
Lorsqu’on parle des relations entre La France et Maurice, la question de Tromelin revient sur la table. Cet îlot inhabité, mais stratégique, cristallise depuis des décennies un différend territorial entre Paris et Port-Louis.
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Malgré une relation diplomatique globalement stable, un différend persiste entre Paris et Port-Louis depuis plusieurs décennies. Celle-ci concerne un petit caillou perdu dans l’immensité de l’océan indien. Située à environ 550 kilomètres au nord de La Réunion et de Maurice, l’île Tromelin est un îlot corallien d’un kilomètre carré, inhabité et inhospitalier. Malgré sa petite taille, cette île est au cœur de tensions diplomatiques récurrentes entre la France et la République de Maurice, en raison de l’importante zone économique exclusive (ZEE) de 280 000 km² qui l’entoure.
L’histoire de Tromelin est marquée par une succession de prises de possession. Découverte par le navigateur français Jean-Marie Briand de la Feuillée en 1722, elle est ensuite administrée par la France. En 1814, le traité de Paris cède l’île de France (ancien nom de Maurice) et ses dépendances au Royaume-Uni. La version française du traité mentionne explicitement les îles considérées comme dépendances, tandis que la version anglaise est moins précise, laissant place à des interprétations divergentes.
Ceci permet à Maurice d’insister sur le fait que la formulation anglaise laisse sous-entendre que Tromelin fait aussi partie du lot.
Pour être plus précis, les autorités mauriciennes fondent leur revendication en partie sur une traduction anglaise du traité de Paris du 30 mai 1814 dans laquelle figure l’expression « especially Rodrigues and the Seychelles ». Or, le texte original, rédigé uniquement en français comme la majorité des traités de l’époque, utilise la formule « nommément Rodrigues et les Seychelles ». Il convient de rappeler qu’aucune version officielle en anglais de ce traité n’existe.
Ce traité avait alors entériné le transfert de l’Isle de France (aujourd’hui Maurice) et de ses dépendances à la Couronne britannique, tandis que La Réunion fut restituée à la France. Les Seychelles, quant à elles, furent administrativement séparées de Maurice sous la colonisation britannique, avant d’accéder à l’indépendance en 1976.
Aussi, Maurice, devenue indépendante en 1968, revendique depuis 1976, soit depuis 49 ans, la souveraineté sur Tromelin, estimant que l’île aurait dû lui être rattachée lors de l’indépendance.
L’intérêt réel de Tromelin
Inhabitée, sauf une permane d’environ quatre personnes pour opérer une station de Météo France, l’île est d’une superficie d’un kilomètre carré. Elle présente une côte sablonneuse longue de 3,7 kilomètres, et s’étire sur environ 1 700 mètres de long pour une largeur maximale de 700 mètres. Entourée d’une barrière de récifs coralliens particulièrement redoutables à la navigation, elle demeure difficilement accessible. L’accostage n’est possible qu’en période de calme marin, par une unique passe étroite située au nord-ouest. La violence de la houle y provoque des déferlantes qui interdisent tout accostage.
Une piste d’atterrissage permettait autrefois à de petits avions, notamment des C-160 Transall de l’armée française, d’y accéder. Aujourd’hui condamnée pour préserver une colonie de fous masqués – des oiseaux marins protégés – l’île n’est plus accessible que par hélicoptère.
Mais, l’intérêt réel est toute autre. Au-delà de sa superficie modeste, l’intérêt pour Tromelin réside principalement dans sa ZEE de 280 000 km². Cette zone offre des droits exclusifs d’exploitation des ressources maritimes, notamment halieutiques, et contribue à faire de la France l’un des États contrôlant le plus vaste espace maritime au monde, avec un total de 11,7 millions de kilomètres carrés de ZEE. Maurice, de son côté, estime que ce contrôle lui revient de droit et a déjà accordé des permis de pêche dans les eaux entourant Tromelin à des bateaux asiatiques. Cependant, ces activités ont été source de tensions, notamment en 2004, lorsqu’un navire japonais a été arraisonné par des militaires français chargés du contrôle de la zone.
Face à ce contentieux, la France et Maurice ont signé en juin 2010 un accord-cadre prévoyant une cogestion économique, scientifique et environnementale de l’île Tromelin et de ses espaces maritimes environnants. Cet accord visait à faciliter la coopération dans des domaines tels que la protection de l’environnement, la gestion des ressources halieutiques, la météorologie et la recherche archéologique. Toutefois, malgré cette avancée diplomatique, l’accord n’a jamais été ratifié par le Parlement français. En janvier 2017, le dossier est remis sur la table des législateurs français mais son examen a été retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, notamment en raison de l’opposition de certains députés, surtout du Front National (devenu Rassemblement Nationale en 2018) et du Medef, qui y voyaient une atteinte à la souveraineté nationale.
Le dossier de Tromelin refait régulièrement surface lors des rencontres franco-mauriciennes, témoignant de la complexité des relations diplomatiques entre les deux pays. Le projet avancé de rétrocession des îles Chagos par le Royaume-Uni à Maurice pourra-t-il raviver les discussions sur les territoires disputés dans l’océan Indien, y compris Tromelin ? Cette évolution pourrait inciter Maurice à intensifier ses revendications sur l’île, bien que la France maintienne, pour le moment, fermement sa position sur sa souveraineté.
En l’absence de résolution définitive, le statut de Tromelin demeure un sujet sensible, illustrant les défis liés à la gestion des héritages coloniaux et des frontières maritimes dans l’océan Indien. Les enjeux économiques, stratégiques et environnementaux associés à cette île continuent d’alimenter les débats et les négociations entre la France et Maurice, rendant ce dossier incontournable lors de leurs échanges bilatéraux.
L’extraordinaire histoire des oubliés de Tromelin
L’histoire de l’île Tromelin reste marquée par un drame humain survenu en 1761. Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, la frégate L’Utile, affrétée par la Compagnie française des Indes orientales, s’échoue sur les récifs de cette île isolée de l’océan Indien. À son bord, 142 marins et 160 esclaves malgaches embarqués à Foulpointe, malgré l’interdiction du Gouverneur de l’île de France (actuelle Maurice).
Une navigation nocturne fondée sur des cartes contradictoires conduit au naufrage. Seuls 80 esclaves survivent, aux côtés des marins. Tandis que ces derniers récupèrent vivres et matériaux de l’épave, ils construisent une embarcation et quittent l’île deux mois plus tard, promettant de revenir chercher les Malgaches. Le commandant en second, Barthélémy Castellan du Vernet, multiplie ensuite les demandes de sauvetage, restées lettres mortes. Le Gouverneur, furieux de l’importation illégale d’esclaves, refuse toute opération.
Les rescapés sombrent dans l’oubli. En 1773, un navire les repère, mais les tentatives de sauvetage échouent à cause des conditions de mer. Ce n’est qu’en novembre 1776, 15 ans après le naufrage, que la corvette La Dauphine parvient à recueillir les huit derniers survivants : sept femmes et un nourrisson.
Le chevalier de Tromelin, qui dirige l’expédition, découvre une communauté ayant survécu grâce à un feu maintenu sans relâche, des abris de fortune et des vêtements en plumes. Accueillis à l’île de France, les survivants sont déclarés libres. L’histoire, relatée plus tard par Condorcet dans ses écrits abolitionnistes, deviendra un symbole de la condition des esclaves et du silence qui l’entoure.
Aujourd’hui encore, ce drame résonne dans les débats sur la mémoire coloniale et la souveraineté de l’île.

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