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Me Robin Ramburn : «Je ne suis pas là pour être la nounou des avocats»

Me Robin Ramburn, Senior Counsel a été élu président du Bar Council, le 29 janvier 2024. Il explique sa démarche de demander aux avocats de reporter leurs affaires, en raison de l’absence de climatisation à la New Court House. Il avance qu’il y va de la santé des magistrats, des avocats, du personnel et du public.  

C’est votre deuxième mandat en tant que président du Bar Council. Diriez-vous que la situation par rapport aux avocats a changé entre ces deux mandats ?
Je reviens à la tête du Bar Council dix-sept ans après. Les choses ont donc évolué. De plus, le nombre d’avocats a quasiment quadruplé depuis. Il y a plus de jeunes dans la profession. Les inspirations sont différentes. Les opportunités sont ouvertes à divers secteurs. Il y a maintenant des firmes d’avocats qui sont bien présentes. C’est un paysage différent après dix-sept ans.

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À peine élu à la tête du Bar Council, vous lancez un ultimatum aux autorités pour régler le problème de la climatisation à la New Court House. Vous avez demandé aux avocats de reporter leurs affaires. Pourquoi ce premier cheval de bataille ?
D’abord, il faut remettre les choses dans leur contexte. C’est un problème qui dure depuis un certain temps. Si vous parvenez à supporter la chaleur qu’il fait dans ce bâtiment, vous êtes bien brave, je dirai. Les avocats exercent dans des conditions déplorables et ils souffrent. Car, nous portons la toge, le rabat, le costume, etc. Sans ventilation et aération, ce n’est pas plaisant du tout.

Mais ne focalisons pas tout sur nous. Un avocat se rend au tribunal pour un procès qui peut durer au maximum une heure. Imaginez les magistrats qui siègent dans ces salles d’audience durant toute une journée. C’est la même situation pour le personnel, les huissiers, les greffiers, les policiers et le public. Je n’invente rien en disant qu’à plusieurs reprises le Service d’aide médicale urgente a dû être mandé. Parce que des personnes font des malaises en raison de la chaleur. Il est temps de trouver une solution. On ne peut pas s’asseoir et dire : on a fait ce qu’on a pu. 

Qu’en est-il de votre réunion avec les responsables de la Cour suprême ?
Heureusement, le 31 janvier 2024, nous avons eu une réunion avec la Master and Registrar, Wendy Rangan, le Deputy Master and Registrar, Vijay Appadoo. Il y avait aussi la Mauritius Law Society, les préposés du bureau du Directeur des poursuites publiques et ceux de l’Attorney General. On a pu trouver des solutions temporaires. J’espère pouvoir aider tout le monde. Le bureau du Master and Registrar va bientôt publier un communiqué pour donner des directives sur la façon dont on va travailler à partir du 5 février 2024. Nous avons fait plusieurs propositions et nous avons pu trouver des solutions. Nous ne voulons pas pénaliser les procès. Mais nous voulons être traités avec dignité. Il est question de notre santé aussi. Il y a des personnes qui souffrent d’hypertension. Imaginez le pire. Plutôt prévenir que guérir.

Vous avez notamment déclaré que vous êtes là pour imposer la discipline. Vu le nombre d’avocats et le nombre de plaintes contre des membres de la profession légale, pensez-vous avoir les moyens et les ressources pour mener à bien ce projet ?
La discipline est prévue dans notre loi. Aussi, notre Code éthique dit ce qu’un avocat peut ou ne peut pas faire. Quand il y a une plainte, on enquête. S’il faut exiger de la discipline, je le ferai. C’est dans ce contexte que je l’ai dit. Je ne suis pas là pour être la nounou des avocats. Loin de là. Les avocats sont des personnes qui connaissent leurs responsabilités. S’il y en a qui dérapent, c’est à nous de les ramener à l’ordre. Ce qui concerne une poignée d’avocats. 

Je constate également qu’il est facile de porter plainte et de dire n’importe quoi. Ce sont peut-être des allégations sans substance. Parfois, les gens sont mécontents d’avoir perdu leur procès ou ils se plaignent du coût. Lors de mon premier mandat en tant que président, il y avait eu beaucoup de plaintes dénuées de tout fondement. Il y avait une personne qui était mécontente et mal conseillée par une personne qui n’est pas de la profession. Toutes les plaintes ne sont pas forcément fondées. Il n’est pas juste de dire que tous les avocats sont des brebis galeuses.

