Economie

Ravish Pothegadoo, fondateur et directeur de Talent On Tap : « Les TIC, la construction et l’hôtellerie seront les plus gros recruteurs cette année »

Le fondateur et directeur de Talent on Tap évoque le dynamisme noté sur le marché de l’emploi en ce début d’année. Ravish Pothegadoo balaie les inquiétudes quant à l’éventuelle fin de l’interdiction de licencier cette année. Il est aussi d’avis que l’importation de la main-d’œuvre dans certains secteurs restera inévitable.

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Le marché de l’emploi est gagné par un certain dynamisme en ce début d’année. Quels sont les facteurs à l’origine de ce regain d’activité ?

Nous pouvons, en effet, constater une certaine reprise et plus de dynamisme sur le marché de l’emploi. C’est aussi une tendance habituelle en début d’année, avec beaucoup de mouvement des candidats, des démissions après le paiement du boni de fin d’année. Cela n’implique pas forcément un regain d’activité.

Néanmoins, l’impact de la pandémie ne laisse aucun investisseur / chef d’entreprise insensible et la stratégie post-Covid demeure la réduction des coûts. Maurice reste un marché compétitif en termes de coût de la main-d’œuvre, taxe, stabilité politique, entres autres. Ce qui peut expliquer l’avènement d’encore plus de nouvelles entreprises étrangères.

L’entrepreneuriat et la croissance graduelle des entreprises qui ont pu connaître du succès en dépit de cette période difficile peuvent permettre plus de possibilités d’emploi, même sur une petite échelle.

Cette tendance va-t-elle persister au cours de l’année ?

La pandémie et ses variants ne nous permettent pas d’avoir une visibilité claire et définie sur toute l’année. Il faut également considérer la compétition des autres pays comme Madagascar, qui a déjà englouti pas mal de postes locaux dans le BPO et la production par exemple, avec des centres d’appels, usines, entre autres, qui n’ont eu d’autre choix que de considérer la délocalisation.

Dans quels secteurs les recrutements se feront massivement et dans quelles industries peut-on s’attendre à un recul ? Et pour quelles raisons ?

Le recrutement massif se fera dans le secteur informatique, le BPO et les activités qui peuvent subsister avec un déploiement du travail à domicile, minimisant, de ce fait, les risques d’une interruption du business.

La construction sera également un gros recruteur cette année, avec les gros projets qui requièrent beaucoup de main-d’œuvre, même si c’est pour une durée définie. L’hôtellerie recommence à pointer le bout de son nez et recrute de plus belle. Avec l’aide du gouvernement depuis les deux dernières années, l’injection des fonds de la Mauritius Investment Corporation et la réouverture des frontières, ce secteur doit à présent répondre à ses besoins.

Parallèlement, on enregistrera un recul en termes de recrutements dans certains secteurs tels que l’évènementiel, le « food & beverages » (« catering » etc.), qui ont connu une baisse des activités et qui ont surtout été affectés par des restrictions sanitaires sur le rassemblement des gens. La situation ne sera pas rétablie de sitôt.

De même, dans le commerce, avec la hausse constante du fret et l’augmentation des frais, les investisseurs sont découragés, y compris ceux qui opéraient sur une période saisonnière. Ce qui a des conséquences également sur le recrutement dans le secteur.

Sauf retournement sur le plan sanitaire, divers plans d’aide prendront fin à partir de juin, notamment l’interdiction de licencier. Peut-on craindre une hausse du nombre de chômeurs sur le marché avec la fin de cette restriction ?

Non, pas forcément. La fin de l’interdiction de licencier nous ramènera vers un retour à la situation de mi-2019. Et je pense que le mal a déjà été fait pendant ces derniers un an et demi. Encore une fois, les entreprises qui ont pu survivre à ces deux dernières années continueront à opérer. Du moins, je l’espère.

Dans certains secteurs comme le tourisme et les TIC, on peine à trouver de la main-d’œuvre. Comment en est-on arrivé là ?

Les technologies évoluent très rapidement, mais la main-d’œuvre ne peut pas suivre le même train. Un étudiant prendra trois ans pour terminer ses études en informatique. Or imaginez le nombre d’innovations technologiques dans le même laps de temps. Pour ce qui est du tourisme, on observe une baisse de confiance de la part des ex-employés. Bon nombre d’entre eux se sont reconvertis, la plupart dans l’administratif ou même le BPO. Ils ont connu des moments difficiles.

L’importation des talents est-elle l’unique solution ?

