L’homme de loi et maître de conférence à l’Université de Maurice se veut magnanime. Mais en tant que légiste, il tire la sonnette d’alarme sur ses prévisions de la Prevention of Corruption Act.
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Le président de la cour a rappelé que c’est un cas qui dépasse la présente affaire (...)
Quel est votre constat du procès du Directeur des Poursuites publiques (DPP) vs Pravind Jugnauth ?
D’abord, une belle leçon de démocratie et de fonctionnement d’un État de droit. Ce procès a démontré qu’une bataille juridique peut se faire sans injures, sans arrogance et sans trop de théâtralisation. Le professionnalisme, la courtoisie et l’approche légendaire des avocats anglais, voire ce côté « gentleman », ont frappé les esprits. Du côté des juges, on a vu la simplicité et la courtoisie des gens sur terre. Et non des arrogants qui écrasent et qui pensent tout savoir. Ce sont des leçons à tirer. Pour tout le monde et surtout pour le monde judiciaire et la profession légale.
Une majorité des avocats pensent que Me Montgomery a été bien meilleure que Me Perry et que M. Jugnauth a eu plus de chance. Qu’en pensez-vous ?
Je respecte les opinions de tous et surtout des ténors du barreau. Moi, je refuse de donner un pronostic. Car ce n’est pas un match de foot. Et aussi par respect pour les Law Lords. Dans la forme, je concède que Me Montgomery était plus à l’aise et en verve, car elle avait défendu le cas en Cour suprême en appel. Elle maîtrisait les faits et utilisait rarement ses notes.
Dans le fond, il faut accepter que la tâche de Me Montgomery était plus aisée. Car la Cour suprême avait déjà donné des arguments et elle n’a rajouté que sa couche. Elle a fait comprendre que les arguments de la Cour suprême sur le fait que la sœur de M. Jugnauth n’a rien bénéficié et que ce dernier n’avait pas de Mens Rea spécifique et que la cour intermédiaire n’a pas établi ce point, qui est un élément essentiel en droit pénal. Si jamais, il y a un bénéficiaire c’est la société et non pas la sœur de Pravind Jugnauth. C’est vrai qu’en droit, les associés et la société ont des personnalités juridiques distinctes, mais avec des exceptions. Cependant, il y avait trois questions et remarques des Lords qu’elle a esquivées d’une façon intelligente.
Quid de la prestation de Me Perry ?
Quant à Me Perry, il peut paraître moins impressionnant que Me Montgomery, parfois lourd et ennuyeux pour les profanes. Il faut noter qu’il n’était pas très à l’aise pour répondre à deux ou trois questions. Cependant, il a fait un travail de fourmi. Sa tâche était herculéenne, car il fallait démolir les thèses de la Cour suprême qui est une cour supérieure à la cour intermédiaire. Mais, il a pris son temps pour expliquer la logique derrière la POCA et surtout l’article 13 et les sous-sections 1 et 2. Sachant qu’il s’agit d’une question d’interprétation, il s’est évertué à avoir recours aux travaux préparatoires au lieu d’une interprétation littérale comme adoptée par la Cour suprême et Me Montgomery. Il a pris beaucoup de temps pour creuser ce point. Il a aussi démoli la thèse que l’accusé n’avait pas de Mens Rea, c’est-à-dire intention criminelle.
Son recours au concept de « recklessness » réfute le point de Me Montgomery sur le Mens Rea. Quelqu’un peut ne pas avoir l’intention directe de donner un avantage à un proche, mais le « recklessness » peut être assimilé à une intention oblique, c’est-à-dire implicite au vu des risques potentiels que l’accusé est au courant. Il a aussi démontré que l’écran d’une société ne peut protéger ceux qui sont en conflit d’intérêts pour commettre d’autres délits.
Il a démontré qu’il faut avoir une lecture concomitante de la sous-section 1 et 2 de l’article 13 de la POCA. Or, si tel n’est pas le cas, beaucoup de corrompus passeront à travers les filets. Et la loi ne serait qu’une farce.
Donc chapeau pour Me Montgomery pour la forme et chapeau pour Me Perry pour le fond et sa repartie de la 3ème partie qui était sublime. Quelle a été donc l’approche de la Cour ?
Les Law Lords, tout en étant très « gentlemen » dans leur approche, ont posé des questions pertinentes et des remarques qui en disent long sur leur état d’esprit. Un des Lords avait posé une question à Me Perry pour savoir comment la sœur de M. Jugnauth a bénéficié d’un avantage ou encore que, de toute façon en 2010 ou 2011, la société allait empocher la somme. Me Perry a peiné un peu.
À mon humble avis, il aurait pu expliquer qu’un avantage peut être pécuniaire ou non pécuniaire. Bien que Me Montgomery n’ait pas bafouillé et ne se soit pas perdue dans ses esprits, elle n’a pas pu répondre à la remarque que cela aurait été mieux pour l’accusé de rester loin de cette transaction. Une autre flèche c’est quand un des juges rappelle que l’accusé a probablement « crossed the line ».
Le président de la Cour a rappelé que c’est un cas qui dépasse la présente affaire, qu’ils vont donner un arrêt de principe et que cela n’est pas simplement un cas d’espèce. Donc, il fera abstraction de la personnalité de l’accusé. Autre point qui aurait pu passer inaperçu, c’est que c’est un cas d’appel et c’était à la cour intermédiaire de trancher pour les faits et à la Cour suprême et au comité judiciaire de trancher pour les points de droit.
Ainsi, d’après moi les plaidoiries orales ne représentent qu’un dixième et les représentations écrites représentent neuf dixième. Encore que le Lord President ait donné une semaine pour soumettre des représentations écrites. Il sait que cet arrêt aura une importance capitale pour la définition de ce concept de conflit d’intérêts qu’il faut clarifier une fois pour toutes. Si le cas était clair et déjà gagné d’avance, les Law Lords n’auraient pas fait perdre le temps aux deux sommités du barreau londonien et à Mes R. Ahmine, M. Armoogum, D. Basset et R. Chetty qui ont sans doute fait un travail colossal dans l’ombre.
La présence du directeur de l’Independent Commission Against Corruption (Icac) fait polémique. Votre opinion.
La « volte-face » de l’Icac choque ainsi que la présence physique de son directeur. Et ce, malgré les services retenus d’un avocat anglais. Pourtant, le DPP, qui a retenu les services de Me Perry, a envoyé son équipe et n’a pas fait de déplacement. Quel contraste !
À mon humble avis, au vu des dispositions de la POCA, et en particulier l’article 82, l’Icac n’a que les pouvoirs d’investigation bien précis, tout comme la police. Pourtant, le poste de commissaire de police est constitutionnel. Tel n’est pas le cas pour celui de directeur de l’Icac. Les deux ne peuvent être impliqués dans des poursuites publiques, qu’avec l’autorisation du DPP.
Cette intervention a créé une entorse institutionnelle et probablement a enfreint aussi les dispositions de l’article 72 de la Constitution. Il est urgent de revoir le mode de nomination du directeur de l’Icac et de ses assesseurs afin de garantir sa totale indépendance, son impartialité et le Security of Tenure.
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