Ces dernières années, le secteur de l’eau a davantage été marqué par des promesses que par des projets concrets. Une distribution d’eau 24/7, la construction du Rivière-des-Anguilles Dam et le dessalement de l’eau de mer sont autant de projets ponctués de zigzags qui, s’ils avaient vu le jour, auraient évité la catastrophe que subit le pays. Mercredi dernier, le ministre Joe Lesjongard en a relancé plusieurs pour la énième fois. Le Défi Plus vous propose ce qu’auraient apporté ces projets si les politiciens avaient su joindre le geste à la parole…
Rivière-des-Anguilles Dam : Il aurait soulagé les régions du Sud, Mare-aux-Vacoas et bien plus encore…
Finira-t-on un jour par être témoin des premiers coups de pioche de la construction du Rivière-des-Anguilles Dam ? Ce projet, annoncé pour la toute première fois par le Parti travailliste en 2010, ressemble beaucoup plus à un leurre qu’à autre chose. Douze ans plus tard, le Rivière-des-Anguilles Dam, qui a été présenté comme le méga projet de cette dernière décennie, continue de faire l’objet de toutes sortes de zigzags et d’incohérences.
La dernière conférence de presse du ministre de l’Énergie et des Services publics, Joe Lesjongard, qui s’est tenue mercredi dernier, est venue exacerber encore plus le flou autour de ce projet. On croyait la source de financement assurée, sous la forme d’un prêt à hauteur de Rs 8,7 milliards, après les démarches initiées par Showkutally Soodhun à travers le Saudi Fund for Development. Mais mercredi, Joe Lesjongard a affirmé que le ministre des Finances était en discussion avec des institutions financières afin de trouver le financement nécessaire.
Pour Bashir Jahangeer, toutes ces déclarations témoignent du manque de sérieux des autorités. « Si on avait fait preuve d’un peu plus de rigueur, ce projet aurait été une réalité il y a longtemps déjà. Si la construction avait démarré en 2015 lorsque nous étions au pouvoir, le Rivière-des-Anguilles Dam aurait été finalisé en deux ans », souligne l’ex-député du Mouvement socialiste militant de la circonscription n° 13 (Rivière-des-Anguilles-Souillac), qui a suivi ce dossier de près.
Le Rivière-des-Anguilles Dam devrait, selon nos recoupements, avoir une capacité de 14 millions de mètres cubes d’eau. Sa mission première aurait été de soulager les abonnés des régions telles que Rivière-des-Anguilles, Souillac, Chemin-Grenier, Surinam et Baie-du-Cap.
Solution parfaite
Mais ce barrage d’eau aurait également aidé à alimenter le réservoir de Mare-aux-Vacoas. « Le projet doit certes être construit dans le Sud, mais il peut aussi servir à une plus grande partie de la population à travers le réservoir de Mare-aux-Vacoas, l’un des plus importants du pays », explique Bashir Jahangeer.
En cette période de sécheresse extrême, ce barrage d’eau, selon lui, aurait à coup sûr évité bien des inquiétudes à des milliers de familles. Il estime que le Rivière-des-Anguilles Dam aurait aussi pu être la solution parfaite aux difficultés de captage d’eau pour les régions de Plaine-Magnien et Mahébourg.
« Ce sont des zones où il y a généralement une forte concentration de pluie. Grâce aux installations qu’est censé comprendre le Rivière-des-Anguilles Dam, l’eau de la pluie qui va généralement vers la mer aurait été dirigée vers ce barrage », avance-t-il. Les autorités assurent que ce projet, que beaucoup considèrent déjà comme étant maudit, verra le jour dans pas longtemps…
La Nicolière : son agrandissement lui aurait permis de ne plus dépendre autant du Midlands Dam
L’expansion du réservoir de La Nicolière vient s’ajouter aux autres projets qui ressemblent davantage à des vœux pieux. Ce projet a jusqu’ici fait uniquement l’objet d’études de faisabilité. Aucun coup de pioche n’a été donné. Mercredi, durant sa conférence de presse, le ministre Joe Lesjongard a remis le projet d’agrandissement de La Nicolière sur le tapis. Il a ajouté qu’il fait l’objet d’une étude de faisabilité.
