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Réclamation mauricienne devant la CIJ : le processus de décolonisation en question

De nombreux États ont accordé leur soutien à Maurice, devant la Cour Internationale de Justice. Critiquant le Royaume Uni, ils estiment que l’indépendance de Maurice est incomplète sans le rattachement des Chagos au territoire national. 

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J.G.S. de Wet (Afrique du Sud) : «L’excision validée malgré l’intégrité territoriale de Maurice»

J.G.S. de Wet

La République d’Afrique du Sud a été le premier pays neutre à intervenir dans le cadre de la réclamation mauricienne pour un avis consultatif de la Cour internationale de justice sur l’excision de l’archipel des Chagos du territoire mauricien avant l’indépendance.  Son principal porte-parole, J.G.S. de Wet, Chief State Law Adivser au département des Relations et coopérations internationales, a soutenu que cette instance de l’Onu est tout à fait habilitée à statuer sur un contentieux bilatéral entre deux pays. Elle a exhorté la Cour à assumer ses responsabilités à un moment aussi « crucial », car si cette instance venait à faillir, « elle passerait à côté de l’occasion de renforcer les droits internationaux. » Abondant dans le même sens que le ministre mentor, sir Anerood Jugnauth, elle considère que cette question doit être traitée d’urgence. Elle ajoute qu’un avis consultatif de la CJI sera l’occasion de reconfirmer les règles internationales et donnerait par la même occasion, un mandat clair à l’Assemblée générale des Nations Unies pour mieux combattre les différentes formes d’injustice. En somme, pour J.G.S. de Wet, l’enjeu de ce combat juridique est de rétablir la dignité du peuple chagossien et du concept de souveraineté territoriale. « La décolonisation n’est pas achevée. L’Afrique du Sud a vu ses droits humains bafoués sous l’ère coloniale et l’apartheid. Ce combat concerne donc toutes les personnes qui n’ont pas eu la possibilité d’exercer leurs droits à l’autodétermination », a-t-elle souligné. 

J.G.S. de Wet a aussi fait ressortir qu’au moment de l’excision, les lois portant sur la souveraineté territoriale existaient déjà. « La séparation de l’archipel des Chagos a été validée en dépit de l’intégrité territoriale de Maurice », a-t-elle ajouté. L’avocate a conclu son intervention en affirmant que le colonialisme est un vestige archaïque qui est en train d’entacher la conscience de l’humanité. « La décolonisation continuera de rester à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies aussi longtemps que certains peuples seront privés de la liberté de décider de leur avenir. La Cour doit donc jouer son rôle », a-t-elle conclu.

Costas Clerides, (Chypre) : Pas de consentement « libre » 

« Un État colonial ne peut se soustraire à ses obligations juridiques concernant la conservation d’une partie de leurs anciennes colonies. » Le représentant chypriote souligne qu’aussi longtemps qu’une puissance coloniale conserve une partie de son ancienne colonie, elle bafoue le droit de ce peuple. Il estime que le droit à l’autodétermination est aussi inaliénable que la souveraineté d’une nation. « Aucun peuple ne peut renoncer à ce droit », dit-il.
Il souligne que la rupture d’une partie du territoire d’une ancienne colonie est admissible si l’ancienne colonie est d’accord. Concernant les Chagos cela n’a pas été le cas, rappelle l’avocat. « Un peuple ne peut valablement renoncer à son droit à l’autodétermination, tout comme il ne peut consentir à l’esclavage. » Il ajoute que l’accord pour l’utilisation d’une partie d’un État doit se faire par consentement.  « On ne peut parler de consentement librement accordé si l’État est démembré pendant qu’on lui accorde son indépendance. » 

Youratovich (Bélize) : «Il faut avoir une décolonisation»

Le représentant de Bélize, Youratovich, a indiqué que les Chagos ont été détachés. « En droit international, le Royaume-Uni a voulu intégrer le territoire, mais n’a jamais fourni des preuves. Le Royaume-Uni considère qu’il va céder l’archipel une fois qu’il n’en aura plus besoin. Du coup il est important d’organiser un référendum » a-t-il dit. Ce dernier a affirmé qu’il faut avoir une décolonisation de Maurice. « L’État administrant a violé un droit. C’est un acte illicite », a-t-il souligné. 

Chuchuchu Nchunga (Botswana) : «L’Afrique entière s’intéresse à cette affaire»

Le Deputy Government Attorney du Botswana, Chuchuchu Nchunga a été catégorique. Selon lui, le Botswana comprend ce qui s’est passé à Maurice. « Il s’agit d’une violation du droit à l’autodétermination (...)Tous les membres de l’Union africaine ont décidé de soutenir Maurice pour qu’elle complète son processus de décolonisation. Le Royaume-Uni doit mettre fin à son occupation de l’archipel des Chagos », a-t-il souligné. Le professeur de droit international Shotaro Hamamoto de l’Universitéde Kyoto qui a accompagné la délégation du Botswana a, lui, souligné que c’est l’Afrique entière qui s’intéresse à la dernière colonie britannique dans la région. 

