
À l’ouest de Maurice, Nicholas, surnommé le « planteur aux pieds nus » ou Rasta, cultive ses légumes avec amour, sans pesticides ni chimie. Ses mains plongent dans la terre humide, semant graines, laitues, haricots, aubergines et piments. Pour lui, la terre est plus qu’un travail : elle nourrit ses rêves et ses enfants.
« La terre, c’est ma vie. C’est grâce à elle que j’ai pu construire un avenir pour mes enfants », confie Nicholas, tout en mâchant une canne. Il regarde le ciel, le sourire large. Autour de lui poussent les légumes : verts tendres, éclats de violet, rouge flamboyant. Pas de fumée blanche d’épandage, pas d’odeur toxique : juste l’arôme simple des légumes frais, la promesse du goût vrai. Son verger est une page écrite à la main, une ode à ce que la nature donne quand on la respecte.
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Dans le sang de la terre
L’histoire de Nicholas commence dans une famille de six enfants. Son père était maçon et sa mère labourait le thé. Dès le plus jeune âge, il aidait sa mère dans les champs, ses mains apprenant la caresse du sol, la patience du semeur. À 11 ans, il quitte l’école, non pas pour abandonner ses études, mais pour rejoindre la terre, pour vivre avec elle.
Il rêvait d'être menuisier, de façonner le bois, mais son coeur penchait vers la graine, la pousse, le vert qui sort du noir. Dès lors, il devient planteur, apprend dans plusieurs vergers et emmagasine l’expérience au fil des années. Aujourd’hui, il est vétéran de la terre. « Mo pa fer sa metye zis pou kas, mo fer li parski mo kontan », dit-il, la voix posée.
Il ne croit pas qu’il s’agit simplement d’un travail, mais d’un don : celui de donner la vie et la recevoir. Ses enfants, eux, ont choisi d’autres chemins, mais tous savent ce que la terre a fait pour eux. Ils respectent son silence, ses sueurs, ses matins de labeur et ses soirs de fatigue, car tout ça est le fondement de leur dignité.
La positivité comme moteur
Si la terre est le miroir de ses mains, la joie est le reflet de son âme. Grandir dans la pauvreté n’a pas brisé son sourire. « La joie pa zis enn zafer kas sa, li plis dan pozitivite », confie‑t‑il. Dans ce foyer de six enfants, malgré l’absence de grands moyens, les rires et l’entraide se mêlaient, et là où le défi aurait pu briser, il rassemblait et fortifiait la famille.
Un grand nombre de personnes considèrent Nicholas comme un philosophe, non pas parce qu’il aime les discours, mais parce qu’il est sage : ne pas porter de regret, apprécier ce qui est, sourire malgré l’adversité. « Mo touzour bien relax, san traka, mo pran lavi kuma li ete », dit‑il, en essuyant de la terre ses mains calleuses. Le temps, pour lui, se mesure autrement. Il ne compte pas les heures, il compte les moments : la graine qui rompt sa peau, le légume qui s’épanouit, le chant du coq à l’aube. Et dans ces instants, il forge son caractère, il tisse son humanité.
Pour beaucoup, un légume est un produit, un bien qu’on achète, qu’on consomme. Pour Nicholas, chaque plante est un être délicat. « Zot pa kapav kozer, ni bouze, nou bizin compran li », confie-t-il avec douceur. Il la nourrit sans excès, sans engrais de synthèse, sans pesticide. Il ne force pas la croissance : il accompagne la plante. « Mo pa servi pesticid ek mo pa dope mo ban legime. Mo les zot grandi a zot ritm », explique‑t‑il.
Le matin il arrose, l’après‑midi il désherbe, le soir il surveille les ravageurs. Pour lui, ce n’est pas une corvée, mais plutôt une prière, un dialogue secret entre l’homme et la pousse. Chaque légume qui vient sur ses étals, il le regarde grandir, un miracle en silence. Derrière chaque feuille, il y a le combat du planteur : chaleur, pluie insuffisante, maladie, insectes. Mais aussi la tendresse, les sacrifices, des heures sans repos, souvent la fatigue dans les muscles, parfois le doute sur le lendemain.
Il ne se considère pas comme un homme d’affaires, car il est planteur par amour. Il confie : « Mo pas forse mo legime pou pouse, mo pas zis envi fer cass ek sa… mo vann li ou mais avek mo leker ». Il veut que ce soit juste, honnête, bon pour lui, pour le sol et pour ceux qui les mangeront.
Quid des difficultés, comme la sécheresse ? Pour Nicholas, ces périodes sont cauchemardesques. Il regarde le ciel, attend les nuages, mais ne reste pas les bras croisés. Avec l’expérience, il a installé un système de collecte d’eau de pluie, des réserves dans des citernes, des gestes simples pour retenir l’eau. « L’eau, c’est la vie, na pa gaspille li », lance‑t‑il.
Respecter Mère Nature
La pénurie de légumes ne touche pas simplement le marché, elle affecte le quotidien : ce que l’on mange, ce que l’on partage. Mais plus qu’un planteur, Nicholas est un passeur de conscience. Il sensibilise, il explique, il alerte. Préparer l’avenir, pour lui, c’est apprendre à anticiper la sécheresse, à respecter chaque goutte d’eau, à vivre en harmonie avec le climat, pas contre lui.
En l’écoutant, on comprend que la terre n’est pas simplement un support de vie : elle est sa chair, son langage, son épée et sa paix. Planter une graine, cultiver un légume sans engrais chimiques ni pesticides, c’est pour lui un acte d’amour, une fidélité à ses racines, un engagement envers ses enfants et toute la communauté. Ses gestes de chaque jour, ses regards attentifs, sa sérénité face aux défis démontrent qu’un autre modèle est possible, une agriculture où le respect, la patience, la joie et la dignité habitent tous les instants.
Le visage du planteur pieds nus révèle une vérité simple : dans sa terre, il a bâti bien plus qu’une source de revenus, il y a fondé un avenir, transmis une fierté, semé l’espérance. Si chacun écoutait la terre avec autant de coeur que lui, le monde respirerait différemment.

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