Oui et non ! Oui, car l’importation de la main-d’œuvre dans certains secteurs est inévitable, surtout dans la construction, la restauration etc. Ce sont des postes que les Mauriciens évitent de considérer.

Avec les facilités de communication (Internet, etc.), la main-d’œuvre / les services étrangers sont accessibles avec une facilité déconcertante. Les principes fondamentaux d’un business se basent sur un retour sur investissement à court ou long terme. D’où la motivation, dans le passé, pour certains entrepreneurs dans le commerce par exemple, d’importer des marchandises des pays comme la Chine et l’Inde pour les revendre à Maurice.

Cette tendance risque de se porter sur la main-d’œuvre également. Je suis d’avis qu’il faut importer la main-d’œuvre étrangère avec le but précis de former nos jeunes dans le domaine.

Ceci dit, l’importation de la main-d’œuvre n’est pas toujours possible pour tous les secteurs : par exemple, le tourisme et le BPO qui requièrent des profils parfaitement bilingues. Il faut donner priorité à la formation et la réorientation dans la limite du possible. Les grosses entreprises le font déjà. À titre d’exemple, elles reconvertissent les titulaires d’un diplôme dans le domaine informatique en mécatronique.

Parlons du chômage des jeunes qui devient de plus en plus une source d’inquiétude. D’un côté, on attribue cette situation à un déséquilibre entre les compétences académiques et les attentes du marché du travail. De l’autre, on montre du doigt les jeunes qui veulent monter vite fait en haut de l’échelle avec le salaire et les conditions qui sont rattachés. Qu’en est-il ?

C’est un mixte des deux. Le jeune qui souhaite grimper rapidement les échelons ne correspond pas au poste de management en question. Entamer un « masters » sans expérience de travail n’est pas très recommandé non plus. L’employeur pense que le candidat va chercher une autre opportunité dès que possible. Et le titulaire du « masters » ne comprend pas pourquoi il ne décroche pas d’emploi même avec son niveau d’études. Par ailleurs, depuis la pandémie, le cursus scolaire est chamboulé et la fin des études a été repoussée. L’impact se fera plus ressentir dès 2023 je pense, s’il n’y a pas d’autres perspectives d’emploi pour ces jeunes.

Depuis la pandémie, on observe aussi plusieurs tendances : les Mauriciens qui se tournent davantage vers l’entrepreneuriat ; le secteur médical qui est devenu un créneau porteur ; le télétravail qui a pris de l’ampleur ou encore certains employés qui quittent le secteur privé pour la fonction publique. Cette situation perdurera-t-elle ou devrait-elle s’estomper avec la situation économique qui semble aller dans la bonne direction ?

Ce schéma va durer pendant les deux prochaines années. Même si le secteur médical a des besoins, je vois mal les jeunes trouver la motivation pour entamer des études paramédicales ou de nursing pour devoir travailler nuit et jour dans les l’hôpitaux avec le risque omniprésent de la Covid-19. Ce type d’emploi doit être motivé par une « risk allowance » et des mesures strictes de protection.

Par ailleurs, les postes en télétravail vont continuer à prendre de l’ampleur. Nous avons certains candidats qui ont refusé de partir en entretien si cela ne se faisait pas par visioconférence.

Depuis fin janvier, les salariés ont obtenu une compensation salariale. Quelle est la situation sur le plan salarial avec d’une part, la baisse du pouvoir d’achat des Mauriciens et d’autre part, les employeurs qui disent que la charge salariale devient de plus en plus lourde ? Quelles peuvent en être les conséquences sur le recrutement ?

D’après un calcul simple, cela coûtera aux entreprises qui opèrent avec une centaine d’employés une augmentation de Rs 50 000 mensuellement, sur la masse salariale en moyenne. De mon point de vue, je ne pense pas que cela va influencer les chiffres d’affaires ou la profitabilité d’une entreprise qui emploie autant de personnes. Elles ont déjà prévu cette augmentation (plus ou moins récurrente chaque année) dans le business plan de l’année précédente.

Je pense qu’il n’y aura pratiquement aucun impact sur le recrutement. Les recrues seront prises sur l’ancienne base salariale.

Tout comme la construction est perçue comme un baromètre de la situation économique, il en est de même pour l’emploi. Dans quelle mesure c’est un élément de confiance ?

La création d’emploi représente le développement des activités et certainement la croissance économique.

L’équation est très simple : les revenus dépensés par un salarié comptent comme les revenus d’un autre business forcément. Une rupture dans cette transition de fonds entraîne certainement des dommages dans la chaîne.

 

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