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Port-Louis: marchands ambulants par nécessité

Cela fait des années que le problème des marchands ambulants attend d’être réglé, pour aérer la capitale. C’est aussi un phénomène complexe qui charrie son lot de drames humains… Les 1 300 marchands ambulants habitués à opérer dans la capitale refusent d’être relogés dans les deux sites qui leur ont été alloués temporairement et brandissent la menace d’une grève de la faim. Et ce n’est pas la première tentative de reloger les colporteurs de la capitale dans un lieu où ils ne poseront pas de problème. Dans les années 1960, le métier de colporteur était très réglementé. Il était interdit de s’adonner à un commerce dans les rues sans un permis émis par la municipalité. Au fil des années, le nombre de colporteurs a augmenté considérablement, les règles ne sont plus respectées et les commerçants occupant les magasins subissent une concurrence déloyale. Qui sont les marchands ambulants ? Pourquoi sont-ils résolus à pratiquer ce métier précaire ? Éléments de réponse. Tous les marchands ambulants interrogés sur les raisons les ayant poussés à être colporteurs ont une seule réponse : la nécessité. Il faut souligner que dans les années 1970, Maurice connaissait un marasme économique. Le pays comptait à un moment plusieurs dizaines de milliers de chômeurs. Des Mauriciens n’arrivant pas à se faire embaucher ont alors décidé de devenir colporteurs en attendant de trouver mieux. Certains se sont installés dans les rues de Port-Louis et y sont restés. C’est le cas de Feroz Beegum, 63 ans. Il est marchand ambulant depuis trente ans et a travaillé dans toutes les rues de la capitale. Feroz raconte que son père, qui était également marchand ambulant, ne gagnait pas beaucoup. Il a donc été obligé de se mettre sur le marché du travail assez jeune. Il a multiplié des petits métiers avant de rejoindre son père dans les rues au début des années 1980. « Mo finn oblize vinn travay avek mo papa kouma marsan e mo finn res lamem ziska zordi », se désole-t-il. Amira Boodhoo, une commerçante de 64 ans, raconte que c’est la pauvreté qui l’a poussée à aider son époux marchand ambulant mais souvent malade. Au décès de ce dernier, il y a plus de cinq ans, elle a repris le travail de son époux car elle avait trois enfants à sa charge. « Nou pa ti anvi vinn marsan anbilan, me lavi difisil, mo oblize vann lartik dans lari pou gagn lavi » concède-t-elle.

Produits à bas prix

D’autres vendeurs, plus jeunes que Feroz et Amrita affirment que dans les années 1980, il leur a été impossible malgré tous leurs efforts de trouver du travail. Sans emploi, ils se sont tournés vers la rue pour gagner honnêtement de quoi subvenir aux besoins de leurs familles. Certains revendaient des articles de consommation qu’ils recevaient des importateurs ou des grossistes. Il est intéressant de rappeler que c’est dans les années 1980 que des usines de textile produisant pour l’exportation se sont installées à Maurice. Certaines de ces unités manufacturières écoulaient sur le marché local des vêtements qui, à cause d’un défaut, ne pouvaient être exportés. Des grossistes s’en procuraient à bas prix et les livraient aux marchands ambulants pour être vendus dans les rues. Un autre élément qui a influencé le commerce de rue est l’accès facile à des produits à bas prix venant d’Asie. À un moment donné, vers la fin des années 1980, un nombre croissant de Mauriciens se rendait en Chine ou en Thaïlande pour acheter de la marchandise. Ils venaient ensuite approvisionner les marchands de rue qui réclament un prix moins élevé que ceux pratiqués dans les magasins.
 

