
Maurice a déjà franchi le cap symbolique du million de touristes. Or, malgré cet apport, les entreprises et les particuliers continuent de se plaindre des difficultés à obtenir des devises pour leurs transactions. Comment expliquer la disponibilité limitée des devises ? Quelles répercussions attendre avec une hausse des importations à l’approche des fêtes de fin d’année ? Le point.
À quelques semaines des fêtes de fin d’année, période synonyme d’effervescence économique, une question revient avec insistance chez les opérateurs économiques : où sont les devises ? Malgré un nombre record de plus d’un million de touristes, la pénurie de devises perturbe toujours les activités des entreprises, surtout celles des importateurs. Une situation qui soulève des interrogations sur les mécanismes du marché des changes à Maurice et les effets à prévoir dans un contexte d’augmentation saisonnière des importations. Les recettes touristiques sont passées de Rs 64 milliards en 2022 à Rs 85 milliards l’année suivante et de l’ordre de Rs 93 milliards en 2024. Pour les sept premiers mois de 2025, le montant engendré est de Rs 55 milliards.
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À Maurice, la fin d’année rime souvent avec une intensification des importations. Produits alimentaires, vêtements, jouets et équipements ménagers : les besoins explosent durant cette période, tirés par la consommation des ménages. Pour les entreprises, cela nécessite une préparation logistique et financière importante.
Chez Innodis, l’un des principaux groupes d’importation et de distribution, les préparatifs ont été lancés en avance. « Nous nous organisons pour que l’approvisionnement suive la demande, avec des conteneurs qui arriveront quelques semaines plus tôt que d’habitude pour cette fin d’année », explique Sonny Wong, Chief Operating Officer. Toutefois, il pointe du doigt un obstacle persistant : la disponibilité limitée des devises.
Malgré les interventions de la Banque de Maurice (BoM), Innodis a dû temporairement reporter certains paiements à ses fournisseurs internationaux. « Nous suivons la situation de près et espérons une amélioration prochaine », ajoute Sonny Wong, en soulignant l’importance de la vigilance pour éviter tout retard d’approvisionnement.
Le constat est partagé par d’autres opérateurs du secteur. Pritam Dabydoyal, directeur de P&P International, évoque des difficultés récurrentes à obtenir les montants requis auprès des banques commerciales. « Cela fait plusieurs mois que nous peinons à obtenir des devises. Tous les jours, je fais une demande, mais les montants alloués sont systématiquement en deçà de nos besoins », confie-t-il.
Son entreprise importe notamment des produits de première nécessité. Dans ce contexte, l’indisponibilité des devises engendre des pertes commerciales. Pritam Dabydoyal cite l’exemple de la saison des gros pois à Madagascar, une opportunité d’achat en gros à tarifs préférentiels qui a dû être abandonnée, faute de fonds disponibles en devises.
Même son de cloche pour l’huile importée d’Égypte. L’opportunité d’acheter à prix réduit moyennant un dépôt initial important n’a pas pu être saisie. Ces manques à gagner illustrent la pression qui pèse sur les importateurs, en particulier à l’approche d’une période où la demande des consommateurs est appelée à augmenter.
Impacts sur les consommateurs
Le marché local commence à en ressentir les effets. Les retards dans les paiements à l’étranger entraînent des délais dans les livraisons, ce qui perturbe les chaînes d’approvisionnement. Selon Pritam Dabydoyal, ces ralentissements peuvent provoquer des ruptures temporaires de stocks et, par ricochet, une hausse des prix. « Ce sont les consommateurs qui en subissent les conséquences », déplore-t-il.
Pour tenter d’atténuer ces impacts, le directeur de P&P International plaide pour une hiérarchisation des priorités dans l’allocation des devises, en faveur des importations essentielles. « Des directives existent, mais leur application reste perfectible. Il est temps de renforcer les mécanismes de contrôle afin de garantir un approvisionnement régulier », soutient-il.
De son côté, une source proche du secteur bancaire relativise. Elle rappelle que la BoM a procédé à l’élimination de lourds arriérés ces derniers mois, dont environ USD 600 millions liés à la State Trading Corporation (STC) et au Central Electricity Board (CEB). Entre janvier et la mi-octobre 2025, le marché des changes aurait généré plus d’un milliard de dollars.