« Des millions de roupies ont pourtant été décaissées depuis plusieurs années autour de la faisabilité. Les multiples études menées ont toutes indiqué qu’il s’agit d’un projet viable. Elles ont même conseillé aux autorités concernées d’aller de l’avant », indique un ancien cadre de la Central Water Authority (CWA).
À titre d’exemple, une étude, achevée en 2019, avait recommandé de surélever de 20 mètres le barrage de La Nicolière afin d’augmenter a capacité de stockage de 5,26 mm3 à 33 mm3. Ce qui représente une hausse considérable. La construction d’infrastructures afin de dévier l’eau émanant de Rivière-du-Poste et de Rivière Françoise avait aussi été recommandée dans cette même étude.
L’expansion du réservoir est un projet fort intéressant, selon Dev Auckle, ex-General Manager de la CWA. « Le projet montre toute sa pertinence dans le sens où le réservoir de La Nicolière est grandement alimenté par le Midlands Dam. En l’agrandissant tout en assurant des travaux d’expansion au niveau de son propre barrage d’eau, il pourrait ne plus avoir à dépendre autant du Midlands Dam », avance-t-il.
Un ex-cadre de la CWA estime cependant que ce projet d’expansion aurait eu une contribution insignifiante sur le réseau d’eau. « La Nicolière approvisionne essentiellement les régions du Nord. Avec le million de touristes qu’accueille le pays et qui choisissent surtout cette partie de l’île, je doute fort que ce projet, au coût de plus de Rs 700 millions, aidera réellement à soulager cette région. L’impact ne sera pas aussi important », dit-il.
Questions à… Jérémie de Fombelle, Chief Sales & Marketing Officer de LUX* Collective : « Le dessalement nous évite de puiser 240 000 litres d’eau par jour dans les réservoirs »
Si le dessalement n’est qu’un discours pour gouvernements qui se sont succédé, il est cependant déjà une réalité dans plusieurs hôtels depuis une dizaine d’années. Le Défi Quotidien a souhaité en savoir plus, en interrogeant Jérémie de Fombelle. Il est le Chief Sales & Marketing Officer chez Lux* Collective.
Depuis combien de temps votre établissement s’est-il embarqué dans le dessalement ?
LUX* Le Morne a installé sa première unité de dessalement en 2005. Nous avons été l’un des pionniers. C’était alors une question vitale. Moins de 10 % de nos besoins en eau étaient couverts par le réseau public. Comme on le sait, le Morne est une des régions où la distribution est compliquée.
En 2016, l’alimentation par le réseau public s’est réduite de façon considérable. Petit à petit, notre dépendance du dessalement s’est accentuée. Depuis ces six derniers mois, cette solution couvre 100 % de nos besoins : l’eau potable, l’eau pour les cuisines, l’eau pour les salles de bain, etc. Sauf l’irrigation.
À l’origine, le choix du dessalement était économique. Lorsque vous accueillez 270 visiteurs, vous devez trouver une solution. Aujourd’hui, ce choix a aussi une dimension éthique et politique. L’eau est une ressource en danger, ici comme ailleurs. Chacun se doit d’apporter sa contribution.
Quels sont les investissements qu’il a fallu faire et qu’en est-il du coût de l’entretien ?
Depuis le début, nous utilisons deux unités qui produisent chacune 125 mètres cubes par jour. En 2019, nous avons investi Rs 15 millions dans le renouvellement de ces machines. Les besoins n’ayant pas beaucoup augmenté au fil des ans, ces machines ont la même capacité que les précédentes.
Cet investissement comprend toute l’infrastructure d’insonorisation, car ces équipements sont bruyants. Le coût de l’entretien varie entre Rs 250 000 et Rs 600 000 par an, dépendant de la fréquence d’utilisation qui, elle, dépend des taux d’occupation et de l’abondance des pluies.
Le choix du dessalement était économique. Lorsque vous accueillez 270 visiteurs, vous devez trouver une solution."
