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K. Nandini Singla, haut-commissaire de l’Inde : «Développons une stratégie pour cibler services financiers, informatique et économie bleue»

En ce 26 janvier, la Grande péninsule honore la date à laquelle sa nouvelle constitution a pris effet (1950), faisant du pays une république. Pour marquer l’événement, nous nous sommes entretenus avec la nouvelle cheffe de la diplomatie indienne. K. Nandini Singla, haut-commissaire de l’Inde, indique que l’Inde continuera à soutenir le peuple mauricien dans sa relance de l’économie, tout en aidant le pays à sortir de la liste grise du Groupe d’Action Financière et d’une même mise à l’index par l’Union européenne.

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Vous êtes la première femme à occuper le poste de haut-commissaire de l’Inde à Maurice. Êtes-vous surprise par ce constat ?
Je suis la vingtième haut-commissaire indienne au pays. Le fait que je sois la première femme à assumer ces fonctions est secondaire. Nous avons eu des ambassadrices indiennes dans de nombreux pays, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Chine, la Russie, l’Allemagne ou dans le voisinage. Ce n’était qu’une question de temps avant que l’erreur ne soit corrigée. Et je me considère très chanceuse et privilégiée d’être la première à être nommée à ce poste.

Au sein de la diplomatie étrangère à Maurice, on compte cinq femmes qui sont ambassadrices, moi incluse. (…) C’est la preuve que votre pays offre aux femmes un accès égal aux opportunités en tant que pays sûr, paisible et progressiste. D’ailleurs, le haut-commissaire de Maurice en Inde est une femme, en la personne de Santi Bai Hanoomanjee.

Quel a été votre parcours avant d’atterrir à Maurice ?
Je suis une Indienne du Sud, issue d’une famille de la classe moyenne. J’ai grandi dans de petites villes au nord de l’État du Karnataka. Dès mon jeune âge, j’ai toujours été fascinée par l’aspect unique de chaque être humain et comment tout cela se reflète dans l’incroyable diversité de notre planète, des pays et cultures qui la constituent. Donc, ayant grandi dans de petites villes, j’ai toujours eu cette soif d’explorer le monde. Aujourd’hui, en étant diplomate, j’ai le privilège de connecter le reste du monde à mon pays. C’est un rêve devenu réalité.

Après un merveilleux passage à Paris, où mon fils aîné est né, j’ai travaillé au département dédié aux Nations unies au sein de notre ministère des Affaires étrangères. Par la suite, j’ai eu une affectation au haut-commissariat au Bangladesh, où est né mon deuxième fils. 

De retour en Europe, j’ai travaillé dans la mission permanente indienne auprès des Nations unies à Genève. En 2012, je suis retournée à New Delhi pour d’abord travailler dans la division Amérique, en tant que chargée des relations entre l’Inde, les États-Unis et le Canada. Ensuite, j’ai été promue directrice générale du département en charge des relations entre l’Inde et les pays d’Europe occidentale tels que le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, etc. En 2016, j’ai pris mes fonctions d’ambassadrice indienne au Portugal. Quatre ans et demi plus tard, je suis heureuse d’être ici maintenant !

Lorsque j’écoute les nouvelles en hindi à la radio ou que je regarde des films de Bollywood à la télévision, j’ai du mal à croire que je suis dans un pays étranger.»

Et cette maîtrise du français - trait rare dans la diplomatie indienne telle que nous la connaissons – d’où vient-elle ?
Comme tout diplomate, après avoir rejoint le service indien des affaires étrangères, j’ai dû apprendre une langue. J’ai choisi le français, car c’était aussi mon rêve de pouvoir le parler. Car le français est la langue traditionnelle de la diplomatie, du savoir-vivre et de tout ce qui est sublime et beau ! C’était aussi la clé qui m’ouvrait les portes de tout ce que je voulais découvrir : les œuvres d’art, la littérature, la gastronomie, le cinéma, la mode, la belle capitale qu’est Paris, sans oublier mon pain au chocolat préféré !

Qu’est-ce que cela fait de passer des capitales animées de l’Europe à une nation insulaire de l’océan Indien avec une population inférieure à un millième de celle de l’Inde ? Est-ce que la transition a été plus difficile qu’ailleurs ? 
Au contraire, je suis ravie d’explorer une nouvelle géographie, à la fois fascinante et très importante, soit l’île Maurice et la région de l’océan Indien ! Je souhaitais une expérience d’apprentissage différente et significative. Je n’aspirais qu’à deux choses dans une nouvelle affectation - un endroit avec de la nature et de la verdure ainsi qu’un travail épanouissant et significatif. 

