Dans un entretien exclusif au Défi Quotidien, la Chief Executive Officer (CEO) du Sugar Investment Trust, Nishta Jooty-Needroo, fait le point sur les défis immédiats que la nouvelle équipe a été appelée à relever. En poste depuis six mois, elle insiste sur la nécessité de prendre des décisions courageuses. Elle partage également sa vision pour le SIT, une entité qui compte plus de 55 000 actionnaires issus de la communauté des planteurs.
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Vous avez pris les rênes du Sugar Investment Trust en avril. Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous décrire le profil des actionnaires ainsi que le rôle et les objectifs du Trust ?
Le Sugar Investment Trust (SIT) a été créé en 1994 en vertu du Sugar Industry Efficiency Act (SIE Act) avec une mission claire : permettre aux petits planteurs et aux employés de l’industrie sucrière d’avoir une participation directe dans la transformation du secteur. Il s’agit d’une entreprise publique opérant sur une base purement commerciale, régie par le Companies Act, et l’une des plus grandes sociétés actionnariales de Maurice avec plus de 55 000 actionnaires, majoritairement des planteurs, des anciens employés d’usines sucrières et leurs familles.
À l’origine, le SIT avait été mis en place comme un véhicule d’investissement pour détenir des participations dans les sociétés sucrières. Au fil des années, il a diversifié ses investissements vers d’autres secteurs, notamment l’agriculture, les loisirs, l’énergie et le développement immobilier. Notre rôle fondamental est de préserver et faire fructifier ces investissements tout en veillant à une gestion durable et responsable de nos actifs, notamment fonciers. Les terres, bâtiments et le portefeuille diversifié d’activités doivent contribuer au développement économique du pays tout en générant de la valeur pour nos actionnaires.
Cependant, au fil du temps, l’organisation s’était éloignée de sa mission initiale. Les faiblesses de gouvernance, le manque de rigueur financière et l’absence de stratégie globale avaient érodé la confiance. Depuis avril dernier, notre priorité, celle du Conseil d’administration et de la direction, a été de restaurer la discipline, la crédibilité et la cohérence de l’organisation. Il s’agit aujourd’hui de reconstruire un SIT solide, transparent et porteur de sens, opérant avec la rigueur d’un acteur privé tout en restant fidèle à sa mission publique.
Quel a été votre constat de la situation – gestion générale et état des finances – au moment de votre arrivée ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions le 15 avril 2025, j’ai trouvé une institution à genoux. Le SIT faisait face à une dette colossale de plus d’un milliard et demi de roupies, une trésorerie en crise, et une menace immédiate de saisie de ses actifs par la banque. Nous étions tout simplement au bord de l’effondrement.
Les audits internes ont révélé une gestion éclatée, des décisions incohérentes et parfois douteuses : terrains cédés à des prix dérisoires, contrats mal encadrés, dépenses non maîtrisées et absence de suivi rigoureux. La gouvernance manquait de transparence, les filiales fonctionnaient en silos, sans coordination ni vision commune.
Mais au-delà des chiffres, c’est la dimension humaine qui m’a le plus marquée : une profonde démotivation, une perte de confiance généralisée, et une image ternie auprès du public. Le SIT, autrefois symbole de progrès collectif, avait perdu sa crédibilité.
Ce constat sans détour a été le point de départ de notre travail. Il fallait agir vite, avec lucidité et rigueur. J’ai fait le choix de la transparence totale : dire les choses, les affronter, et reconstruire sur des bases saines — parce qu’on ne redresse pas une institution en fuyant la vérité.
À l’issue de cet état des lieux, le nouveau management et le conseil d’administration ont été appelés à prendre des décisions drastiques. Pouvez-vous faire le point sur ces actions urgentes ?
Oui, les premières semaines ont été marquées par des décisions fortes et parfois difficiles, mais indispensables pour sauver l’institution. D’abord, nous avons agi là où des irrégularités avérées ont été constatées. Un employé décisionnaire a été suspendu, le contrat de notre CFO a été résilié, et plusieurs membres du personnel ont été repositionnés vers d’autres postes ou sites. Plusieurs dossiers ont été transmis aux autorités compétentes. En parallèle, nous avons engagé des actions légales contre certains locataires et acquéreurs de terrains qui accumulaient des arriérés importants.