Un de vos prédécesseurs a évoqué une refonte de la loi-cadre régissant les avocats à Maurice : la Law Practitioner’s Act. Il estimait qu’elle est archaïque. Partagez-vous la même opinion ?
Archaïque, je ne pense pas. Car tant bien que mal, cette loi nous a bien rendu service jusqu’à présent. Nous avons réprimandé ceux qui le méritaient. Nous avons aussi notre code de déontologie. Il faut peut-être revoir certains aspects. Mais revoir la loi que pour le besoin de réformer n’est pas forcément une bonne chose. Je pense qu’il faut s’asseoir et voir à tête reposée, ce qui ne fonctionne pas dans la présente législation et proposer des amendements. Aussi longtemps que les amendements font progresser les intérêts de la profession, je suis pour.

Il a été notamment question d’un projet de loi pour instaurer un tribunal disciplinaire pour les avocats : la Law Practitioners (Disciplinary Proceedings) Bill. Peut-on savoir ce qu’il est advenu de ce projet de loi ?
Je ne sais pas où en est ce projet de loi. J’ai pris mes fonctions de président du Bar Council, lundi, et j’étais pris avec les démarches pour régler le problème de la climatisation défaillante à la New Court House. J’essaie de trouver une solution assez rapide avec les personnes concernées. Donc, je ne saurai vous dire au pied levé ce qui est advenu de ce projet de loi. Je dois m’enquérir auprès des membres qui étaient là, avant moi.

Sur le principe, un tribunal pour les avocats qui ne respectent pas la déontologie de la profession a-t-il sa raison d’être ?
La tâche de discipliner les avocats incombe à la Cour suprême. C’est une procédure qui a porté ses fruits. Faut-il un tribunal spécialisé pour s’en occuper ? Qui sera appelé à présider ce tribunal ? Un juge ou un ex-juge ou un membre de la profession ? Il m’est difficile de répondre. Car je ne sais pas les tenants et aboutissants de ce projet. Je vais devoir examiner la proposition avant de vous répondre.

De quels pouvoirs de sanctions dispose le Bar Council ?
Autant que je sache, le Bar Council a le pouvoir d’enquêter sur une plainte contre un de ses membres. La seule sanction qu’on est habilité à infliger, c’est un avertissement. Mais si jamais le Bar Council considère que le manquement est plus grave, il réfère l’affaire au bureau du chef juge. Celui-ci décidera s’il faut aller de l’avant avec les accusations portées contre l’avocat. Si le chef juge conclut qu’il y a matière à sanction, un tribunal disciplinaire, constitué de juges, s’occupe de l’affaire.

Faut-il, selon vous, accorder plus de pouvoir de sanctions au Bar Council ?
Pourquoi pas ? Toutefois, si ce sont les membres du Bar Council qui enquêtent sur une plainte portée contre un avocat, le Bar Council ne peut pas aussi infliger de sanction disciplinaire. On ne peut être juge et partie. C’est pourquoi la Cour suprême est dotée de pouvoir de sanctions contre un avocat. C’est une procédure qui a fait ses preuves jusqu’à présent. Considérant le nombre d’avocats au barreau, il faut voir. Cela dit, vu le nombre de juges, on peut confier à certains la tâche d’écouter une affaire disciplinaire.

Le commissaire de police a entamé une guerre de territoire contre le Directeur des poursuites publiques, concernant les accusations provisoires et la décision de s’opposer à la libération sous caution de certains suspects. Quel est votre avis sur cette situation ?
Chacun pense qu’il a un droit spécifique. Je pense qu’un avocat, qui enquête sur une plainte, ne peut pas décider en même temps de l’affaire. Cela dit, je ne vois pas ce qui a changé depuis l’Indépendance, pour que la police décide maintenant que c’est à elle seule d’objecter à la libération sous caution d’un prévenu. Évidemment, la police peut faire des recommandations en ce sens. Chacun a un rôle à jouer dans la procédure. La police se charge de l’enquête et doit veiller à ficeler son dossier. Et s’il y a suffisamment de preuves, elle démontre au DPP les raisons pour lesquelles elle doit objecter. Après avoir examiné l’aspect légal de l’enquête, le DPP peut conclure que la police a raison ou pas. Cela a bien fonctionné dans le passé.

