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Lindsay Rivière, observateur politique : «Rien n’est plus dangereux pour les partis désormais que d’être ‘over-confident» 

Analysant la récente entrée du PMSD au sein de l’Alliance Lepep, Lindsay Rivière, observateur politique, est d’avis que « le PMSD a plus de cartes en main que les Ivan Collendavelloo, Steven Obeegadoo et Alan Ganoo réunis. Et Pravind Jugnauth le sait, d’où ses concessions à Xavier-Luc Duval. Le dossier Chagos a aussi été abordé dans l’entretien qui suit.

L’accord sur la souveraineté des Chagos à Maurice ne serait-il qu’un leurre ? Que faut-il en penser ?
Le mot ‘leurre’ est peut-être inapproprié, quand les choses sont vues dans un contexte géopolitique plus large, dont il faut saisir toutes les nuances avant de porter un jugement. Même si on ne peut certainement pas évoquer une « victoire décisive » de la juste cause mauricienne et qu’il y a encore plusieurs sujets de controverse sur la table. Il faut en toute honnêteté reconnaître que cet accord constitue quand même pour Maurice une avancée très importante, par rapport à la situation des 60 dernières années. Malgré certaines sérieuses réserves exprimées et son caractère incomplet, l’accord intervenu est objectivement un ‘breakthrough’ qui ouvre certaines perspectives nouvelles pour Maurice.

Mais encore…
Pour l’heure, ce n’est encore qu’un accord politique entre deux gouvernements, pas encore ratifié et signé et non un Traité formel, qui requerra d’ailleurs un vote au Parlement britannique. Il suscite déjà, on le voit, plusieurs objections dans l’Opposition mauricienne, parmi les Conservateurs anglais et même parmi  les Chagossiens de Londres qui veulent, eux, que les Chagos demeurent britanniques. D’autre part, des actions légales ne sont pas à exclure. La proposition de Traité demandera beaucoup de clarifications et de négociations en 2025, notamment sur le concept de la souveraineté mauricienne reconnue (non pas partagée) mais déléguée à la Grande-Bretagne sur Diego Garcia ou encore sur les compensations financières prévues.

Quels sont les acquis les plus importants de cet accord ?
 Ils sont plusieurs :

1. Après des décennies de désaccord et de flou, la souveraineté juridique mauricienne sur l’ensemble de l’archipel des Chagos (y compris Diégo Garcia) est enfin acquise aux yeux du monde, la Grande-Bretagne, selon le Foreign Secretary David Lammy,« agreeing to Mauritius sovereignty over the entire islands, including Diego Garcia »). Sur le plan strictement légal et diplomatique, ce n’est pas rien. Même si cette souveraineté mauricienne sur Diego Garcia est non pas partagée mais volontairement déléguée par le gouvernement mauricien à Londres. La question se pose toutefois :  « Un pays peut-il ‘déléguer’ sa souveraineté ? » 

2. Le British Indian Ocean Territory (BIOT) disparaît. Maurice est reconnue comme propriétaire de l’ensemble de l’archipel (65 îlots) et de tout ce qui trouve dans la zone maritime de celui-ci. 

3. Ceci comporte des potentialités économiques insoupçonnées. Le Senior Minister et ancien ministre des Affaires étrangères Alan Ganoo a confirmé publiquement à Nawaz Noorbux dans une interview à Radio Plus que « si on trouve demain du pétrole dans la zone des Chagos, ce pétrole appartiendra à Maurice et à personne d’autre ». Il en va de même pour l’exploitation des richesses des fonds marins.

4. Le droit de retour des Chagossiens à Peros Banhos, Salomon et autres est acquis sur papier, les îles seront réhabilitées au moyen d’un ‘resettlement program’ aux frais des Anglais, des infrastructures construites et un Trust Fund pour les Chagossiens établi, « capitalised by the U.K. and providing additional support to Chagossiens in Mauritius and the U.K. ». Ce sont là de très vieilles demandes enfin agréées.

