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Nando Bodha : «Je n’ai jamais cru au leadership de Navin Ramgoolam»

 Entre hausse de la criminalité et défiance citoyenne, Nando Bodha dresse un constat alarmant de la sécurité à Maurice et appelle à un renforcement urgent des institutions.

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En tant que leader du Rassemblement Mauricien, vous avez publié vendredi un mémo sur le Law and Order. Cela va-t-il si mal que cela ?
La situation sécuritaire est, en effet, préoccupante. Depuis plusieurs mois, nous observons une montée constante des violences : agressions, vols avec brutalité, attaques dans les transports publics, jusqu’aux gares et même aux hôpitaux. Mon mémo n’a pas pour but de noircir le tableau mais d’alerter sur des faits concrets. On a peur des lieux publics, de la rue. On s’enferme. C’est un appel à l’action pour que l’État renforce la prévention, la présence policière et les mécanismes de justice et que tous les décideurs réalisent qu’il y a une lame de fond, des tensions et qu’un simple incident peut déclencher une violence inouïe.

Dans votre lettre à la nation, vous évoquez une série d’attaques, de violences dans le transport public et aussi dans le métro, sans parler d’une tentative d’enlèvement d’enfants. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ?
Ces incidents révèlent un système de sécurité qui montre ses limites. Il y a un déficit de prévention, un manque de coordination entre la police, la justice et les services sociaux, et une perte de confiance du public. Dans notre programme, nous avons proposé un ministère de l’Intérieur pour le maintien de l’ordre et de la paix, la lutte urgente contre la drogue, ainsi qu’une lutte sans merci contre la fraude et la corruption. Le Premier ministre a beaucoup de responsabilités. Si les citoyens ont peur de circuler, c’est que l’État de droit doit être consolidé. La police doit avoir les moyens et la formation adéquate. On doit se poser les vraies questions : nous avons un tissu social fragile. Il y a un sentiment de désespérance, d’exclusion. C’est un malaise social profond qui doit nous interpeller. C’est cela mon cri d’alarme, car j’aime ce pays.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : un délit se produit toutes les huit minutes. Cela représente près de 200 cas par jour, plus de 75 000 par an dans un petit pays comme Maurice…
Ce chiffre est glaçant. Près de 200 infractions par jour ne peuvent être relativisées. Si nous ne réagissons pas avec des politiques fortes – éducation, emploi, présence policière, suivi social – nous risquons que la peur et la défiance deviennent la norme. Le désespoir, la misère, le coût de la vie, le chômage, la drogue et le laxisme constituent un cocktail explosif. Et on a perdu la confiance dans la classe politique. Auparavant, on croyait fortement que tout problème avait une solution politique. Aujourd’hui, on est en train de dire que c’est la politique qui est à l’origine de tous les problèmes. Les jeunes, de ce fait, ne croient plus en cela. Il faut réunir le leadership politique, les chefs religieux et la société civile pour rétablir une nouvelle boussole nationale.

La drogue envahit tous les quartiers, alimente les vols, violences et règlements de comptes. On arrête les petits consommateurs, mais les gros bonnets semblent toujours s’en sortir. Comment l’expliquer ?
La drogue alimente la violence, les règlements de compte et les vols. On ne peut pas se contenter d’arrêter les petits consommateurs. Il faut des enquêtes financières, une coopération internationale et la garantie que personne n’est au-dessus de la loi. La lutte contre la corruption interne dans les institutions de sécurité est tout aussi essentielle.  Nous avons déjà une « narco-économie » avec des milliards blanchis, des « drug territories » sans loi et une infiltration à tous les niveaux.  Les moyens sont trop limités : Rs 300 millions pour l’Adsu sur un budget de Rs 14 milliards pour la police, à peine 
400 officiers sur un personnel de 13 000 policiers. Il faut une volonté politique sans faille avec des hommes intègres et compétents à la tête.

Vous dites que l’insécurité est partout dans votre lettre au gouvernement. Et on vous cite : « Les victimes sont des personnes âgées, des enfants, des femmes, des personnes handicapées : personne n’est à l’abri. L’insécurité est partout. La famille mauricienne ne peut plus circuler librement, car elle a peur. Même les touristes, qui croyaient Maurice sûr, deviennent victimes. Cela ternit l’image de notre pays. » La situation serait aussi alarmante ?
Oui, elle l’est. Un businessman et père de famille m’a écrit ceci : « Your opinion is brilliant, 1000 per cent true! » Lorsque des enfants, des femmes, des personnes âgées ou handicapées, et même des touristes, deviennent victimes, c’est l’image et l’âme du pays qui sont touchées. Demandez au citoyen s’il a peur. L’industrie de l’équipement pour la sécurité – alarmes, caméras, matériel de surveillance, articles électroniques – est en plein essor.

Il est urgent de rétablir la confiance par une action coordonnée entre la police, la justice, les collectivités locales et les citoyens eux-mêmes.

Venons-en aux manifs contre la réforme de la Basic Retirement Pension (BRP). La foule s’amincit de jour en jour : lassitude ou peur ?
Toute mobilisation connaît des hauts et des bas. La fatigue peut expliquer la baisse de participation, mais il ne faut pas sous-estimer la détermination de ceux qui défendent leurs droits. La liberté de manifester est un pilier de notre démocratie et ne doit pas être intimidée. 