La transition a en fait été plus facile, car Maurice est si familière ! De tout ce que j’ai vu au cours des quelques jours que j’ai passé ici, certaines parties me rappellent ma ville natale de Bangalore. Et quand je rencontre des gens qui connaissent l’Inde, lorsque j’écoute les nouvelles en hindi à la radio ou que je regarde des films de Bollywood à la télévision, j’ai du mal à croire que je suis dans un pays étranger. C’est un véritable privilège pour tout diplomate et je me sens bénie d’être ici.

Au cours de votre premier round de rencontres avec le président de la République, Prithvirajsing Roopun, le Premier ministre Pravind Kumar Jugnauth et d’autres personnalités publiques, quel a été le message essentiel que vous avez transmis ?
Le message a été que Maurice est un pays très spécial et unique pour l’Inde et les Indiens. C’est une relation qui va au-delà de la diplomatie et des liens intergouvernementaux. La relation est un lien de cœur, nouant de manière étroite nos deux peuples. Je leur ai également fait part de mes réunions préparatoires à Delhi avant de venir ici, et à quel point j’ai été étonnée de voir le soutien, le respect et la bonne volonté généralisés pour Maurice. Une attitude qui existe non seulement au niveau politique mais également au niveau de l’administration et du peuple.

Quelles sont vos principales priorités dans une nouvelle ère où un virus met à genoux la plus puissante des économies ?
Les relations Maurice-Inde sont excellentes. Elles l’ont toujours été. Ainsi, les principes fondamentaux, la bonne volonté et la fraternité entre les deux pays resteront toujours les mêmes. Il y aura toujours une continuité à cet égard. La manière dont l’amitié et le soutien mutuels progresseront dépendra des nouvelles opportunités et des défis auxquels nos deux pays seront confrontés. 

Prenons l’exemple du naufrage du MV Wakashio. L’assistance immédiate a été le déploiement d’un navire de la marine indienne et des gardes-côtes pour des opérations de secours en cas de catastrophe à Maurice. C’est une première. L’autre fait est le soutien d’urgence, de nuit, courageux et même risqué, fourni par l’équipe de l’Indian Airforce Training aux officiers du Police Helicopter Squadron.

Qui plus est, nous avons fourni des médicaments essentiels gratuits, comme des comprimés d’hydroxy-chloroquine et une équipe d’intervention rapide d’experts médicaux pour aider Maurice à lutter contre la pandémie de la Covid-19. Des actions sans précédent. 

Alors que le monde tente de retrouver sa normalité post-coronavirus, l’Inde continuera à soutenir le peuple mauricien dans sa relance de l’économie en fournissant des vaccins, en signant le Comprehensive Economic Cooperation And Partnership Agreement, et en aidant Maurice à sortir de la liste grise du Groupe d’Action Financière et de la liste noire de l’Union européenne.

J’espère également que nous puissions aller au-delà de notre collaboration actuelle et étendre notre solide partenariat de développement à des domaines d’avenir tels que la science, la technologie, la recherche, les startups, l’informatique, l’éducation, l’économie bleue, l’autonomisation des femmes, le développement communautaire, entre autres.

En 2020, Maurice a enregistré sa pire contraction économique en quatre décennies. Le soutien des alliés économiques proches est important en ces temps difficiles. Comment voyez-vous l’Inde aider Maurice à court et moyen termes ?
Ce sont des moments difficiles pour tous les pays du monde, y compris Maurice et l’Inde. De mémoire d’homme, la pandémie de la Covid-19 a engendré le pire impact socio-économique mondial. Alors que l’Inde elle-même essaie de relancer son économie, nous nous efforçons d’aider les pays partenaires et amis comme Maurice à redécoller eux aussi. 

À titre d’exemple, la signature de l’accord de libre-échange, qui ouvrira la voie à l’augmentation des exportations de Maurice vers l’Inde, contribuera à attirer plus d’investissements vers le pays et contribuera à générer plus d’activités économiques et d’emplois.

Des sociétés et startups pourraient être invitées à considérer Maurice comme un lieu idéal non seulement pour les événements d’entreprise, mais aussi en tant que destination propice au travail à domicile.»