Concernant les taux de change, cette source note une certaine stabilité sur le marché. L’euro s’est apprécié d’environ 12 % par rapport au dollar. Dans ce contexte, la roupie mauricienne a gagné environ 5 % face au billet vert, tout en reculant d’environ 7 % face à la monnaie européenne. Ce jeu de forces contraires reflète surtout les tensions sur les marchés internationaux plutôt qu’un déséquilibre local, selon cette analyse.
La même source rappelle également que 75 % des importations mauriciennes sont libellées en dollar. Ainsi, l’appréciation de la roupie face à cette devise a permis de limiter les effets sur l’inflation. Côté exportations, dont une majorité est libellée en euros, la dépréciation de la roupie par rapport à l’euro a représenté un certain avantage compétitif.
Gestion des recettes touristiques
Mais si les recettes touristiques sont en hausse, pourquoi cette manne en devises semble-t-elle si peu visible sur le marché ? Une question que se posent de nombreux observateurs. Certains pointent du doigt « le comportement des acteurs du secteur hôtelier », soupçonnés de ne pas rapatrier intégralement les devises gagnées. Ce phénomène, difficile à quantifier, pourrait contribuer à alimenter la tension sur le marché des changes.
À titre d’exemple, LUX Island Resorts a généré un chiffre d’affaires de Rs 10,6 milliards pour l’exercice 2024-2025, dont plus de la moitié provient de l’euro, près d’un quart du dollar et environ
13,5 % de la livre sterling. Ces chiffres illustrent le potentiel en devises du secteur touristique. Toutefois, en l’absence de contrôle des changes à Maurice, et avec la liberté de mouvement de capitaux dans un centre financier international, « il n’existe pas d’obligation stricte quant au rapatriement des devises gagnées à l’étranger », souligne un banquier.
Face aux tensions, la BoM est régulièrement intervenue sur le marché intérieur. Depuis janvier, 11 opérations d’injection de devises ont été réalisées, totalisant environ USD 160 millions. Ces interventions ont pour but de stabiliser la roupie et de répondre à des besoins ponctuels de liquidités en devises.
Un banquier fait toutefois remarquer que les efforts entrepris s’inscrivent dans une stratégie de rééquilibrage à moyen terme. Il rappelle que le précédent régime monétaire avait laissé des séquelles, notamment à travers une création monétaire jugée excessive. « Nous allons dans la bonne direction, mais il reste du chemin à parcourir », souligne-t-il.
Selon cette même source, les délais pour obtenir des devises ont été sensiblement réduits par rapport à l’année précédente. Si en 2024, certains demandeurs attendaient plus d’un mois pour accéder aux devises nécessaires, ce délai serait aujourd’hui plus court. Cependant, il est rare qu’une demande soit satisfaite intégralement et immédiatement. « Tout dépend de la lecture qu’on veut faire de la situation : on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide », conclut-il.
Alors que Maurice s’apprête à entrer dans l’une de ses périodes commerciales les plus actives, les tensions sur le marché des devises pourraient compliquer la tâche des importateurs. Malgré les efforts de stabilisation, les incertitudes liées aux flux de devises, à la politique monétaire et au comportement de certains acteurs économiques persistent.
À défaut d’une amélioration rapide de la situation, les répercussions sur l’approvisionnement et les prix risquent de se faire sentir chez les consommateurs. La gestion des priorités et la transparence dans la circulation des devises pourraient devenir des leviers importants dans les mois à venir.
Cédric Beguier, responsable de la stratégie d’investissement chez AXYS : « Les importateurs mauriciens sont aguerris à ce cycle »
Comment se porte le marché des devises ?
Le marché des changes reste nerveux, mais plus lisible qu’au cœur de l’année. Trois forces dominent. D’abord, les entrées en devises liées au tourisme montent avec la haute saison. Quand l’île dépasse le million de visiteurs sur neuf mois et que les réservations d’hôtels tiennent, cela apporte un flux régulier en euros, livres et dollars. Avec une durée moyenne de séjour d’environ 11 à 12 nuits, chaque point de taux d’occupation en plus finit par se voir sur l’offre de devises des banques. Ensuite, le différentiel de taux entre Maurice et les pays du G7 compte. Si la Fed et la BCE assouplissent progressivement, le coût d’opportunité de détenir du dollar diminue un peu, ce qui atténue la pression sur l’USD/MUR. L’effet n’est pas mécanique, mais il aide.