Lors de la dernière manifestation à Rose-Hill, j’ai pu le constater, elle a réuni seulement les irréductibles, les « militants » de la cause. C’est triste, car la réforme de la pension touche les travailleurs d’aujourd’hui mais surtout les générations de demain. Elle interpelle les jeunes qui vont travailler demain. Nous devons les mobiliser. Ce n’est pas seulement de la lassitude, c’est aussi un sentiment de fatalité, auquel s’ajoute la peur face à un gouvernement au score de 60-0.

Sithanen père et fils écartés, on voit désormais prendre la barre une femme. Avions-nous besoin de cette télénovela à la tête de la Banque de Maurice (BoM) ?
Sithanen père et fils n’ont pas fait honneur au pays. Rama Sithanen s’est englué dans le marécage de la politique. J’espère que le fils Sithanen ne symbolise pas notre Gen Z locale.

La BoM est une institution-clé. Chaque nomination doit être fondée sur la compétence, l’expérience et l’indépendance, non sur des jeux de pouvoir ou des querelles personnelles. Ce qui compte, c’est la stabilité et la crédibilité de l’institution face aux défis économiques. 

Il y a des enjeux majeurs : les recommandations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international concernant la capitalisation et la gestion de la Mauritius Investment Corporation, la parité de la roupie et la supervision des activités des banques commerciales. La nomination de la nouvelle gouverneure nous donne l’espoir d’un nouveau chapitre. Attendons de voir, car Navin Ramgoolam reste le ministre des Finances.

Certains membres de l’ancien gouvernement ont été pris à partie lors de manifestations syndicales…
Nous ne devons jamais tolérer la violence dans les manifestations. Dans une manifestation, il faut qu’il y ait de la ferveur et de la détermination, mais toujours dans la discipline. Regardez la situation en France : on redoute la violence lors des manifestations, malgré une force de l’ordre colossale. Il ne faut pas en arriver là. 

Quant au MSM, chaque parti est responsable de son image et de son histoire. J’ai toujours dit que tout parti national peut reconquérir une majorité avec un renouveau et un programme sincère de changement à tous les niveaux, y compris au sein du parti. Mon rôle n’est pas de commenter les calculs politiciens, mais de rappeler que la transparence, l’écoute des syndicats et le dialogue social sont indispensables à la paix civile.

Votre parti ne mène pas large dans les sondages. Pourriez-vous revenir à vos origines politiques en étant de nouveau membre du MSM et numéro deux du leader orange ?
Je crois que lors des dernières élections, l’effet de Missie Moustass a créé un tsunami. La population mesure aujourd’hui la portée de son choix et assurément la force de son vote. Dans cette optique, mon engagement actuel est clair : rassembler au-delà des étiquettes partisanes.

Quant à mes origines politiques, je reste attaché aux valeurs et aux principes de Sir Anerood Jugnauth. Beaucoup au MSM me parlent dans ce sens, d’autres aussi, mais l’important pour moi est un vrai « sanzman » pour le pays après la déception du régime actuel. Je travaille pour une vision qui dépasse les anciennes alliances. Je suis pour une « révolution démocratique » avec un changement fondamental. Et mon appel à tous les Mauriciens de bonne volonté va dans ce sens.

Et si Navin Ramgoolam vous demandait, dans l’absolu bien sûr, de vous joindre à son équipe en fin de mandat, vous lui diriez quoi ?
Je suis toujours ouvert au dialogue dans l’intérêt national, mais je reste attaché à des principes : intégrité, transparence, priorité au bien commun. Sincèrement, je n’ai jamais cru au leadership de Navin Ramgoolam. C’est pourquoi je ne suis pas parti avec Paul Bérenger et Xavier Duval lors des premières rencontres entre Ramgoolam et l’Espoir en novembre 2022.

1995, 2005, 2010 ont été des ratages avec des dérives graves. Toute collaboration éventuelle devrait être fondée sur ces valeurs, pas sur des calculs électoraux.

Votre analyse sur la performance du gouvernement après 10 mois au pouvoir ?
Le contrat de confiance entre le peuple et le gouvernement est rompu. Les promesses non tenues et le traumatisme de la réforme électorale ont davantage créé un sentiment de trahison et de désespoir. Les nominations à la Ramgoolam sont une négation de la méritocratie. Et il n’y a pas de vision nouvelle. Résultat : un sentiment de colère et de crainte face à l’avenir, et surtout la volonté des jeunes de partir ailleurs.

Beaucoup de promesses restent sans résultats concrets. L’insécurité, le coût de la vie, la drogue et la corruption demeurent des problèmes majeurs. Les citoyens attendent des actions mesurables, pas seulement des annonces.

Les observateurs politiques voient en vous un homme qui aspire au poste suprême de Premier ministre…
Des observateurs l’ont dit, Paul Bérenger l’a dit aussi. Mon objectif est de servir le pays, pas un titre. Le poste importe moins que la mission : restaurer la confiance dans le leadership politique, renforcer l’État de droit et bâtir une société plus juste, et surtout assurer le partage du gâteau national. Si un jour on me confie une plus grande responsabilité, je peux vous assurer d’une chose : je prendrai les décisions qu’il faut, avec détermination, « without fear or favour ».

 

 

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