La peine de prison de Chandra Dip commuée en une amende, Rafiq Peermamode obtenant un répit dans l’exécution de sa peine au lendemain de sa demande… La Commission de pourvoi en grâce est au cœur de la polémique depuis plusieurs jours. Faut-il en revoir le fonctionnement ? Éléments de réponse.
«Archaïque ». Un terme utilisé par certains politiques et observateurs pour qualifier la Commission de pourvoi en grâce présidée par l’ex-chef juge Kheshoe Parsad Matadeen. D’ailleurs, selon le leader de l’opposition Xavier-Luc Duval, « nous ne pouvons continuer avec ce modèle complètement dépassé et archaïque ! La Commission de pourvoi en grâce a-t-elle sa raison d’être ? On ne peut permettre à une instance qui outrepasse les droits du judiciaire d’exister, pour aucun cas ».
Alors que la Commission se retrouve en pleine tempête après les cas Dip et Peermamode (voir plus loin) entre autres, la question se pose : a-t-elle toujours sa raison d’être ? Trois juristes nous éclairent.
D’emblée, Me Penny Hack répond par l’affirmative. Prenant ainsi à contrepied le leader de Rezistans ek Alternativ, Ashok Subron. S’exprimant dans les colonnes du Défi Quotidien du 11 janvier, ce dernier affirmait qu’« étant donné que le concept de la grâce présidentielle tire ses origines d’une monarchie qui est un système autocratique, son passage dans un système démocratique pose de sérieux problèmes ».
Or Me Penny Hack cite plusieurs raisons justifiant l’importance de l’existence de la Commission de pourvoi en grâce. Parmi celles-ci, la possibilité d’innocenter une personne injustement condamnée, au vu de nouvelles preuves mises au jour. Ou encore lorsque la personne a écopé d’une peine jugée « excessive ». Il se peut aussi que la personne se retrouve en prison pour un délit qui n’est plus une infraction dans nos lois.
« Ce sont des exemples démontrant la raison d’être de cette Commission dans un pays démocratique. La Commission est là pour remédier à des injustices, des anomalies et préserver le droit naturel », soutient Me Penny Hack. Mais pour cela, précise-t-il, « la Commission doit agir en toute impartialité et dans l’intérêt public et la justice naturelle ».
Me Samad Golamaully abonde dans le même sens. La Commission a de nombreux pouvoirs. Notamment de gracier, réduire la durée d’une peine de prison et accorder un sursis, dit-il. « Auparavant, ce sont les rois et reines qui détenaient le pouvoir de gracier une personne condamnée à mort. Ainsi, dans le passé, ils pouvaient soit lui accorder le pardon soit commuer sa peine », explique l’homme de loi.
L’un des pouvoirs de la Commission, poursuit-il, est de corriger d’éventuelles erreurs judiciaires lorsque toutes les voies légales ont été épuisées. À Maurice, rappelle Me Samad Golamaully, « nous n’avons pas de Miscarriage of Justice Commission, dont la mission est de revoir les erreurs judiciaires ».
La Commission permet, selon lui, de donner une seconde chance à une personne ou de rétablir une injustice. Par exemple, souligne Me Samad Golamaully, elle peut accorder un répit à une personne qui veut passer du temps auprès d’un de ses proches qui est mourant.
Il cite un autre exemple. Une personne qui a tué un commerçant après un cambriolage ne peut pas écoper d’une même peine qu’une femme battue par son époux, qui en se défendant, l’a tué. « Tout récemment, il y avait une peine obligatoire de 45 ans pour meurtre. Donc, ils auraient tous deux été condamnés à 45 ans. Mais il y a clairement une énorme différence entre les deux cas. La femme est aussi une victime et ne mérite pas de finir le reste de sa vie en prison. Dans ce cas, la Commission peut intervenir pour réduire sa peine », fait observer l’homme de loi.
De son côté, Me Rubesh Doomun, qui est d’avis lui aussi que la Commission a sa raison d’être, estime néanmoins que certaines améliorations doivent être apportées.
