifs, des ateliers de jardinage et de thérapie musicale sont aussi prévus. « Ceux qui veulent vraiment s’en sortir auront le maximum de chances. Nous allons aussi ouvrir la porte à ceux qui, à travers leurs proches, veulent tenter leur chance avec des sessions pour essayer de les motiver au maximum », souligne notre interlocuteur.
Le Dr Jhugroo fait aussi ressortir que l’encadrement et l’accompagnement ne se feront pas uniquement à l’hôpital, mais qu’il y aura aussi un suivi à la fin du traitement en milieu hospitalier. Cela, avec la collaboration d’organisations non-gouvernementales. « Il y aura un suivi dans la communauté pour prévenir les rechutes. Les proches auront un rôle important à jouer, comme l’observation du comportement du patient et de ses fréquentations », précise-t-il.
Différentes types de drogues
Arrestations de l'Adsu par type de délits et par genre
Type | Hommes | Femmes | Adolescents | Adolescentes | Total |
---|---|---|---|---|---|
Possession | 1 766 | 39 | 21 | 0 | 1 826 |
Trafic | 901 | 70 | 20 | 2 | 993 |
Plantation | 113 | 4 | 1 | 0 | 118 |
Importation | 74 | 31 | 3 | 0 | 108 |
Obstruction à la police | 10 | 4 | 0 | 0 | 14 |
Blanchiment d'argent | 5 | 0 | 0 | 0 | 5 |
Total | 2 869 | 148 | 45 | 2 | 3 064 |
Maurice en tête du commerce de la synthétique
Maurice est premier dans le classement du Synthetic Drugs Trade de l’African Organised Crime Index (AOCI) devant l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et les Seychelles respectivement. Cette position est peu enviable eu égard à la population de Maurice, qui ne compte qu’un peu plus de 1,2 millions d’habitants. Selon ce rapport, le marché de la drogue est bien établi à Maurice.
Cependant, l’AOCI et l’Enact placent Maurice 41e sur les 54 pays du continent africain pour le taux de criminalité, et 6e sur les 13 pays de l’Afrique subsaharienne.
800 patients à Mahébourg
Le centre de désintoxication de Mahébourg est opérationnel depuis 2016. Il s’occupe principalement de patients qui ont des problèmes avec l’héroïne. Environ 800 patients ont été traités dans cet établissement à ce jour.
Le centre Nénuphar, installé à l’hôpital de Montagne-Longue et ouvert aux patients de moins de 18 ans, a, lui, accueilli 150 patients jusqu’à présent. Il a été lancé en 2018 à l’intention des jeunes qui ont des problèmes avec la drogue de synthèse ou de l’héroïne.
Campagne nationale face à une situation alarmante
L’explosion des drogues synthétiques depuis 2013 est alarmante, peut-on lire dans le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue. Elles causent des ravages, parfois des morts, parmi les jeunes.
Parmi les recommandations du président de la commission, l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, pour éviter de nouvelles pertes en vies humaines, figure une campagne nationale de sensibilisation pressante sur les réels dangers des nouvelles drogues synthétiques, avec une attention particulière pour les élèves et les jeunes non-scolarisés.
Hausse du nombre de délits liés à la drogue
Le nombre de délits liés à la drogue est en hausse ces dernières années, selon le rapport du National Drug Observatory (NDO) pour l’année 2019. Ainsi, de 3 370 en 2016, le nombre est passé à 4 906 en 2019. Ce chiffre comprend les délits de drogue et les crimes liés à la drogue. (Voir tableau 1). En parallèle, le nombre d’arrestations par l’Adsu pour ces délits a également connu une augmentation durant la même période. De 1 857, le nombre est passé à 3 045. Ce chiffre ne prend pas en considération le blanchiment d’argent. (Voir tableau 2).
Ces arrestations de l’Adsu portaient principalement sur la possession et le trafic de drogue. Les autres délits étaient liés à la plantation et l’importation de drogue.
Les arrestations pour ces quatre dernières années concernaient les hommes, avec un total de 2 869 arrestations, et 148 femmes. Mais des adolescents, garçons comme filles, étaient impliqués : 21 arrestations chez les garçons pour possession de drogue et 20 pour trafic. Chez les adolescentes, on a recensé deux arrestations pour trafic de drogue.
Des 2 231 condamnations en 2019, 92 % étaient pour des délits liés à la drogue : 81 % pour possession, 11 % pour consommation, 4 % pour cultivation, 3 % pour trafic et 1 % pour importation.
Virginie Saramandif, du centre de solidarité : «La situation a empiré»
Le combat contre la drogue semble perdu. Le front a évolué défavorablement, avec des jeunes accédant aux substances synthétiques, gratuitement au départ, puis contre paiement, une fois dépendants. C’est l’avis de Virginie Saramandif, directrice adjointe du CDS.
Le constat de Virginie Saramandif, directrice adjointe de l’organisation non-gouvernementale Centre de solidarité (CDS), est sans équivoque. Dans plusieurs cas, la curiosité, la pression des amis ou tout simplement l’envie d’essayer font que de nombreux jeunes plongent facilement dans le tourbillon de la toxicomanie, au point de ne plus pouvoir s’en sortir par la suite. Bilan, selon elle : « La situation a empiré. »
Les jeunes se croient tout permis. Comme il n’y a plus cette ‘peur’, il y a une perte des valeurs, qui sont des guides»
Psychosociologue, elle note la vulnérabilité des jeunes qui font appel à cette ONG pour essayer de s’en sortir. Elle observe également que les jeunes sont à la fois « plus fragiles », mais évoluent également « sans aucune crainte de l’autorité ». Qu’elle soit parentale, policière ou institutionnelle, comme celle émanant des enseignants. « Les jeunes se croient tout permis. Comme il n’y a plus cette ‘peur’, il y a une perte des valeurs, qui sont des guides », dit-elle. Ce qui ouvre la porte à toute sorte de facilités, fait-elle ressortir.