Combien de mètres cubes d’eau vos unités de dessalement arrivent-elles à traiter au quotidien ?
Nous produisons pour nos besoins, c’est-à-dire 250 mètres cubes d’eau par jour. Ce qui représente 240 000 litres d’eau. Nos machines viennent de Grèce, l’un des pays utilisant les technologies les plus avancées. Annexée à l’unité de dessalement, la Bottling Plant refiltrera cette eau déjà extrêmement pure avant de l’embouteiller.
Nous embouteillons environ 1 200 litres d’eau potable par jour. Il est important de souligner que pour obtenir 250 mètres cubes d’eau, il faut injecter trois fois plus d’eau salée (750 mètres cubes), car on ne peut pas enlever tout le sel d’un coup. Cela se fait en injectant régulièrement de l’eau dans les machines. Ce volume d’eau sert aussi à diluer la saumure (résidu dont la concentration en sel est très élevée ; NdlR).
Le dessalement comprend également des implications écologiques. D’une part, le dessalement nécessite beaucoup d’énergie et d’autre part, il génère de la saumure. Comment faites-vous pour en gérer les contraintes écologiques ?
Le dessalement est une solution qui nous évite de puiser chaque jour 240 000 litres d’eau des réservoirs publics. Nous en sommes très fiers. Ce n’est cependant pas une solution parfaite. Elle est d’abord gourmande en énergie. Utiliser le solaire aurait pu aider à réduire son impact énergétique.
Mais un hôtel n’a pas la surface adéquate pour aménager un champ de panneaux solaires. Nous utilisons donc une autre solution : l’Energy Recovery System. Ce système récupère l’énergie produite par la pression de sortie de la saumure, ce qui permet de réduire de moitié l’électricité nécessaire pour faire rouler la machine, soit 18kW au lieu de 30kW.
L’autre enjeu environnemental est l’élimination de la saumure. Ce résidu concentré en sel ne peut être rejeté tel quel dans le lagon. Il est donc redilué dans un important volume d’eau salée avant de la réinjecter, non pas directement dans le lagon, mais dans des puits.
Ce système est en effet « vertical ». Il n’était pas question de défigurer le lagon, avec un gros tuyau qui le traverse à l’horizontale, comme cela se fait dans d’autres pays. Chez nous, l’eau salée est pompée des puits à 40 mètres dans le sol. C’est mieux tant sur le plan esthétique qu’environnemental. La saumure, diluée et réinjectée dans ces puits, est ensuite filtrée par les nappes phréatiques.
Dessalement de l’eau de mer : Maurice n’aurait pas subi la crise à laquelle il est confronté
Le dessalement de l’eau de mer fait partie de la longue liste des projets qui se sont jusqu’ici arrêtés au stade des discussions. Les gouvernements qui se sont succédé ces vingt dernières années ont engagé de longs débats autour du projet, sans pour autant aboutir à quoi que ce soit.
Après plusieurs années de silence, c’était cette fois au tour du ministre Joe Lesjongard de relancer le projet en octobre 2022 à l’issue d’un atelier de travail sur l’eau. « Le gouvernement et le secteur privé doivent investir dans le dessalement de l’eau de mer », avait-il dit, sans toutefois en dire plus.
Trois mois plus tard, il aborde de nouveau le sujet (mercredi lors de sa conférence de presse ; NdlR). Il déclare cette fois que le gouvernement envisage sérieusement de recourir au dessalement de l’eau de mer comme une solution à la sécheresse. Il évoque même des discussions en ce sens avec des pays amis.
L’océanographe Vassen Kauppaymuthoo avait été un des premiers à proposer une solution à court terme au gouvernement à travers des unités de dessalement via des conteneurs. Il soutient que si le projet avait été lancé en octobre lorsque Joe Lesjongard en avait fait état, Maurice n’aurait certainement pas subi la crise d’eau à laquelle il est confronté depuis décembre.
« Avec un conteneur de dessalement capable de couvrir un village et la possibilité de traiter entre 1 500 et 3 000 mètres cubes d’eau par jour, des régions de l’Est et du Sud n’auraient pas autant souffert », affirme-t-il.
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