Faut-il la remplacer ?
Me Penny Hack est catégorique. « Il ne faut pas remplacer la Commission. Mais on peut clarifier que ce système est sujet au droit administratif, comme pour le Directeur des poursuites publiques (DPP). Ce n’est pas la structure ou la fonction de la Commission qui doit être revue. » Il est aussi d’avis que l’on ne doit pas changer la loi.
Du reste, renchérit Me Samad Golamaully, « par quoi remplacer la Commission ? Si on le fait, il faut amender la Constitution. Il faut comprendre que la décision est prise par le président de la République suivant les recommandations de la Commission. C’est une prérogative. Le président est indépendant du pouvoir judiciaire et n’est pas non plus impliqué dans la politique », fait-il remarquer.
Les améliorations / changements à apporter
« Qui nomme ceux qui siègent sur la Commission ? C’est évidemment le président de la République. Ce qu’il faut revoir à ce niveau, c’est la façon de nommer ceux qui y siègent pour avoir plus de transparence et d’impartialité. Il faut des personnes compétentes et professionnelles », avance Me Penny Hack. Ainsi pour lui, il faut savoir « qui choisir et comment les choisir ».
Il fait ressortir que si des nominés politiques siègent sur la Commission, cela remet en cause le principe de transparence et d’impartialité. Il ne faut pas que les membres soient des personnes « redevables ». Il estime, de ce fait, que les membres de la Commission doivent être des notables d’expérience, que ce soit dans le domaine judiciaire, social, privé, entre autres. C’est l’intérêt public, la justice et la perception de justice qui doivent primer, martèle-t-il.
Raison pour laquelle Me Penny Hack pense que les décisions de la Commission peuvent être sujettes à une révision judiciaire devant la justice. Cela, étant donné que la Commission, en elle-même, est un corps public. « Le droit administratif s’impose. Et ceux qui y siègent doivent respecter les principes de droit administratif », insiste-t-il
En sus de la transparence, Me Samad Golamaully propose que la Commission de pourvoi en grâce soit « plus accessible à tous ». Et d’ajouter : « Elle devrait établir ses propres règles de pratique où les critères utilisés pour prendre les décisions sont clairs afin que tout le monde le sache. »
Me Rubesh Doomun est du même avis. Cela permettra, dit-il, qu’il y ait de la transparence dans l’élaboration de la décision de la Commission. Il suggère également que les membres soient élus régulièrement pour éviter que l’affaire ne prenne une tournure politique.
Le profil des membres
Les membres de la Commission de pourvoi en grâce ne devraient-ils pas tous être des juristes ? La question se pose. Pourtant, Me Penny Hack a un avis bien tranché. « Personnellement, non », déclare-t-il.
Et pourquoi donc ? « L’on tend à croire que ceux qui y siègent doivent avoir une connaissance juridique. Or le choix peut se porter sur d’autres compétences. Il faut, au contraire, qu’il ait un mélange sociétal. Pourquoi pas un syndicaliste qui lutte pour les droits des travailleurs, des professionnels du privé, un autre dans le domaine du law and order, entre autres. Il faut des notables qui ont fait leurs preuves dans la société », propose-t-il.
À la tête de la Commission, il faut un juriste, soutient Me Samad Golamaully. Quant au reste des membres, il est d’avis, lui aussi, qu’il faut des personnes de différents statuts et couches sociaux pour plus d’ouverture.
Le rejoignant, Me Rubesh Doomun préconise que la Commission soit constituée de personnes issues de différents corps de métier, tels que des avocats, magistrats, chef d’entreprise, entre autres. Autre proposition : que la Commission de pourvoi en grâce soit composée de cinq membres, soit un président, deux membres nommés par le président de la République et deux autres membres nommés par le chef juge.