Et quid du financement ?
II existe plusieurs projets de développement soutenus par l’Inde. La valeur se compte en centaines de millions de dollars. Ces projets visent à améliorer les infrastructures, la prestation de services et l’efficacité économique.  Ils génèrent de la croissance à un moment où elle est plus que jamais nécessaire. Le gouvernement indien envisage déjà un soutien financier supplémentaire pour les projets prioritaires de développement de Maurice, dans un scénario économique post-coronavirus.

À votre avis, quels sont ces secteurs où un partenariat plus étroit serait du domaine du possible ?
D’abord, il est nécessaire de faire le marketing de la marque Maurice auprès des entreprises et des investisseurs indiens et de projeter la destination en tant que pôle et passerelle vers l’Afrique. Ensuite, nous pourrions développer une stratégie pour cibler des secteurs spécifiques, comme les services financiers, l’informatique, l’économie bleue, la pêche…

Maurice pourrait être présentée comme destination merveilleuse pour le tournage pour l’industrie du cinéma / télévision, les plateformes OTT (plateforme de streaming), les touristes indiens, les organisateurs de mariages, comme pays phare du tourisme et du bien-être. 

De plus, des compagnies et startups pourraient être invitées à considérer Maurice comme un lieu idéal non seulement pour les événements d’entreprise, mais aussi en tant que destination propice au travail à domicile. Les entreprises pourront continuer à opérer à distance tout en profitant du cadre de vie sur cette île paradisiaque, jusqu’à ce que le monde se rétablisse de la Covid-19. Tous ces éléments contribueront à stimuler l’économie mauricienne.

Maurice possède l’une des plus grandes zones économiques exclusives du monde. Est-ce que vous vous attendez à une coopération accrue entre les deux pays dans la surveillance de ces eaux ?
Il est évident qu’une zone économique exclusive comme celle de Maurice doit être protégée de manière optimale afin d’exploiter de façon légitime les ressources qui s’y trouvent. Cela nécessite un développement régulier des capacités de surveillance, de contrôle et d’application de la loi en mer. 

Rappelons que peu de temps après l’indépendance de Maurice, l’Inde a aidé à construire une garde-côte viable en offrant des navires, des avions et des hélicoptères, en assurant la formation du personnel mauricien ainsi que le déploiement de spécialistes indiens. Nous sommes disposés à soutenir davantage les initiatives du gouvernement mauricien en matière d’acquisition de technologies modernes pour la protection de sa vaste zone économique, en termes d’actifs tels que les bateaux de patrouille, les avions, les radars côtiers ou en termes de partage d’informations. La connaissance du domaine maritime et des questions de sécurité qui y sont liées constitue un autre dossier prometteur où nous pouvons collaborer davantage.

Depuis 2005, l’Inde déploie régulièrement des navires spécialisés pour aider à cartographier le fond océanique de Maurice. Ces exercices produisent de vastes quantités de données hydrographiques précieuses de la zone mauricienne. Elles peuvent aider au développement ciblé de ces ressources marines. À l’avenir, nous devrions explorer le potentiel de l’économie bleue du pays, qui demeure une vaste zone inexploitée allant au-delà de la pêche et du transport maritime. Cela comprend l’extraction de métaux précieux et d’autres ressources des fonds marins.

Vous conviendrez que l’océan Indien est une vaste zone pour des activités illégales…
En effet, l’océan Indien est vaste. Les menaces maritimes transnationales, telles que la piraterie, la pêche illégale, le braconnage, la contrebande, l’immigration illégale et le trafic de drogue sont au-delà des frontières. Des efforts de coopération sont nécessaires pour faire face à ces menaces qui mettent en péril la paix, la sécurité et l’état de droit. 

La contrebande de stupéfiants en mer est un problème très connu dans la région car elle a un énorme impact socio-économique négatif sur les petits États insulaires en développement. Gardant ces défis communs à l’esprit, l’Inde est disposée à s’associer à Maurice pour favoriser la coopération régionale en matière de sécurité maritime. La formation et le développement des compétences des professionnels maritimes est un domaine dans lequel nous pouvons travailler ensemble et aider la région dans le renforcement des capacités. Nous pourrions examiner comment travailler avec des forums comme Indian Ocean Rim Association et la Commission de l’océan  Indien à cet effet.

 

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