5. Il y est, enfin, question que « This agreement will be underpinned by a yearly indexed financial settlement that is acceptable to both sides », soit un loyer annuel pour la base de Diego Garcia pendant les 99 ans du ‘lease agreement’. Ce ‘financial settlement’ constituera un apport annuel budgétaire important pour les caisses de l’État, une somme, selon Xavier-Luc Duval, qui servira notamment à financer des programmes de logement et de l’éducation importants pour le pays. Pendant 60 ans, depuis le gouvernement de Sir Seewoosagur Ramgoolam, ceci a été refusé à Maurice. Pas un sou. Il y aura demain, comme le dit Gérald Lincoln cette semaine avec pragmatisme, des avantages économiques pour Maurice sur lesquels il ne faut pas cracher en restant tout le temps dans le domaine de l’émotion.

Que peut espérer Maurice en termes de loyer annuel ?
D’abord une chose : il n’y a pas une chance sur un million que les Américains payent quelque chose directement à Maurice. Depuis 1965, ils ne reconnaissent que Londres comme leur ‘landlord’ et ont toujours refusé de parler au gouvernement mauricien sur Diego Garcia. Washington paiera sans doute à l’Angleterre pour la base et c’est l’Angleterre qui nous payera le ‘financial statement’, donc une forme de loyer.

Pourquoi ?
Parce qu’en payant directement un loyer à Maurice ou en signant un ‘lease’ directement avec nous, les États-Unis auraient reconnu la souveraineté et la propriété de Maurice sur Diego Garcia et les Chagos, donc le droit de mettre fin au ‘lease’, voire de les expulser légalement ou les poursuivre comme locataires.  Or, les Américains  ne sauraient tolérer d’avoir à rendre des comptes à Maurice sur quoi que ce soit, sur l’utilisation de la base, leurs activités là-bas ou d’avoir à demander la permission à Maurice de survoler ce qui serait un territoire mauricien pour aller bombarder un autre pays etc. 

Il faut bien comprendre une chose : Diego Garcia est l’une des cinq bases militaires américaines les plus sophistiquées et armées du monde. Elle constitue avec Baden Baden en Allemagne ou l’Australie un arc militaire de défense et de communications. Elle n’a rien de commun avec les autres bases militaires dans des pays étrangers qui ont besoin des USA pour leur défense, comme les pays du Golfe, le Japon, la Corée etc. qui, eux, payent les EU pour les défendre. Washington ne veut ‘deal’ pour ses actions militaires qu’avec des pays qui lui sont totalement fidèles et acquis (la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Australie). Il n’y a pas une chance sur un million que Washington abandonne Diego à Maurice ou, comme certains le pensent naïvement, « démilitarisent » la zone des Chagos, face aux dangers chinois et russe à leurs yeux. D’ailleurs, voyez la manière qu’ils traitent les petits pays.

Comme c’est l’Angleterre qui payera, à quoi peut-on s’attendre de manière réaliste ?
Sans doute, si on en croit l’exemple de Djibouti, une quinzaine de milliards de roupies. Remarquez que c’est une somme importante et que Maurice pourrait réclamer à Londres jusqu’à un milliard de dollars par an, vu l’extrême importance de Diego. Mais il sera difficile de le savoir avant les débats au Parlement anglais pour la ratification du Traité, vu que le Foreign Secretary David Lamy a déjà averti que le gouvernement anglais « does not normally reveal payments for our military bases overseas and it would be improper to publicise further details of the arrangements at this stage ». 