« Cela permettrait un partage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Le président (pouvoir exécutif) est détenteur du pouvoir de gracier. Mais c’est le pouvoir judiciaire qui rend une décision de condamnation. Ainsi, donner au chef juge la prérogative de nommer des membres de la Commission permettrait d’accorder au pouvoir judiciaire une participation dans l’élaboration de cette décision », précise Me Rubesh Doomun.
Comment est accordée la grâce à l’étranger
États-Unis
Aux Etats-Unis, explique Me Rubesh Doomun, la grâce présidentielle est prévue par l’article II, section 2, clause 1 de la Constitution. « Toute demande de grâce présidentielle est envoyée par email au bureau de la Pardon Authority. La décision finale est prise par le président uniquement. »
Angleterre
En Angleterre, dit Me Samad Golamaully, le Parole Board est très efficace. Ceux qui y siègent se rendent régulièrement dans les prisons pour déterminer si un condamné doit être libéré ou bénéficier d’une réduction de peine. Le « Royal Pardon » en Angleterre « n’a pas grandement servi durant plusieurs années », ajoute-t-il.
France
En France, indique Me Rubesh Doomun, la grâce présidentielle est prévue par l’article 17 de la Constitution de 1958. La grâce permet au président de la République de supprimer ou de réduire la peine d’un condamné. À la différence de l’amnistie, la grâce présidentielle n’efface pas la condamnation dans le casier judiciaire d’une personne. Et le président n’a pas l’obligation de justifier sa décision.
S’agissant de la procédure, dit-il, la grâce est demandée par requête écrite au président. La Direction des Affaires Criminelles et des Grâces (DACG) mène une instruction du dossier, à l’issue de laquelle le président prendra un décret accordant ou non la grâce.
La DACG, poursuit-il, est une direction d’administration centrale du ministère de la Justice. Elle est composée de trois bureaux, à savoir la sous-direction de la justice pénale générale, la sous-direction de la justice pénale spécialisée et la sous-direction de la négociation et de la législation pénales. C’est au sein de la sous-direction de la justice pénale générale que se trouve le bureau de l’exécution des peines et des grâces.
Singapour
À Singapour, fait savoir Me Rubesh Doomun, la demande de grâce présidentielle est adressée au président, qui demande aux juges ayant jugé l’affaire de lui faire un rapport. Ensuite, le président transmet ledit rapport au Procureur général (Attorney General). Ce dernier envoie le rapport accompagné de son avis au Cabinet. Ainsi, c’est le Cabinet qui conseille le président sur la décision d’accorder ou non la grâce à un individu.
Ceux qui siègent sur la Commission
D’après le Government Gazette, General Notice 227 de 2022, le mandat de l’ancien chef juge Kheshoe Parsad Matadeen a été étendu pour deux ans. Soit du 24 février 2022 au 23 février 2024. Mention est aussi faite que les membres de la Commission de pourvoi en grâce sont Shadmeemee Mootien, Geeantee Toory, Pehelvi Zaheer Abbass Hissoob et Deenesh Goundory.
Les récentes polémiques
Le cas Dip
Chandra Prakashsing Dip, le fils du commissaire de police Anil Kumar Dip, condamné à la prison pour entente délictueuse, a bénéficié de la grâce présidentielle. Il a été reconnu coupable d’entente délictueuse dans une affaire de détournement de fonds de Rs 3 millions au préjudice d’une compagnie privée. Peine maintenue par le tribunal en appel. Celle-ci a été commuée en amende de Rs 100 000 par le président de la République suivant les recommandations de la Commission de pourvoi en grâce.
Le cas Peermamode
Autre cas controversé : l’homme d’affaires Rafiq Peermamode a obtenu un sursis dans l’exécution de sa peine de 18 mois de prison infligée sous le Prevention of Corruption Act (PoCA). Il a été reconnu coupable d’avoir réclamé un pot-de-vin de Rs 50 millions en 2016. C’est la vitesse d’exécution de cette grâce présidentielle qui interpelle. Il lui a fallu 24 heures, soit au lendemain de sa demande.
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