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Rapport Wakashio : vérités révélées, silences persistants, responsabilités esquivées

Le naufrage du Wakashio en juillet 2020 a provoqué la pire catastrophe environnementale de l’histoire du pays.

Cinq ans après le naufrage du vraquier au large de Maurice, le rapport d’enquête pointe les négligences de l’équipage. Militants écologistes et experts dénoncent toutefois l’absence de suivi écologique et l’impunité des responsables.

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Le rapport tant attendu sur le naufrage du MV Wakashio, survenu le 25 juillet 2020, a été rendu public le jeudi 2 octobre 2025, confirmant ce que beaucoup soupçonnaient déjà : l’échouement du vraquier au large de Maurice, en juillet 2020, n’était pas un simple accident maritime, mais le résultat d’une faute humaine et d’un manquement grave à la discipline de navigation. 

Un capitaine cherchant du réseau téléphonique en s’approchant des côtes, un équipage négligeant la surveillance des fonds marins : la succession d’erreurs a conduit à l’une des pires catastrophes environnementales de l’histoire mauricienne. Si le document apporte des éclaircissements sur les causes immédiates du drame, il suscite davantage de questions qu’il n’apporte de réponses sur les responsabilités systémiques et les réparations à venir.

L’ONG Eco-Sud, qui a activement participé à l’enquête, se félicite que plusieurs de ses propositions aient été intégrées au rapport. « Cette reconnaissance témoigne de la pertinence des préoccupations portées par la société civile mauricienne », souligne l’organisation, qui salue également la publication du document comme « un geste essentiel pour garantir une première étape vers la transparence ».

Recommandations

Parmi les recommandations retenues figure la création d’une Commission nationale du transport maritime, « afin de doter le pays d’un organe stratégique qui pourrait nous éviter d’avoir à faire face à de telles crises ». Le rapport préconise également la mise en place d’un suivi sanitaire rapproché des populations vivant dans un rayon de deux kilomètres du littoral, de Pointe-aux-Feuilles jusqu’à l’hôtel Shandrani, « mesure que nous avons également défendue pour mieux protéger la santé des habitants exposés aux conséquences de la pollution, qui – il est important de le souligner – est toujours présente par endroits », précise Eco-Sud.

Nalini Burn, militante environnementale dont les propositions ont également été retenues par la commission d’enquête, se dit satisfaite de cette reconnaissance, mais appelle Maurice à aller plus loin. Elle souhaite que le pays prenne « des décisions solides pour empêcher que des navires s’approchent de nos récifs, surtout face au commerce maritime ». 

« On parle d’oil spill, qu’en est-il du ‘spill’ de produits toxiques qui sont lâchés dans nos eaux ? Que ce rapport nous permette de prévenir tout nouveau naufrage dans nos eaux », plaide-t-elle.

Derrière les satisfactions affichées, la frustration domine. « Il y a toujours eu des tentatives de cover-up et le gouvernement sortant a tout fait pour fermer le dossier du Wakashio », affirme Nalini Burn. Pour elle, « il faut toutefois avoir une bonne lecture du rapport » qui permettra de « mieux comprendre la complexité du dossier et découvrir les fautes ».

La question de la compensation cristallise les tensions. « Des victimes n’ont pas encore été compensées et il y a des cas en cour. Il y a bien eu le Charitable Fund et le gouvernement a accepté cela, mais c'est cosmétique », déplore la militante. Un constat partagé par Eco-Sud, qui « regrette profondément que les parties responsables de la marée noire du Wakashio se cachent toujours ».

Cette situation, explique l’ONG, « complique considérablement les démarches juridiques, car les victimes – qu’il s’agisse des communautés côtières, des pêcheurs, des opérateurs touristiques ou des ONG environnementales – se trouvent dans l’incapacité de notifier légalement les défendeurs. En conséquence, les actions en justice visant à obtenir réparation restent largement bloquées et les demandes légitimes de justice environnementale demeurent sans réponse ».