Enfin, la Banque de Maurice intervient toujours de manière tactique pour lisser les à-coups. Les fenêtres de vente de dollars et les opérations à terme jouent un rôle d’amortisseur. Tant que les réserves restent confortables et que la trajectoire d’inflation est maîtrisée, le marché s’ancre mieux.
Un mot important pour l’écosystème : dans ce contexte de haute saison, il est souhaitable que les acteurs du secteur, notamment les hôteliers, jouent collectivement le jeu. Concrètement, cela veut dire éviter la rétention excessive de devises quand les besoins de conversion sont couverts et privilégier des rapatriements réguliers et prévisibles via leurs partenaires bancaires. Cette attitude facilite la liquidité pour tous, réduit la volatilité inutile et renforce la crédibilité de la place sans pénaliser la gestion prudente de trésorerie propre à chaque établissement.
En clair, la roupie reste sensible aux nouvelles mondiales et à l’énergie, mais la saison touristique plus forte, des taux mondiaux en détente, des interventions plus prévisibles et un comportement coopératif des grands receveurs de devises offrent un environnement un peu plus stable. Pour un importateur, cela veut dire un dollar encore volatile à court terme. Pour un hôtelier, c’est un vent arrière sur les recettes en roupies quand l’euro et la livre tiennent bien.
Quelles répercussions attendre avec une hausse des importations à l’approche des fêtes de fin d’année ?
Chaque fin d’année, la demande d’importations augmente: alimentaire, électronique, textile, cosmétiques, carburants, mais aussi pièces détachées et boissons. Ce surcroît de besoins en devises crée un pic saisonnier d’achats de dollars et d’euros par les banques commerciales.
Côté change, une pression haussière ponctuelle sur l’USD/MUR est probable lorsque les ordres arrivent en même temps. La bonne nouvelle, c’est que les encaissements du tourisme montent aussi; si la fréquentation reste solide, l’équilibre s’améliore et la tension se disperse.
Sur les prix à la consommation, une roupie plus faible renchérit une partie des importations en roupies. Le ‘pass-through’ est partiel et étalé, mais il touche surtout l’énergie et l’alimentaire. Les distributeurs répercutent progressivement selon leurs stocks et contrats.
Il est utile de préciser que les importateurs mauriciens sont aguerris à ce cycle. La plupart anticipent ce pic: planification des commandes, couvertures de change sur 3 à 6 mois, étalement des achats de devises, et négociation de délais fournisseurs pour lisser les sorties de trésorerie. Cette préparation limite les à-coups sur les prix finaux et réduit la volatilité de la demande de devises.
Côté activité, les importations plus élevées soutiennent la TVA et le volume du commerce, mais creusent temporairement le compte courant. L’effet s’atténue en début d’année lorsque les flux touristiques restent élevés et que les stocks se normalisent.
Quels sont les éléments nécessaires pour répondre à ce pic ?
Pour traverser ce pic, trois réflexes restent pertinents : échelonner les achats de devises, sécuriser une part du budget via forwards ou collars tout en gardant de la flexibilité si la roupie se renforce, et adapter les clauses de révision de prix pour protéger les marges en cas de mouvement brusque du dollar. Globalement, la fin d’année est gérable: la combinaison d’une haute saison solide, d’importateurs préparés et d’un pilotage actif du change réduit le risque d’emballement.
Voyages : L’utilisation des cartes de crédit internationales recommandée
Face à la pénurie persistante de devises, notamment en dollars américains, les voyageurs mauriciens rencontrent de plus en plus de difficultés à se procurer les fonds nécessaires pour leurs déplacements à l’étranger. Abbas Peera, Marketing Executive chez Shamal Travels, explique : « Les voyageurs se retrouvent souvent avec des billets de faible valeur, qui sont moins avantageux à l’étranger. »
Pour pallier ces contraintes, l’agence de voyage mise sur une approche anticipée. « Chez Shamal Travels, nous veillons à ce que nos clients voyagent l’esprit tranquille, car les principales dépenses notamment pour les hôtels, transports et excursions sont réglées avant le départ », fait-il ressortir. Il recommande toutefois de conserver un peu de liquide pour les petits achats et les urgences. Selon lui, « dans le monde numérique d’aujourd’hui, les cartes de crédit internationales restent le moyen le plus sûr et le plus pratique pour gérer les dépenses de voyage ».


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