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À partir de janvier 2024 : les gagnants et les perdants de la hausse des salaires 

L’État a décidé de revoir la politique salariale dans le pays car, selon Renganaden Padayachy, il est vital d’investir dans les ressources humaines et de rétablir le pouvoir d’achat. Quels sont les effets positifs et négatifs de cette stratégie diversement commentée ?

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Les gagnants

Les salariés 

La fin d’année se conclut en beauté pour les 350 000 travailleurs du secteur privé et les 110 000 employés de la fonction publique et des corps paraétatiques. Ils verront leurs salaires augmenter à partir de 2024. D’abord, 141 700 travailleurs percevront un revenu minimum garanti de Rs 18 500. Un montant qui englobe un salaire minimum de Rs 15 000, une compensation salariale de Rs 1 500 et l’allocation de la CSG de Rs 2 000. Au total, ce sont Rs 6 925 additionnelles qui entreront dans leurs poches chaque mois. Quant aux autres employés, ils toucheront une compensation qui variera entre Rs 1 500 et Rs 2 000. 

Pour l’économiste Pierre Dinan, il ne fait aucun doute que les grands gagnants de la hausse salariale sont les employés. « Tout le monde est heureux sauf les entreprises et les retraités qui attendent leur tour. Les salariés sont les gagnants, mais c’est sur le court terme », précise l’économiste. 

De son côté, Jane Ragoo, secrétaire générale de la Confédération des Travailleurs des Secteurs Privé et Public, soutient que cette révision de la politique des rémunérations n’est que justice. C’est aussi un long combat qui aboutit enfin. « Il fallait compenser la perte drastique du pouvoir d’achat des Mauriciens. Le panier de la ménagère pour une famille pauvre composée de quatre personnes est passé de Rs 6 000 en 2006 à Rs 9 000 en 2018. Aujourd’hui, le même panier pèse Rs 15 000 et on parle ici que des produits alimentaires. D’où notre demande le 1er mai dernier pour que le salaire minimum grimpe à Rs 15 000. Nous sommes satisfaits que nos recommandations aient été entendues », se réjouit la syndicaliste. Elle est d’avis qu’il y a de la richesse dans le pays. « Mais, plus de 75 % des employés ne touchent même pas le PIB par tête d’habitant – Ndlr : qui est de 11 511 dollars selon les prévisions pour cette année. Il faut distribuer et partager le gâteau », ajoute Jane Ragoo.

Les finances publiques 

Avec la consommation qui est appelée à grimper, les recettes de la TVA vont augmenter. D’ailleurs, dans les documents du Budget, on indique que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) rapportera Rs 12,1 milliards additionnelles dans les caisses de l’État pour l’année financière 2023-24. Elle passera de Rs 49,37 milliards en 2022-23 à Rs 61,47 milliards en 2023-24. Mais, Pierre Dinan précise que si les finances publiques seront gagnantes, « elles le seront en apparence ». « Les caisses de l’État seront renflouées à travers la TVA, mais la dette est appelée à augmenter. C’est pour le moins un match nul ! », souligne notre interlocuteur.

Les commerçants

Qui dit plus de pouvoir d’achat, dit plus de capacité à dépenser ! Pour Pierre Dinan, il ne fait aucun doute que les commerçants profiteront aussi de cette manne, surtout que nous sommes dans une période de festivités. Claude Canabady, secrétaire de la Consumers’ Eye Association, abonde dans le même sens : « Les Mauriciens vont dépenser beaucoup plus avec l’effet psychologique que leurs salaires vont augmenter sans compter les offres alléchantes que proposent les commerçants. De plus, nous sommes dans un contexte de fêtes où les gens pensent à faire plaisir à leurs proches sans vraiment compter. Mais, je leur conseille de ne pas se laisser porter par la frénésie des achats et de ne pas oublier qu’ils ont des dépenses en janvier avec la rentrée des classes ». 

« Cette augmentation salariale est un bon signal. Les gens vont consommer plus, voire normalement pour ceux qui avaient des difficultés à joindre les deux bouts. C’est en tout cas notre souhait en tant que commerçants », avance, pour sa part, Dominique Filleul, président de la General Retailers Association. Il reste, cependant, prudent. « Depuis la pandémie, les consommateurs ont tendance à privilégier les produits de base. Attendons voir ce qu’ils feront ! », ajoute-t-il.


Les perdants

Les employeurs

Avec l’augmentation des salaires, l’État et le secteur privé devront trouver des ressources additionnelles pour payer leurs employés (voir tableau plus loin). « Ce sont surtout les entreprises dont la plupart des employés touchent Rs 12 000 à Rs 15 000 qui seront les plus affectées. Certaines d’entre elles vont devoir trouver Rs 3 millions à Rs 5 millions additionnelles à partir de janvier 2024 pour payer leurs employés. Elles devront ajouter à cela les charges liées aux ressources humaines (la CSG, entre autres) », souligne Ravish Pothegadoo, directeur de Talent On Tap. Pour Business Mauritius, il faut s’attendre aussi à une « pression sur les autres barèmes salariaux ». 

