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Pradeep Dursun, COO de Business Mauritius : «Imposer une grille salariale par occupation est discriminatoire»

Le ministre Soodesh Callichurn a annoncé que les employés ayant le même titre, peu importe le secteur, toucheront le même salaire. À l’approche de l’entrée en vigueur de cette mesure, Business Mauritius évoque les questions relatives par l’entremise de son COO, Pradeep Dursun. Il affirme notamment que ce sujet suscite de sérieuses inquiétudes dans le monde des affaires.

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Le ministre de Travail a annoncé le 1er décembre dernier que le salaire dans le secteur privé sera déterminé chaque cinq ans. C’est la pratique dans la fonction publique, à travers le Pay Research Bureau. Était-ce « long overdue » pour les employés du privé ?

Présenté de cette manière, on pourrait croire que les politiques gouvernementales restent le seul recours pour revoir les salaires. Or, nous savons que les révisions périodiques des salaires dans le monde du travail, non seulement à Maurice mais à travers le monde, sont faites par un mécanisme bien établi. 
Ce mécanisme opère déjà depuis longtemps, s’appuyant sur des données et prenant en compte des facteurs économiques tels que le contexte national, l’offre et la demande, la compétitivité et les spécificités par secteur. C’est un mécanisme qui pourvoit des augmentations de salaires, des récompenses liées à la productivité, et des bonus pour les employés lorsque l’entreprise jouit d’une bonne performance. 

Bien sûr, les politiques nationales y jouent un rôle à travers, par exemple, la fixation d’un salaire minimum pour tous ou des Remuneration Orders, mais cela ne représente qu’un des facteurs à prendre en compte. 

La deuxième considération, c’est comment imposer, dans le secteur privé, un système adapté au secteur public. Le PRB répond aux besoins d’un seul employeur, l’État, dans un contexte spécifique où l’on procède par commission salariale. Dans un État démocratique, où nous tenons à cœur les protections sociales, nous pouvons tout à fait nous inspirer de certains modèles utilisés dans le secteur public. Mais fixer les salaires au moyen d’un copié-collé qui veut insérer un mécanisme étatique dans le secteur privé ne constitue pas une protection sociale : il nous met plutôt à risque de basculer dans un interventionnisme qui entraînera des distorsions du marché, qui heurtera la compétitivité des entreprises, et qui se répercutera directement sur le pays. 

Le National Wage Consultative Council et le National Remuneration Board pourront déterminer le salaire dans le secteur privé en relation avec le poste qu’occupe un employé avec la disposition apportée au Workers’ Rights Act. Comment les employeurs du privé accueillent-ils cette 
décision ? Y a-t-il eu consultation entre les autorités et le secteur privé en amont ?

D’abord, à notre niveau, on ne nous a fait part d’aucune décision officielle dans ce sens. Mais il est certain que c’est un sujet qui semble intéresser en ce moment. 
Pour le monde des affaires, ce sujet crée effectivement de sérieuses inquiétudes. Chaque entreprise le vit différemment, car les réalités diffèrent déjà par marché. L’offre et la demande varient dans les multiples secteurs. La compétitivité est aussi déterminante, surtout pour ceux qui opèrent sur des marchés internationaux. Et la capacité à payer n’est pas la même dans toutes les entreprises, allant des plus grosses aux plus petites.
 
Si un salaire minimum national fixe un point de départ, les variations et les progressions sont, elles, déterminées par d’autres facteurs, et nous devons ici prendre en compte les travailleurs aussi bien que l’entreprise. Nous devons également nous appuyer sur des données réelles afin d’adopter une approche basée sur des preuves concrètes qui correspondent au contexte national. Par exemple, on doit tenir en compte l’environnement des affaires, y compris le niveau de développement économique, les taux de productivité et d’emploi, ainsi que la durabilité des entreprises. Simplement fixer les salaires par catégorie professionnelle ne permet pas de prendre en considération tous ces facteurs. À ce jour, nous attendons d’être invités à des discussions sur le sujet, et cela, avec d’autres acteurs concernés. Nous disposons d’ailleurs déjà de plusieurs recommandations qui pourraient contribuer à trouver une solution juste pour tous. 

À partir de mars prochain, mois où cette réforme sera mise en place, les employés ayant le même titre, peu importe le secteur, toucheront le même salaire. Cette mesure apporte-t-elle une certaine équité ou pourrait-elle au contraire être discriminatoire ?

Imposer une grille salariale par occupation, sans considérer par exemple les particularités du secteur, les compétences requises pour le poste, la performance, ou la capacité des entreprises à payer relève effectivement d’une approche discriminatoire. 

Un exemple évident : si nous ne tenons pas en compte les compétences et les qualifications variées des employés dans la même occupation mais dans différents secteurs, nous nous retrouverons alors avec des plans de rémunération inégaux.

Il y a aussi les mesures de récompense sur la performance, qui s’appliquent dans une logique méritocratique. Partant des primes liées à la productivité à, entre autres, des perspectives de développement de carrière, il existe plusieurs mesures qui récompensent les employés et encouragent en même temps la performance. Avec des salaires fixés, on laisse non seulement place à des inégalités dans la récompense de la performance, mais on décourage les employeurs à offrir des motivations qui seraient avantageuses pour l’employé comme pour l’entreprise.

Cette révision salariale qui aura lieu chaque cinq ans peut-elle influencer positivement le recrutement dans le secteur privé et permettre de résoudre la problématique de la main-d’œuvre ?

Les raisons qui expliquent le manque de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs aujourd’hui sont multiples. Pour certains postes, il est vrai qu’une revalorisation des salaires est nécessaire, mais se focaliser uniquement sur ce thème across the board ne constitue pas une solution. 

La revalorisation des salaires afin d’encourager l’emploi vient justement avec des plans motivants et la possibilité de récompenses sur la performance – des options rendues possibles en maintenant une certaine flexibilité dans les grilles salariales. C’est ce type de plan de rémunération qui nous permettra éventuellement de voir du progrès dans le recrutement. 

Quel pourrait être l’impact de cette mesure sur la masse salariale des entreprises du privé ?

À ce jour, il est difficile de chiffrer le quantum sans propositions concrètes. Mais nous savons déjà que, rajoutée aux augmentations récentes, surtout la hausse importante du salaire minimum, cette mesure viendra alourdir la masse salariale, sans de gain de productivité en contrepartie. D’ailleurs, pour nos membres, il est important de savoir si une étude d’impact aura été complétée autour de cette mesure.

Ce sont les entreprises moyennes qui seront les plus affectées – celles-là mêmes qui représentent l’esprit entrepreneurial mauricien et qui contribuent de manière importante à la croissance économique et à la création d’emploi. Le cœur du sujet pour la communauté des affaires est : si on ne permet plus aux lois du marché de déterminer de manière organique les salaires, nous verrons la compétitivité des entreprises, mais aussi des secteurs dans leur ensemble, directement touchée. Pour les entreprises individuelles, les répercussions se feront sentir, entre autres, sur les capacités d’innovation, la motivation, et les prospectives de développement de carrière pour les employés à plusieurs niveaux.

Nous avons là un sujet qui va beaucoup plus loin que le simple quantum de la masse salariale. Nous parlons ici de la santé même du monde des affaires, de notre capacité à générer de la croissance et à faire progresser notre économie nationale. 

 

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