Que pourrait réclamer Maurice d’autre dans le cadre de ce Traité ?
Plusieurs choses, outre un loyer. Des garanties d’approvisionnement des Anglais et des Américains à Maurice, d’acheter le maximum de Maurice en termes de produits agricoles (légumes, fruits, produits de la mer etc.), qui aiderait notre agriculture; la priorité sur des contrats de construction et d’approvisionnements en matériaux de construction pour la base; l’emploi de la main-d’œuvre mauricienne au lieu de Philippins, Srilankais; un meilleur deal textile sur l’AGOA; une aide technique pour explorer nos fonds marins et rechercher du pétrole et des minerais; le développement d’un petit port de pêche à Peros Banhos et à Salomon, entre autres.

On parle de ‘resettlement’ des Chagossiens, mais une bonne partie de cette population établie en Angleterre y est contre et donne raison à Boris Johnson qui est contre cette reconnaissance de notre souveraineté sur les Chagos. Votre avis ?
C’est un vieux différend entre divers groupes de Chagossiens : certains jouent la carte anglaise; d’autres, comme Olivier Bancoult acceptent plus volontiers la souveraineté mauricienne mais en demandant pour plus tard un plus grand rôle pour les Chagossiens, rejoignant la thèse d’autonomie de Rodrigues. D’autres encore (surtout les ‘second generation Chagossians’) préfèrent une compensation financière immédiate et veulent demeurer dans le BIOT pour être traités en Angleterre comme des Anglais. Toutefois, tout cela devient secondaire, dans la mesure où le Traité conférera à l’État mauricien et personne d’autre la souveraineté juridique et toute autorité sur l’archipel. Les Chagossiens d’Angleterre mènent un combat perdu d’avance.

Il y a quand même des ‘drawbacks’ importants sur toute la question de l’accord ?
Certainement ! La ‘souveraineté déléguée’ est un vrai problème, de même que la durée du Traité (99 ans, renouvelable) alors que les traités de défense se négocient le plus souvent  sur des périodes de 20 ans. Les circonstances du ‘deal’ politique entre les Premier ministres anglais et mauricien en pleine campagne électorale sont aussi troublantes, la Grande Bretagne et l’Inde (dans les coulisses) favorisant clairement le régime mauricien actuel dans cette élection, ce qui peut créer des problèmes d’image internationale et locale. Également, l’interdiction pour les Chagossiens de se rendre librement à Diego Garcia sans la permission britannique pour des raisons autres que des visites aux cimetières chagossiens sur l’île, même s’ils habitent demain Peros Banhos ou Salomon. Ceci est inacceptable et dérangeante, d’autant plus que des travailleurs philippins y habitent librement. Il faudra renégocier tout ceci au moment du Traité.

Est-ce que notre pays perd dans cette reconnaissance de notre souveraineté sur les Chagos ?
Maurice perd, dans l’affaire, son vieux statut de pays non-aligné et prend position ouvertement aujourd’hui pour les États-Unis et l’Inde en termes géopolitiques, ce qui pourrait avoir des conséquences certaines sur le long terme. Et, bien sûr, la décolonisation n’est pas entière, complète.  Mais, je suppose que la question, en dehors de sa charge émotionnelle, est surtout d’ordre pragmatique. Il n’y a pas une chance sur un million que les Américains abandonnent Diego Garcia, vu le rôle absolument essentiel de cette base pour sa sécurité globale et plus particulièrement son action au Moyen-Orient. Personne ne pourra militairement les faire quitter cette base.

Le choix est donc entre continuer le statu quo (qui n’a rien rapporté d’autre à Maurice depuis 60 ans qu’un soutien moral) ou alors de rechercher une avancée pratique, effective, avec des perspectives et considérations économiques importantes pour le pays. Le statu quo ou le mouvement. C’est un peu en fonction de cela que chacun se déterminera face à ces développements. Vaut-il mieux, pour les 50 prochaines années, avoir quelque chose ou rien du tout ?

