Interview

Pierre Dinan, économiste: «Il faut chercher l’innovation plutôt que le ‘quick money’»

Les consultations prébudgétaires ont démarré et le Premier ministre et ministre des Finances a annoncé la couleur en déclarant que l’immobilier n’était pas du développement réel. Notre interlocuteur analyse le discours de sir Anerood Jugnauth et les besoins de l’économie mauricienne.

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Cette année, ce sera sir Anerood Jugnauth qui présentera le Budget plutôt que Vishnu Lutchmeenaraidoo. Vous attendez-vous à une grande différence dans l’approche ? En se fondant sur les dernières déclarations du Premier ministre, je pense qu’on peut s’attendre à ce qu’il mette davantage l’accent sur des projets générateurs d’emplois productifs et permanents par opposition à des emplois créés uniquement pour ériger des Smart Cities. Ce changement d’approche vous rassure-t-il ? Je crois que c’est tout à fait positif. Je suis heureux de constater que mention est à nouveau faite des secteurs existants. Je pense notamment à la zone franche d’exportation textile, les services financiers et la Technologie, la Communication et l’Innovation (TCI), où il faut revoir et soigner les stratégies. Je pense aussi au secteur de la pêche qu’il faut faire revivre. La pêche industrielle a toujours été l’enfant pauvre du pays. Je ne suis pas contre ce qui est nouveau, mais ce qui existe déjà ne doit pas être oublié. L’économie océanique, par exemple, cela fait des années qu’on en parle. Que l’on commence déjà par rassembler les connaissances qui pourront ensuite nous aider. Quand le nouveau ministre vient rappeler l’existence des autres secteurs, je ne suis que trop heureux. À condition que ce ne soit pas que des paroles. Il faut qu’il y ait des actions. Quand vous parlez de l’absence de connaissances dans le domaine de l’économie bleue, suggérez-vous justement que l’action n’a pas toujours suivi la parole ? Jusque-là, on n’a pas beaucoup entendu parler de l’économie bleue. Pourtant, dans le Budget de l’année précédente, il y avait de grandes idées concernant ce secteur. L’autre secteur important, c’est l’agriculture modernisée, avec la formation qui va avec. On peut se focaliser sur des produits de niche à exporter. L’année dernière, on a parlé d’agriculture bio. Si cela ajoute de la valeur, tant mieux ! Mais produisez ! On ne l’a pas réellement vu alors qu’on a des terrains en friche. C’est une perte de valeur économique en sus de présenter des risques environnementaux. Le Premier ministre promet des « réformes cruciales » et un « plan d’action » qui visera des résultats tangibles. Pouvez-vous deviner à quoi il fait référence ? Je souhaite qu’il parle de réformes institutionnelles qui se traduisent par une meilleure gouvernance des institutions publiques et des entreprises appartenant à l’État. Il nous faut une réforme cruciale en matière de gouvernance. Nous savons qu’il y aura bientôt un nouveau code de gouvernance. La version préliminaire se trouve déjà sur le site Web du National Committee on Corporate Governance. Il contient toute une section sur les institutions gouvernementales. [blockquote] « Quand les différends sont exprimés en public, cela ne fait pas sérieux. Un royaume divisé ne progresse pas. » [/blockquote] Le gouvernement insiste sur son ambition de vouloir faire de Maurice un pays à revenu élevé. Pour cela, il faut une croissance soutenue de 5 % alors qu’on n’a pas dépassé les 4 % depuis plusieurs années. L’objectif est-il réalisable ? Il ne m’appartient pas de répondre si c’est réalisable ou pas. Le Fonds monétaire international (FMI) s’est déjà prononcé après la visite de ses techniciens chez nous en décembre 2015. Ils ont rédigé un rapport qui dit clairement que c’est impossible d’arriver à 5 %. Ils ont prévu 4 % en 2020. Je vous cite un extrait : « Reaching growth prospects from 5 to 6% hinges upon resolutely addressing constraints to factor accumulation and