Andreas Zimmerman (Allemagne) : «Les conséquences légales ont été ignorées»

La partie allemande était représentée, dans un premier temps par Christopher Eick, conseiller juridique au ministère fédéral des Affaires étrangères à Berlin et par Andreas Zimmermann. Le premier nommé, a d’emblée fait ressortir que l’Allemagne soutient le processus de décolonisation et a affirmé que les différends bilatéraux doivent être réglés dans le consensus, sans vouloir s’étaler longuement sur la question. Par la suite Andreas Zimmerman a expliqué que ce cas pourrait avoir des conséquences sur le rôle fondamental de la Cour international de Justice et parallèlement sur le fonctionnement de l’assemblée générale des Nations-Unies. Il a, dans la foulée, émis des réserves concernant la formulation de la résolution qui avait été votée par l’assemblée générale en 2017. Il a aussi tenu à expliquer les raisons qui avaient mené l’Allemagne à s’abstenir de voter pour Maurice en 2017. « Cette requête n’inclut pas les conséquences légales des États », a-t-il déclaré. 

Regina Maria Cordeiro Dunlop, (Brésil) : «Le Royaume Uni a violé la Charte des Nations Unies»

Selon la représentante du Brésil, les questions soulevées concernent la communauté internationale même si le litige a un aspect bilatéral. Elle souligne que le fait que 94 Etats aient voté en faveur de la résolution accrédite la thèse que ce n’est pas une question de discussion bilatérale entre la Grande-Bretagne et Maurice. Il s’agit de droits fondamentaux. « Il n’y a pas de décision qui empêche la Cour d’exercer son droit à donner des avis », a martelé Regina Maria Cordeiro Dunlop. Cette dernière souligne que le Brésil considère que la décolonisation de Maurice n’a pas été faite légalement et qu’elle est incomplète. « Le Royaume Uni a violé la Charte des Nations Unies en démembrant le territoire mauricien. » Elle a souligné que le Brésil pense que la décolonisation de Maurice doit être achevée en permettant aux Chagossiens de retrouver leur île.


Mario Oyarzábal (Argentine) : «La décolonisation est toujours incomplète»

Les deux intervenants argentins sont catégoriques. L’Argentine est toujours en faveur des pays qui militent et obtiennent leur indépendance. Mario Oyarzábal, ambassadeur et conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères de ce pays affirme que l’affaire opposant Maurice aux Britanniques ne constitue pas uniquement le règlement d’un litige bilatéral. S’adressant aux juges de la Cour internationale de justice (CIJ), il indique que cette instance doit statuer sur la décolonisation de Maurice.

« La question de décolonisation de Maurice est toujours incomplète. Il faut faire ressortir que la Cour internationale de justice avait déjà donné des avis consultatifs sur des questions similaires dans le passé », a-t-il souligné. Mario Oyarzábal a argué qu’il n’existe aucune raison décisive pour que la CIJ ne donne pas un avis consultatif. « Nous ne traitons pas ici un conflit de décolonisation déguisée. C’est bien un problème de décolonisation », a-t-il dit.

Après Mario Oyarzábal, c’est le professeur Marcelo Kohen qui est intervenu. « Les Britanniques avaient déjà à cette époque une administration assez puissante. Elle n’avait pas le droit de détacher les Chagos de Maurice », explique-t-il.
Selon le secrétaire général de l’Institut de droit international, la question de décolonisation n’est qu’un « processus politique ». Pour Marcelo Kohen, cette question a un intérêt international et chacun doit y prêter une attention particulière. Les Nations Unies avaient donné un avis consultatif, en citant l’article 96.

En ce qu’il s’agit de consentement, Marcelo Kohen livre une autre analyse. Pour lui, les Britanniques ne peuvent pas évoquer le « consentement de Maurice » pour l’excision des Chagos. « Cet argument n’est pas valable venant des Britanniques. La CIJ doit donner son avis consultatif pour la complétion de ce processus de décolonisation pour Maurice », a conclu le professeur.


Bill Campbell (Australie) : «Not the appropriate move»

Bill Campbell

C’était attendu que l’Australie serait directe. Les deux intervenants n’ont pas été tendres envers Maurice lors de leur plaidoyer devant la CIJ. Le premier intervenant, le Queen’s Counsel Bill Campbell a souligné que la résolution des Nations Unies sur l’archipel des Chagos n’était pas le « move » approprié. 

« Cette affaire ne tombe pas sous la juridiction de la Cour internationale de Justice. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 65 les stipulent. Qui plus est, la CIJ n’a aucun motif pour trancher sur la souveraineté », a-t-il dit avant de céder la place au Solicitor General de l’Australie, le Queen’s Counsel Stephen Donaghue.

 « La Cour devrait refuser de donner un avis consultatif dans cette affaire », a maintenu ce dernier. Par la suite, Stephen Donaghue a tenu à préciser que Maurice avait déjà essayé par d’autres voies juridiques de réclamer la souveraineté de l’archipel, mais il a toujours échoué.

 

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