Chaque parution de Collection Maurice soulève deux interrogations : comment l’éditeur Rama Poonoosamy parvient-il encore à publier des textes sur papier, à l’ère de la désertion de la lecture traditionnelle ? Quelle est cette conviction, presque religieuse qui amène encore des Mauriciens à se saisir de leurs plumes – ou souris- pour partager leurs sentiments. La dernière édition de Collection Maurice, intitulée ‘Thrills-En haleine - Zistwar sispans -, toujours trilingue, entraîne le lecteur dans des aventures imaginées par des talents confirmés et d’autres qui sont à leurs balbutiements.
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Cette collection, depuis son lancement, explore les thématiques les plus variées, de la philosophie à la musique en passant par l’écriture féminine/féministe. Du coup, elle rend compte de l’extraordinaire dynamisme talent créatif des Mauriciens et de la capacité et volonté de certains d’entre eux de sauter d’une langue a l’autre. Vingt-neuf auteurs mauriciens se sont défoulés à travers trente-trois récits pour donner corps à ces nuances de suspense
Si le titre de cette dernière collection évoque l’imaginaire, la lecture de certains textes fait ressortir la réalité de leurs thématiques. Ici, le sispans n’est pas synonyme d’une peur morbide, de l’au-delà, mais d’interrogations légitimes, d’attente justifiée, à l’instar de celle qu’éprouve la jeune femme de « Not a Bed of Roses », récit de Heena Mewasingh où celle-ci décrit les derniers mois d’une grossesse. La « peur » dont il est question ici est tout aussi profonde que celle dont peut connaitre l’aviateur de « One Hundrer Years Later », perdu durant la traversée de la Manche à bord de son Cessna. Les ressorts de la peur sont les mêmes pour les deux personnages. Le premier peut y laisser la vie ou perdre son bébé, le second, dans son avion, peut s’abîmer en mer ou s’écraser sur les falaises de Calais. Ce sont les mots qui permettent au lecteur de partager cette peur. Les deux auteurs trouvent le mot juste pour nous en en imprégner. C’est tout la magie des mots dont ils se servent qui porte à son plus haut degré les peurs, éprouvées dans différentes circonstances et selon la psychologie de leurs personnages.
Sexualité fantasmée
Chez Ramesh Ramdoyal, une référence en anglais, cette thématique prend une toute autre résonnance et semble s’éloigner du sens premier que l’on donne à la peur. Son récit semble plutôt s’inscrire dans l’univers des fantasmes où un des protagonistes se laissera entrainer jusqu'à la démence. Il démontre aussi l’influence du cinéma indien, de certains de ses ‘méchants’ sur des cinéphiles à la sexualité fragile. Car, ici, il s’agit de sexualité fantasmée, de libido déformée par le tabou. Pour certains cinéphiles, le récit fait penser au film ‘L.A Confidential’, où des jeunes femmes déguisées en stars des années 60 vendent leurs charmes. Ramesh Ramdoyal, lui, a pris pour modèle une ex-gloire des années 70-80 du cinéma indien et à la réputation sulfureuse (à la ville comme à l’écran), Shakti Kapoor, pour étoffer son principal personnage masculin, Rajesh, un homme marié et dont l’épouse se prête tant bien que mal à ses mises en scène. Jusqu’au jour où ce petit jeu prend une tournure dramatique. Au lecteur de découvrir la chute.
La peur, c’est aussi une conversation entre un père et sa fille sur fond d’une actualité chaud bouillant, celle de Daesh, sa « république islamique », ses promesses à des jeunes convertis, embrigadés et parfois envoyés aux actions terroristes-kamikaze. L’auteur, Sailesh Ramchurn tente de restituer la réalité – qu’on parvient à mieux comprendre, aujourd’hui après les témoignages de certaines rescapées du califat – dans ce semblant d’état construit par des fondamentalistes.
Les bords de la Tamise
Lindsey Collen, à l’aise en anglais et kreol et aussi habituée de la collection, emmène le lecteur à Londres, sur les bords de la Tamise et brode une intrigue politique émaillée de paroles d’un morceau des Kinks, « You really got me » - par ailleurs, certifié premier morceau rock dans l’histoire de la musique. Il est question de la condamnation de membres de l’IRA d’après des pièces fabriquées. L’affaire a bien eu lieu, mais dans ce récit qui nécessite une boîte à outils pour bien démêler l’intrigue, l’auteure n’hésite à évoquer le mépris dont font l’objet les femmes et les Irlandais dans le regard des Anglais.
Au-delà de la thématique de la peur et du suspense, la collection donne encore une fois à lire des récits épars, dans les principales langues de Maurice. Il convient de faire ressortir que la plupart des récits en kreol, décrivent des faits qui s’inscrivent dans la réalité sociale et ethnique, ce qui laisse deviner la motivation de leurs auteurs.
« Thrills, En haleine, Zistwar sispans ».
Collection Maurice
Edité et publiée par Rama Poonoosamy
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