Des jeunes qui n’hésitent pas à tuer quand ils sont en manque ou quand ils ont besoin d’argent pour acheter leur dose de drogue, c’est un passage à l’acte grave, souligne notre interlocutrice. « Que peuvent contenir ces substances synthétiques au point de pousser quelqu’un à tuer pour répondre à un manque aigu ? » se demande-t-elle. Selon la directrice adjointe du CDS, c’est un jeu de contrôle qui vise à rendre les personnes dépendantes et quand ils passent à l’acte ce n’est pas, selon elle, par préméditation. Cela survient suite à un accès de colère.
Elle plaide pour des recherches pour mieux comprendre l’attitude des jeunes sous l’emprise de la drogue. Virginie Saramandif estime qu’il faut plus d’activités récréatives, sportives et culturelles, afin que les jeunes puissent s’épanouir sainement. Davantage de patrouilles policières dans les endroits dits ‘chauds’ découragerait également le trafic de drogue, selon elle.
Ibrahim Koodoruth, sociologue : «Je suis désabusé»
Lui aussi est effaré devant la série de drames, où des jeunes qui tuent leurs proches pour quelques sous et pour s’acheter de la drogue. Une indication que la lutte contre la toxicomanie ne donne pas de résultat probant. Que des institutions censées garantir la sécurité ne fonctionnent plus. Ce sont autant de situations qui font que le sociologue Ibrahim Koodoruth se dit désabusé au point d’avoir du mal à décrire la situation qui prévaut dans le pays actuellement.
« Je suis désabusé. Nous sommes dans une situation inédite, qu’il est difficile de comprendre et de commenter », admet-il. Tel est le constat que fait le sociologue et chargé de cours à l’université de Maurice, Ibrahim Koodoruth. « Nous sommes perdus », lâche-t-il.
Nous sommes en pleine anarchie. Chacun fonctionne comme il veut»
Face à une situation où la toxicomanie perdure dans le pays malgré les longues années de lutte, il est perplexe. « Est-ce qu’il y a un réel combat contre la drogue ? » se demande-t-il. Pour lui, vu la façon d’agir de certaines institutions, dont la force policière, il y a une perte de confiance qui s’est installée. « Les autorités ne sont plus crédibles », fustige-t-il. Il souligne que, même en disant « la vérité », la perception qu’elle ne passe pas pour crédible laisse un goût amer. « Nous sommes en pleine anarchie. Chacun fonctionne comme il veut », estime Ibrahim Koodoruth.
Selon le sociologue, le law and order ne fonctionne pas et il est difficile d’avoir confiance en la police. Un sentiment renforcé quand elle « ment » ou fait traîner les choses sur des affaires criminelles, dit-il. « Justice delayed is justice denied », répète Ibrahim Koodoruth. Et cette méfiance n’est pas installée que vis-à-vis des institutions, mais aussi de certains médias, ajoute-t-il : « Il est difficile de discerner le vrai du faux. Il y a tellement de manipulation qu’on ne sait plus en qui avoir confiance. »
Dr Anil Jhugroo : «Une personne en manque de drogue peut tuer dans un accès de colère»
Une personne qui est accro à la drogue a besoin de sa dose quotidienne, sinon elle sera en manque. Cela peut être si sévère qu’elle peut faire n’importe quoi pour pouvoir se soulager. Il y a des filles qui ont même vendu leur corps pour pouvoir obtenir leur dose. C’est ce que soutient le Dr Anil Jhugroo, Addict Psychiatrist.
Que se passe-t-il au juste ? Selon le Dr Anil Jhugroo, « il y a une brusque montée d’adrénaline qui incite la personne à rechercher une nouvelle dose de sa drogue pour se soulager », ajoute-t-il. Et là, le ‘consommateur’ ne recule devant rien.
Il y a une brusque montée d’adrénaline qui incite la personne à rechercher une nouvelle dose de sa drogue pour se soulager»
Le psychiatre spécialiste des addictions fait ressortir que, malgré son état de manque, un consommateur de drogue ne va pas en mourir. Néanmoins, tout ce qu’il peut ressentir à ce moment-là est très désagréable à vivre. Parmi, il y a des crampes abdominales et/ou des tremblements. Plus fréquemment, c’est l’incapacité de dormir, l’irritabilité et un agacement en raison de la montée de l’adrénaline qui se manifestent. Faisant le parallèle avec le meurtre survenu le samedi 13 février, où un homme est accusé d’avoir tué sa mère, le Dr Jhugroo soutient qu’il n’était pas psychotique. Il avait besoin de sa dose de drogue et c’est ce qui l’a incité à tuer quand il a essayé un refus.
Selon lui, une personne psychotique est confrontée à des hallucinations et peut penser que la personne qui est devant elle est un espion, un être malfaisant qu’il faut éliminer. « Dans son délire, elle va assener plusieurs coups pour s’en débarrasser. Mais on ne rencontre pas fréquemment ce cas de figure, contrairement aux agressions dans les familles et dans les querelles de voisinage, où, de façon révélatrice, un seul coup est asséné à la victime », dit-il. Selon le psychiatre, plus de 50 % des patients qui consomment des drogues synthétiques sont violents. Certains peuvent avoir des crises cardiaques. La montée d’adrénaline fait que certains se sentent invulnérables, à cause de l’énergie incontrôlable qu’ils éprouvent.
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