Sur le plan opérationnel, nous avons revu et sécurisé tous les contrats de location, réévalué nos biens immobiliers afin d’être en ligne avec les prix du marché, et gelé les dépenses non essentielles. Les contrats de services et de fournisseurs ont été passés au crible, certains ont été renégociés, d’autres résiliés.
Sur le volet financier, nous avons mené un audit approfondi pour identifier les véritables sources de pertes, clarifier les engagements hors bilan et reprendre le contrôle de nos flux de trésorerie. Cela nous a permis d’ouvrir des discussions avec les banques et d’obtenir la restructuration de l’ensemble de notre dette.
Enfin, nous avons relancé la commercialisation des terrains dans plusieurs morcellements, avec une approche marketing plus proactive. Les revenus générés servent directement au remboursement de la dette et à la stabilisation de la trésorerie. Une institution comme le SIT ne peut être redressée sans lucidité, courage et cohérence. Ces trois piliers guident chacune de nos décisions depuis avril.
Qu’en est-il du niveau d’endettement du Trust ? Est-ce gérable à court et moyen termes ? Aurez-vous besoin de l’aide de l’État ?
Le SIT reste une entité endettée, c’est un fait. Mais je peux affirmer, aujourd’hui, que nous avons repris le contrôle. Nos dettes étaient non seulement importantes, mais surtout mal structurées. Nous avons travaillé avec nos conseillers financiers pour revoir la répartition entre dettes court et long termes, et mettre en place un cadre de gestion proactive de la dette.
Grâce à ces efforts, le risque de liquidité a été contenu, et nous avons désormais une meilleure visibilité sur nos engagements. Cela ne veut pas dire que le chemin est simple : nous devons continuer à générer des revenus stables et durables pour honorer nos obligations sans compromettre nos opérations.
Quant à l’État, notre approche est claire : nous cherchons d’abord à nous redresser par nos propres moyens. Notre stratégie repose sur la valorisation de nos propres actifs, sur une meilleure rentabilité de nos filiales, et sur la mobilisation de partenaires privés autour de projets solides.
En d’autres termes : retrouver notre autonomie financière est un objectif, pas une option.
On oublie souvent que le SIT possède et gère des centaines d’hectares de terres agricoles. Quels sont les projets en cours dans le domaine agro-industriel et immobilier ?
Effectivement, c’est un aspect souvent méconnu. Le SIT demeure l’un des plus grands détenteurs de terres agricoles du pays, avec des surfaces exploitées en canne à sucre, cultures vivrières et projets à venir.
Nous avons entrepris une revue complète de notre réserve foncière, en collaboration avec la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA). Chaque parcelle a été classée selon son potentiel : terres à vocation sucrière, terres adaptées aux cultures vivrières, et terres marginales destinées à d’autres projets
À ce jour, 550 arpents de canne sont cultivés, avec un objectif de 9 700 tonnes récoltées pour 2025, 3 800 tonnes ont déjà été livrées à l’usine à maintenant, 90 % des terres disponibles sont louées à des planteurs ; nous visons 100 % d’ici la fin de l’année.
Et surtout, nous avons relancé la pépinière de Britannia, une infrastructure négligée depuis des années, qui jouera désormais un rôle central dans la production de plants fruitiers, d’arbres ornementaux et dans le reboisement. Cette relance agricole n’est pas anecdotique : c’est le retour à l’essence même du SIT, au service des planteurs et de la sécurité alimentaire.
Sur le plan énergétique, nous avons choisi de faire de la transition énergétique un pilier stratégique. Nous croyons à un modèle où agriculture et énergie propre coexistent de manière intelligente. Nos terres moins fertiles deviennent une opportunité. SIT détient une participation de 49 % dans le projet EOLE à Plaine-des-Roches. Nous avons identifié 450 arpents pour des projets solaires et 100 arpents pour des projets agrivoltaïques pilotes. Des discussions sont en cours de finalisation avec plusieurs promoteurs locaux et internationaux.