Portraits

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15805","attributes":{"class":"media-image alignright size-full wp-image-26626","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"300","alt":"Alain Milatre"}}]]Alain Milatre: « Aucune volonté des politiciens pour régulariser notre situation » Alain Milatre, 51 ans, est domicilié dans la région de Beau-Bassin. Il est marchand ambulant dans la capitale depuis 28 ans. Le père de famille est d’avis que les politiciens « n’ont fait qu’utiliser les marchands ambulants » et qu’une fois au pouvoir, ces derniers les ont reniés. Dans la communauté des marchands ambulants, Alain Milatre est connu pour être une personne qui n’a pas sa langue dans sa poche. C’est dans les années 1980 que cet ouvrier de la zone franche s’est retrouvé dans la rue à commercialiser des sous-vêtements pour hommes. Il se rappelle avoir travaillé dans les rues Farquhar et Rémy-Ollier. « Je me souviens de mes débuts comme si c’était hier. À l’époque, les rues de la capitale étaient désertes car les commerçants opéraient uniquement dans des foires. Le nombre de marchands ambulants de la capitale avoisinait la centaine et ils commercialisaient principalement des vêtements et sous-vêtements pour hommes et dames car la zone franche était florissante et offrait des avantages aux grossistes locaux », raconte-t-il. Avec le passage du temps, poursuit notre interlocuteur, le nombre de marchands ambulants opérant dans la capitale a connu une majoration et certains ont diversifié leurs activités. Alain Milatre confie qu’il est toutefois disposé à opérer à la rue Decaen. D’ailleurs, il se dit prêt à entamer cette nouvelle page de sa vie. « Mais le seul problème, c’est que les sites sont dépourvus de facilités de base, à savoir d’un système sanitaire convenable et d’une toiture. Si tel était le cas, nous nous serions tous installés sans broncher ! » déclare Alain Milatre. Safida Rajbally: « La rue me donne de quoi vivre ! » Safida Rajbally, une mère de famille de 60 ans, est commerçante depuis 20 ans. Elle s’est jetée dans le bain car la famille faisant face à de gros soucis financiers. Son mari et elle opéraient à proximité du bâtiment de la Life Insurance Company (LIC) jusqu’à ce qu’ils soient relogés temporairement à la rue Decaen. « Ce que percevait mon époux, qui était un travailleur manuel, était insuffisant pour subvenir à nos besoins. Un beau jour nous nous sommes décidés de chercher ailleurs et notre seul recours a été la rue. Nous avons commencé à acheter nos produits que nous commercialisons par la suite et, au fil du temps, nous avons fini par créer nos propres produits qui sont à la portée des clients. La rue me donne de quoi vivre et cela depuis 20 ans ! » assure-t-elle. « Les politiciens nous promettent toujours un meilleur lendemain lors de chaque campagne électorale. Mais, au fil du temps, nous avons fini par comprendre qu’ils ont la langue fourchue et qu’ils ne sont que des marchands de rêve. Il n’y a aucune volonté des politiciens à régulariser notre situation. C’est la raison pour laquelle nous avons fini par perdre espoir », se désole la commerçante. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15806","attributes":{"class":"media-image alignright size-full wp-image-26627","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"300","alt":"Parvesh Sonoo"}}]]Parvesh Sonoo: « Je ne fais pas ce métier par choix » Âgé de 28 ans, Parvesh Sonoo est marchand ambulant depuis ses 13 ans. Au début, il vendait des articles divers dans les rues de la capitale. Mais, depuis quelques années, il s’est fixé à la gare Victoria où il vend des fruits. Le jeune homme a été contraint de quitter l’école après le CPE et son manque de qualification académique l’empêche d’avoir un travail stable. « J’ai essayé de faire autre chose mais je n’ai jamais été embauché. On me dit que je ne suis pas qualifié même pour les plus petits boulots. Je ne suis pas marchand ambulant par choix, je ne peux rien faire d’autre. Pourtant, je dois subvenir aux besoins de ma famille. Je suis seul à travailler chez moi. Je suis le seul à apporter de l’argent pour la famille. J’ai à m’occuper de ma femme, de ma mère, de ma sœur qui est toujours à l’école et d’un oncle handicapé », explique-t-il. Depuis que les autorités lui ont interdit de travailler à la gare Victoria, cet habitant de Roche-Bois ne sait pas où trouver de l’argent pour s’acheter à manger et payer ses dettes. « Je ne demande pas la charité. Je veux juste qu’on me laisse travailler. J’ai toujours fait de mon mieux pour respecter la loi. Je fais de sorte que mes installations n’obstruent pas la circulation et ne dérangent pas les piétons. Je suis conscient que les autorités doivent mettre de l’ordre mais il faut trouver une solution qui nous permet de continuer de vivre décemment. Les policiers ont saisi toute ma marchandise. Cette situation me stresse énormément. Ma sœur a dû arrêter les leçons particulières et mon oncle a besoin de soins médicaux. Je ne sais plus quoi faire », affirme Parvesh Sonoo. [row custom_class=""][/row]
 