« Il est impératif que les acteurs impliqués assument pleinement leurs responsabilités et répondent de leurs actes », martèle Eco-Sud. « La catastrophe du Wakashio ne doit pas rester sans suite : elle doit servir d’exemple pour renforcer nos institutions, améliorer notre résilience environnementale et garantir que ceux qui portent atteinte à notre environnement en répondent devant la loi. » L’organisation annonce qu’elle continuera « de plaider pour que les recommandations du rapport soient mises en œuvre et que justice soit enfin rendue aux écosystèmes et aux communautés de Maurice ».

Les failles systémiques ignorées

Sunil Dowarkasing, expert environnemental, reconnaît que le rapport « confirme enfin ce que beaucoup à Maurice et ailleurs savaient déjà ». Mais il pointe ses faiblesses majeures : « Si le rapport apporte de la clarté sur les causes, il reste faible sur un point essentiel : l’imputabilité au-delà de la passerelle du navire. On n’y trouve que peu d’interrogations sur les failles systémiques : pourquoi la surveillance internationale a échoué, pourquoi un navire de cette taille a pu naviguer si près des récifs fragiles, et pourquoi les mécanismes d’alerte précoce étaient absents ou inefficaces. Le gouvernement mauricien, de son côté, a fait la sourde oreille face aux avertissements répétés, révélant un manque de vigilance et de préparation face aux risques maritimes. »

Tout aussi préoccupant est le silence du rapport sur les impacts écologiques à long terme, poursuit Sunil Dowarkasing. « Des études indépendantes récentes montrent que des résidus d’hydrocarbures restent piégés dans les sédiments des mangroves, des années après la marée noire, menaçant la pêche et les moyens de subsistance côtiers. Le rapport reconnaît les dommages, mais n’apporte ni feuille de route pour la réhabilitation, ni plan de suivi, ni cadre de compensation. »

L’expert dénonce notamment l’absence de remise en cause du principe de l’« innocent passage » : « L’invocation du principe de l’innocent passage près des côtes mauriciennes demeure une menace latente, tant que les routes maritimes ne tiennent pas compte de la vulnérabilité des récifs et écosystèmes côtiers. Rien n’a été soulevé auprès de l’Organisation maritime internationale concernant l’application de ce principe, alors même qu’il constitue un danger permanent pour des côtes et des récifs aussi fragiles que ceux de Maurice. Un manquement de taille de la part des autorités locales. »

Toujours vulnérables

Pour Sunil Dowarkasing, « si l’équipage porte la responsabilité immédiate, le système de gouvernance maritime reste inchangé. Sans règles internationales renforcées, sans surveillance côtière efficace et sans garanties contraignantes, les petits États insulaires comme Maurice resteront vulnérables au prochain Wakashio ».

Sur le terrain, l’amertume a remplacé l’espoir. Daveena Bauluck, propriétaire d’une entreprise de plongée sous-marine et l’une des coordinatrices mobilisées lors du naufrage pour sauver les lagons, refuse de commenter le rapport. « Il faut attendre les cas qui sont toujours en cour. Je suis dégoûtée de la situation, j’en ai marre et je ne crois pas au père Noël », lâche-t-elle.

Pour elle, les victimes de ce naufrage et la catastrophe environnementale subséquente ont été mises de côté. « On a dû se battre durant des mois pour savoir quoi nous mettre sous la dent, mais on a survécu et je peux attester que tous ceux qui ont été affectés par ce naufrage n’attendent rien en retour. On a bien galéré et on n’ose même pas savoir ce qu’il y a dans ce rapport », confie celle pour qui « parler du Wakashio lui sort par tous les pores ».

La conclusion de Sunil Dowarkasing résume le sentiment général : « Le Wakashio est une tragédie née de la négligence. Le rapport l’explique bien, mais il ne transforme en rien l’industrie maritime ni ne protège réellement les nations vulnérables. Maurice – et tous les petits États insulaires – doivent saisir ce moment pour ne pas se contenter d’explications comme conclusion, mais pour exiger une réforme systémique de la gouvernance maritime mondiale, des mécanismes de responsabilité et de l’obligation de réparation écologique à long terme. »

Quatre ans après la catastrophe, entre reconnaissance timide des erreurs et impunité persistante des responsables, le combat pour la justice environnementale et les réparations ne fait que commencer.

 

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