productivity development. » Productivité. Voilà, le mot est prononcé. La productivité de la main-d’œuvre, du capital et du management. Le pays a déjà déjoué les pronostics dans le passé. Est-ce naïf d’espérer que le scénario se répète ? Par le passé, nous avons réussi à déjouer le Prof Meade. C’est parce que nous avons su prendre les mesures nécessaires. Cela ne tient qu’à nous de réussir à déjouer le FMI. Mais le mot est prononcé : productivité. D’abord, cela veut dire un leadership très fort de la part du gouvernement. Il faut un changement de mentalité des Mauriciens en général. La population doit chercher davantage l’innovation et l’entrepreneuriat plutôt que de rechercher le quick money. En parlant de leadership, quel a été selon vous l’impact sur l’économie des querelles en public des membres du Cabinet ? Les leaders doivent être des gens qui peuvent travailler main dans la main. Il faut un front uni qui renvoie à la population l’image d’un gouvernement qui a le pays pour priorité. Quand il y a des différends exprimés en public, ce n’est pas favorable à cette ambiance de sérieux. Un royaume divisé ne progresse pas. L’un des objectifs du gouvernement est de ramener la dette publique à 50 % du Produit intérieur brut (PIB). Avec le FMI qui surveille cela de près, les mécanismes similaires au montage financier de Heritage City sont-ils une solution viable ? Le gouvernement nous dit que ce ne sera pas une dette publique. Très bien ! Souhaitons qu’au bout de quelques années, les revenus de ces projets seront suffisants pour assurer le service de ce qui est quand même des dettes que la compagnie Heritage City Company Ltd contracte actuellement. Par ailleurs, je souhaiterais souligner que si les émissions d’actions de préférence par la compagnie à des étrangers n’augmentent pas, la dette publique, elle, s’accélère. La dette du pays est composée de la dette publique et de celle du secteur privé. On ne cesse de parler de l’importance de l’investissement direct étranger pour l’économie et il est à son plus bas niveau depuis 2010. Quelles en sont les causes ? L’investissement direct étranger (IDE) est important pour la relance de l’économie. Mais il est aussi souhaitable qu’il y ait de l’investissement local. Il faut l’apport des deux. Pour l’investissement étranger, il y a deux causes possibles. D’abord, la cause externe, avec une économie mondiale qui n’a pas tout à fait retrouvé son rythme. Puis il y a la cause interne car il y a quand même eu la chute de BAI qui a pu créer chez certains investisseurs potentiels des doutes et des incertitudes. Avec le doute sur l’accord avec l’Inde et le mouvement international qui pousse vers plus de régulation, doit-on avoir peur pour le secteur financier ? Je suis peut-être optimiste, mais à mon avis, le secteur financier extraterritorial ne disparaîtra pas. Mais il doit s’adapter aux nouvelles conditions qui sont marquées par une hostilité de plus en plus grande de la part de pays développés vis-à-vis de juridictions comme la nôtre qui appliquent une fiscalité plutôt faible. En ce qui concerne l’Afrique, que l’on présente comme sauveur du secteur financier, souhaitons que nous arrivions à mieux desservir ces pays qui veulent bien accueillir des investissements qui transitent par Maurice. Parmi les secteurs qui existaient déjà, le tourisme fait figure de réussite. Croyez-vous que la croissance de ce secteur se perpétuera ? C’est effectivement un secteur qui a bénéficié de nouvelles dispositions prises par le gouvernement, notamment l’ouverture de l’accès aérien. Il y a eu aussi les problèmes politiques aux Maldives qui ont pu jouer en notre faveur. Est-ce que cela va durer ? La réponse, c’est qu’il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Posons-nous la question : avons-nous fait assez pour que le touriste délaisse un peu les plages pour passer plus de temps dans les autres localités ?

 

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