Est-ce que cet accord pourrait jouer en faveur du gouvernement MSM lors de cette campagne électorale ?
Sans doute initialement, mais cet effet pourrait s’estomper et être équilibré par la campagne des Oppositions à Maurice et à Londres, insistant que le MSM a « vendu » Diego une deuxième fois dans un ‘deal politique’ inacceptable aux yeux du Parti conservateur britannique, des Chagossiens de Londres et des partisans mauriciens d’une totale décolonisation. Tout ceci pourrait, à la fin, mettre le MSM plutôt sur la défensive. 

Parlons politique. Le PMSD arrive dans l’Alliance Lepep avec ses gros sabots, en exigeant un certain nombre de tickets, pas moins de cinq ministères en cas de victoire et diverses nominations. Cela est-il justifié ?
Je le dis souvent : l’impact politique du PMSD est plutôt d’ordre psychologique que mathématique. Il permet au MSM et à ses petits alliés ex-MMM de projeter désormais, sur le plan ethnique, une image plus ‘nationale’ face à l’Alliance du Changement Ramgoolam-Bérenger. Le PMSD a plus de cartes en main qu’Ivan Collendavelloo, Steve Obeegadoo ou Alan Ganoo et Pravind Jugnauth le sait, d’où ses concessions à Duval.   

Xavier-Luc Duval est tout élogieux envers le gouvernement sortant, qualifiant certaines mesures prises d’historiques et de « jamais égalées » alors qu’il n’a cessé ces dernières années de critiquer le Premier ministre. Comment expliquer ce retournement de veste ?
Par l’intérêt. Il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil à Maurice, où tout le monde depuis 50 ans a vomi sur tout le monde, puis conclu des alliances parfois déroutantes. Il faut que chacun le réalise une fois pour toutes : il n’y a pas d’amitié permanente en politique, seulement des intérêts conjoncturels. La politique, c’est l’art du mensonge et le talent de dire tout et son contraire avec supposément la même sincérité. Xavier-Luc Duval est fatigué dans l’Opposition. Il veut être dans l’action. Mais il n’est pas du tout sûr que la nation comprend ses positionnements pour atteindre cet objectif.

Les mesures préélectorales sont légion. De la surenchère ?
C’est l’heure de l’inflation des promesses. Là encore, rien de bien nouveau. Puisque le jugement des Law Lords est qu’il n’y a rien de mal à promettre à l’infini du moment que les mesures soient destinées à tout le monde et pas seulement à quelques-uns, les digues sont explosées. En l’absence d’une Fiscal Responsibility Act obligeant d’expliquer comment ces promesses seront financées, on semble pouvoir désormais promettre n’importe quoi, y compris la lune.

À quatre semaines des élections, comment jugez-vous le rapport des forces ?
Je l’ai dit et je le redis : nous allons vers un duel de géants, dont personne ne peut raisonnablement prédire l’issue. Chacun des blocs peut gagner. L’Alliance Lepep sur la force de son bilan socioéconomique et l’Alliance du Changement sur l’étendue du mécontentement social et le désaveu de la gouvernance du MSM depuis 2019. Avec 50 % d’indécis, rien n’est gagné d’avance. Tout peut arriver. Il n’y a plus de dépôts fixes politiques à Maurice. Les gens ‘have a mind of their own’, surtout les jeunes. Beaucoup de gens, dit-on, se taisent et ont peur. Mais la question se pose : de qui et de quoi ont-ils peur? S’ils soutiennent le régime, pourquoi auraient-ils peur ?

Ces élections vont se jouer sur deux réflexes : soit une adhésion certaine à un bilan gouvernemental qu’ils jugeront globalement satisfaisant, soit un rejet certain et un gros vote anti. Pour moi, c’est l’élection la plus incertaine qu’on aura connu à Maurice. Elle a un extraordinaire potentiel de surprises. Rien n’est acquis. Tout, absolument tout peut arriver. Et les partis auront à labourer le terrain jusqu’à la dernière minute du dernier jour. Rien n’est plus dangereux pour les partis désormais que d’être ‘over-confident’.

 

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