Notre ambition est de faire du SIT un acteur clé du développement durable, en associant production agricole, énergie verte et création de valeur économique.
Sur le plan immobilier, c’est l’un des leviers majeurs de notre redressement. À mon arrivée, de nombreux projets étaient en suspens ou sous-évalués. Nous avons procédé à une réévaluation complète de notre portefeuille foncier et immobilier, relancé la commercialisation dans les morcellements existants, ajusté les prix pour refléter la réalité du marché et réactivé plusieurs projets d’envergure : Auréa à Bois-de-Cannelle (19 arpents), Côte-d’Or (21 arpents), Belle-Rive (55 arpents).
Tous ces projets sont financés sur fonds propres, réalisés avec des contracteurs de grade A, et pilotés dans un cadre de transparence totale.
Mais notre stratégie ne se limite pas à vendre : nous ne voulons pas dilapider notre patrimoine foncier. Après chaque projet, nous avons pour objectif d’acquérir un nombre équivalent de terrains, afin de ne jamais épuiser notre « land bank » et de préserver notre position stratégique et notre notoriété en matière de foncier disponible. Cette approche garantit que le SIT reste un acteur incontournable dans le développement immobilier et agricole du pays, aujourd’hui et demain.
Vous êtes appelée à gérer un gouffre financier à l’est du pays, le Splash N Fun Leisure Park. Que se passe-t-il ? Des décisions difficiles sont-elles à prévoir ?
C’est effectivement un dossier sensible, mais il fallait avoir le courage de trancher. Le Splash N Fun Leisure Park a été fermé définitivement en mai 2025, après plusieurs années de pertes financières importantes et sans aucune perspective réaliste de redressement. Continuer à l’exploiter aurait mis en danger la survie même du Trust.
Cette décision difficile a été prise avec un principe clair : aucun employé ne serait laissé pour compte. Sur les 48 membres du personnel, 47 ont été redéployés dans d’autres entités du SIT ou au sein du ministère de l’Agro-Industrie, et des discussions sont en cours pour le dernier cas restant.
Le parc ne sera ni vendu, ni bradé. Il demeure un actif stratégique du SIT, et nous étudions plusieurs scénarios de valorisation — dans le respect de l’intérêt collectif et de la viabilité économique.
Cette fermeture marque un tournant symbolique pour l’organisation : celui du réalisme, de la responsabilité et de la discipline financière. Il ne s’agit pas d’un abandon, mais d’une décision de gestion mature, tournée vers la reconstruction durable du Trust.
Quelles sont vos ambitions pour le SIT dans les moyen et long termes ? Est-ce réaliste dans un contexte économique incertain ?
Je crois profondément que le redressement du SIT n’est pas seulement possible : il est nécessaire. Avec le conseil d’administration, nous avons défini un plan stratégique sur cinq ans, avec des objectifs clairs : restaurer la confiance des actionnaires, rationaliser la structure du groupe pour la rendre plus performante et réactive, générer des revenus récurrents et durables à partir de nos actifs fonciers, agricoles et immobilier, réinscrire le SIT dans une logique de développement national, où la performance économique sert le progrès collectif.
À moyen terme, nous visons l’équilibre budgétaire et une gouvernance exemplaire. À long terme, nous voulons faire du SIT une institution modèle : transparente, crédible, et capable d’innover dans des secteurs stratégiques.
Même si la croissance économique du pays reste modérée, les marges de progrès internes sont considérables. Le SIT dispose d’atouts uniques : un patrimoine foncier riche, un réseau d’actionnaires solidaires et une histoire profondément enracinée dans le développement rural mauricien.
Le défi consiste désormais à transformer cet héritage en moteur d’avenir. Avec une équipe mobilisée, une vision claire et une discipline de gestion partagée avec le conseil d’administration, le SIT peut redevenir ce qu’il aurait toujours dû être : un symbole de réussite collective, d’autonomie économique et de confiance retrouvée.
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