Et présentement ?
Je ne vois pas pourquoi cela ne devrait pas continuer à fonctionner ainsi. Maintenant, s’il s’agit d’un clash entre les titulaires de ces postes constitutionnels, les institutions qu’ils représentent ne sont pas à blâmer. Voilà mon opinion.

Nous assistons depuis un certain temps aux déclarations d’avocats, en dehors de l’enceinte du tribunal, sur des affaires qui sont en cours. Certains propos ont une coloration politique. Que dit le Code de déontologie des avocats à ce sujet ?
En tant qu’avocats, nous ne sommes pas là pour plaider une affaire devant le tribunal populaire. Nous plaidons nos affaires devant une cour de justice. Le public a le droit d’être informé des faits saillants de l’affaire. Mais de là, à étaler les détails en public, de sorte à faire le procès de la personne en public, voire de la politique, c’est inacceptable. Les avocats peuvent communiquer de manière brève sur une affaire. C’est ce que j’ai appris quand j’étais en Angleterre comme avocat.

Durant la pandémie de covid-19, un système a été mis en place pour tenir des audiences en ligne. Pourquoi ne peut-on pas envisager ce procédé, maintenant que les affaires ont repris ?
La question relève des tribunaux plutôt que du Bar Council. Nous pouvons suggérer certaines choses, qui dépendront aussi des moyens techniques dont disposent les tribunaux. La période covid-19 était une situation exceptionnelle. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire un mixte des deux. Si vous avez une affaire avec beaucoup de témoins à auditionner, un procès en présentiel est indiqué pour entendre les témoins de vive voix. Mais si vous avez une affaire qui requiert des débats sur un point de droit avec les avocats seulement, c’est faisable en ligne. Donc, tout dépend du genre d’affaires. Il faut voir le côté pratique. L’avantage de faire un procès en présentiel, c'est que le magistrat pourra voir le comportement du témoin et évaluer son témoignage.

Pourquoi, selon vous, ne peut-on pas faire comme le Privy Council, c’est-à-dire diffuser des procès majeurs en ligne ?
Encore une fois, la question relève des tribunaux. Personnellement, je ne vois aucun problème à mettre un tel système en place.

N’est-il pas plus transparent quand le public peut assister aux débats en ligne ?
Je ne mettrai pas cela sur le compte de la transparence. Les audiences devant les tribunaux, pour la majorité, se déroulent en public. Je dirais que plus de gens auront accès aux travaux.

La Court Officers Association a déploré un manque de personnel au niveau des tribunaux. Les procès-verbaux des affaires en cours se font parfois attendre. Quelle est la solution selon vous ?
Il y a désormais des applications qui permettent de faire la transcription en temps réel. Il faut donc aller dans ce sens-là. Je suis d’accord que le retard des transcrits pénalise les avocats. Cette situation pénalise aussi les magistrats et les juges. Par exemple, une audience peut être ajournée dans deux mois. Pensez-vous que je vais me souvenir de toutes les questions et réponses posées au cours de la précédente audience ? En revanche, si j’avais le transcrit en mains, je serais à même de mieux faire mon travail. S’agissant du personnel, il incombe à la Court Officers Association de faire entendre ses revendications. Je ne saurai vous dire s’il y a un manque de personnel dans l’administration du service judiciaire. Cela dit, un personnel plus important va évidemment accélérer le travail.

Dans de nombreuses décisions, des tribunaux évoquent la surveillance des prévenus en liberté sous caution au moyen de la technologie. Or, le recours au bracelet électronique se fait aussi toujours attendre…
Les magistrats ont fait les observations qui s’imposent selon eux. Il appartient aux autorités de faire le suivi. Nous, au barreau, on peut simplement dire ce qu’on pense sur le sujet. La décision ne nous revient pas. Je suis d’accord que c’est un sujet important, car la liberté sous caution est la règle et la détention est l’exception. Je pense que les autorités sont au courant de la situation et qu’elles doivent agir.

Le mot de la fin ?
J’espère que nous passerons une bonne année et que nous ferons progresser la profession. C’est dans l’intérêt de tout le monde, surtout du justiciable. 

 

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