  Montant additionnel à prévoir pour payer les employés
État  Rs 10 milliards pour la compensation salariale
Secteur privé Rs 12 milliards pour le salaire minimum et la compensation salariale, dont Rs 6,2 milliards uniquement pour la compensation.

La compétitivité du pays 

François de Grivel est catégorique. « La compétitivité du secteur d’exportation et de la manufacture sera affectée. Les opérateurs du secteur ne pourront pas monter ses prix de vente du jour au lendemain en raison de leurs marchés. Le risque c’est que certaines entreprises qui ne pourront pas tenir vont délocaliser leurs activités vers d’autres pays tels que l’Inde ou Madagascar où elles ne subiront pas un tel choc », fait-il ressortir. 

Pierre Dinan partage les mêmes craintes. « Les coûts de production de nos produits manufacturés vont augmenter. Ce qui affectera notre compétitivité sur le marché extérieur où nous aurons à nous mesurer avec les produits des pays moins développés comme Madagascar où les coûts de production sont plus bas. Pour que nous puissions garder notre compétitivité, les opérateurs devront innover en proposant des produits extraordinaires et uniques », recommande l’économiste.

Les consommateurs 

Claude Canabady ne se berce pas d’illusion. « Comme les entreprises auront des coûts additionnels, ils vont augmenter les prix de leurs produits et services. Elles n’auront pas vraiment le choix. Ce qu’on a donné de la main gauche, on le reprendra de la main droite », prévient-il. Ravish Pothegadoo est du même avis : « Les entreprises passeront les coûts à leurs clients. À titre d’exemples, les produits locaux coûteront plus cher et les hôtels augmenteront leurs tarifs ». L’industriel François de Grivel prévient lui aussi que les entreprises qui écoulent leurs produits sur le marché domestique vont revoir leurs prix à la hausse.

Parallèlement, Ravish Pothegadoo craint une hausse du niveau d’endettement des ménages et des entreprises. « Comme le pouvoir d’achat de l’employé va augmenter, il y a le risque qu’il s’endette davantage. Il va vouloir s’offrir plusieurs choses quoique certains vont aussi épargner. Quant aux entreprises, elles pourront s’endetter davantage pour couvrir certains coûts », soutient-il.

La roupie 

Pour Pierre Dinan, la roupie sera la perdante sur le moyen terme. « Nous allons constater dans les trois années à venir une hausse accrue de la consommation de la part des Mauriciens. Ce qui implique une augmentation des importations. Comme nous importons beaucoup et que nous n’exportons pas assez, il faudra déprécier davantage la roupie, qui a déjà perdu beaucoup de sa valeur ces dernières années. Et le risque, c’est que la dette publique augmente », met-il en garde. Parallèlement, poursuit-il, le fait que nos importations sont appelées à grandir car les Mauriciens auront plus d’argent, le pays encourt aussi le risque de voir ses réserves en monnaie forte (dollar, euro, livre sterling) baisser. « Il ne faudrait pas qu’on se retrouve comme en 1980 où il a fallu frapper au guichet du Fonds monétaire international », prévient-il.


ILS ONT DIT 

Pierre Dinan, économiste  Pierre

« Sur le long terme, je crains que cette attitude de faire plaisir à la population n’engendre chez elle un état de dépendance extrême envers le pouvoir public. Dès que la vie devient difficile, on se tournera vers le pouvoir public. C’est une attitude, mais cela ne doit pas être la seule. L’autre attitude c’est que les Mauriciens, en tant qu’adultes responsables, se prennent en main et cessent de croire que seuls les pouvoirs publics peuvent les sauver. Ces derniers ont bien sûr un rôle à jouer, mais nous aussi, les gouvernés, sommes appelés à apporter notre contribution et là j’aimerai bien citer le président John Kennedy : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays ». Il faut stopper cette dépendance extrême des pouvoirs publics. N’en faisons pas d’eux nos mamans nos papas en toutes circonstances. »

RavishRavish Pothegadoo, directeur de Talent On Tap

« Les entreprises qui ne pourront pas absorber les coûts mettront une partie des employés à la porte. Ces mesures auront aussi un impact sur le recrutement. Si un réceptionniste veut bouger dans une autre entreprise, il risque de toucher le même salaire qu’il gagne actuellement s’il y a une harmonisation des salaires. Il perd ainsi son pouvoir de négociation. »

janeJane Ragoo, syndicaliste 

« Les Mauriciens doivent pouvoir avoir un bon salaire et doivent pouvoir bien manger. Nous aurons ainsi une population en bonne santé et non pas une population qu’il faudra soigner d’autant plus que Maurice est classé 7e dans le monde avec un diabétique pour chaque cinq habitants. »

FrancoisFrançois de Grivel, industriel

« À la limite, c’est le pays qui sera perdant. L’inflation va grimper et le coût de la vie va augmenter. Cette décision a été un peu rapide, trop politique et électoraliste. »

 

 

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