Un business bien rodé

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15807","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-26628","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Marchands ambulants"}}]] Selon les chiffres de la mairie de Port-Louis, 1 300 marchands ambulants opèrent dans la capitale. Ces commerçants, dont la plupart sont domiciliés dans les faubourgs de la capitale, opèrent près de la Gare Victoria et à la place de l’Immigration ainsi que dans les principales artères du centre-ville, dont les rues Farquhar, Edith-Cavell et Corderie, entre autres. Une enquête sur le terrain démontre que ces commerçants peuvent être classés en plusieurs catégories : petits planteurs vendant les produits de leurs potagers, vendeurs saisonniers, colporteurs écoulant des produits divers et marchands-importateurs, salariés vendant des produits importés par des grossistes. Les petits planteurs viennent principalement des villages avoisinant Port-Louis, comme Montagne-Longue, Terre-Rouge ou Arsenal. Ils sont très tôt près des gares d’autobus et une fois leurs produits écoulés dans la matinée, ils rentrent chez eux. Quelques autres s’approvisionnent à la vente à l’encan de légumes qui a lieu chaque matin derrière la Chapelle St-Antoine, près du rond-point menant au Quai D. Avant de se diriger vers le centre-ville. Les colporteurs qui opèrent d’un point fixe s’approvisionnent chez des grossistes et revendent les produits au détail dans les rues. Certains exercent ce métier de père en fils. Jadis, les colporteurs se rendaient dans des villages et dans les faubourgs des villes pour vendre des articles de consommation. Depuis peu, ils ont opté pour les rues de la capitale.

Rabatteurs

Les marchands importateurs de produits s’approvisionnent des pays d’Asie. Ils vendent eux-mêmes leurs produits sur des trottoirs et emploient des rabatteurs. Les salariés opèrent pour le compte des commerçants importateurs. Ces derniers sont souvent des personnes qui ont eux-mêmes travaillé comme marchands ambulants. Ils reçoivent les produits le matin et sont rémunérés dans l’après-midi en fonction de la vente réalisée. Des vendeurs saisonniers travaillent durant la période festive. En 2015, pour régulariser une situation qui devenait incontrôlable, la mairie de Port-Louis avait réintroduit le port obligatoire d’insignes (badges) pour les marchands ambulants enregistrés quelques mois plus tôt. Selon la mairie, le nombre de marchands saisonniers est passé de 900 en 2010 à 1 500 en 2014. Il y a également des marchands des fruits et de friandises, opérant à proximité de la Gare Victoria et de la place de l’Immigration durant la matinée.
 

Raj Appadoo, de la Market traders association: « Des commerces paralysés… »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15808","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-26629","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Raj Appadoo"}}]] Raj Appadoo, du Front commun des commerçants, est d’avis la présence des marchands ambulants aux abords des rues relève de la concurrence déloyale. « Les commerçants déboursent une fortune pour la location de leurs emplacements et pour le renouvellement de leurs permis d’opération. Pourtant, nous faisons face à la concurrence devant nos portes par des marchands qui n’ont aucun frais », dit-il. Le président du Front commun des commerçants salue la décision du ministère des Collectivités locales concernant la régularisation des marchands ambulants la capitale. Il était grand temps, dit-il. « Certains commerces ont été paralysés pendant des années à cause de la présence de marchands ambulants. Le relogement temporaire de ces derniers à la rue Decaen et à la place de l’Immigration permettra aux commerces de se refaire une santé », avance notre interlocuteur. Raj Appadoo demande au gouvernement d’adopter des mesures en vue de relancer certains commerces de la capitale. « Port-Louis est une ville qui doit être en mouvement de jour comme de nuit. Le gouvernement, par le biais de divers ministères et la mairie doivent proposer des mesures pour donner une seconde vie aux commerces », ajoute Raj Appadoo.

Avantages et inconvénients

À l’heure du déjeuner, de nombreux fonctionnaires parcourent les rues Sir-William-Newton ou Révérend-Lebrun, non loin du siège d’Air Mauritius, à la recherche d’un Tee shirt, d’une chemise ou de jeans. Des employées de bureau se hâtant pour rattraper le bus et rentrer chez elles s’arrêtent régulièrement pour acheter des légumes déjà coupés, des brèdes déjà triés. Elles affirment que cela leur rend service. Et les ambulants pratiquent des prix plus abordables que les supermarchés. Toutefois, les marchands ambulants sont responsables de beaucoup d’inconvénients. Les colporteurs qui travaillent avec des paniers et autres structures métalliques sont souvent la source d’embouteillages. Durant la période festive, certains marchands installent des chapiteaux d’une dimension de deux mètres carrés sur la rue bloquant ainsi le trafic. Mis à part les embouteillages, les marchands ambulants sont aussi sources de pollution. Après avoir travaillé dans les rues. Ils rentrent chez eux, en fin d’après-midi, laissant derrière eux des boîtes en carton et d’autres détritus. Comme le commerce n’est pas réglementé, quelques malfrats se mêlent aux marchands et s’adonnent à des trafics illicites. Des cas vol à la tire ont déjà été rapportés à la police. Il est surtout reproché aux marchands ambulants de faire de la concurrence déloyale aux commerçants qui décaissent entre Rs 1 200 et Rs 20 000 par an pour le renouvellement de leurs trade fees par la mairie.
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