
Dans un jugement rendu le 16 septembre 2025, la Cour suprême a annulé l’ordonnance d’un juge des référés obligeant l’ancien journaliste de l’express, Micael Axcel Chenney, à remettre ses appareils électroniques à la police afin qu’ils soient examinés. Ce verdict relance le débat sur la liberté d’expression, la protection des données personnelles et la confidentialité des sources journalistiques. Analyse et décryptage avec trois avocats spécialisés.
Publicité
Me Penny Hack : « Un verdict pour contrecarrer les abus et les iniquités que subit le citoyen »
Me Penny Hack salue un jugement qui, selon lui, marque un tournant. Il rappelle que nul n’est au-dessus de la loi. Mais surtout, il constitue un point de départ pour lutter contre les abus et les iniquités subis trop souvent par les citoyens.
En analysant le jugement, l’avocat met en lumière trois principes essentiels. Tout d’abord, il souligne que tout suspect dispose du droit constitutionnel de garder le silence, principe issu de la présomption d’innocence. Ce droit inclut le principe selon lequel nul ne peut être contraint de s’auto-incriminer. Toutefois, il reconnaît que ce privilège n’est pas absolu.
Selon lui, les juges ont estimé que l’ordonnance du juge des référés, obligeant un suspect à fournir des données « directement pertinentes » à l’enquête, reviendrait à lui imposer de produire lui-même des preuves n’ayant pas d’existence indépendante de sa volonté. En d’autres termes, le suspect serait contraint de sélectionner, valider et remettre des informations, ce qui constitue une forme d’auto-incrimination indirecte.
En ce qui concerne la confidentialité des sources journalistiques, Me Penny Hack estime que ce principe ne s’applique pas aux éléments de preuve obtenus par la contrainte lorsque ceux-ci ont une existence indépendante de la volonté du suspect. Cela inclut, selon lui, les documents, ainsi que les échantillons d’haleine, de sang, d’urine ou de tissus corporels, utilisés pour des tests ADN.
Il précise que cela s’applique autant aux journalistes qu’à toute autre personne. En clair, aucun privilège spécifique n’est accordé à la presse dans ce contexte. Au contraire, ce jugement ouvre la voie à une obligation de divulgation, même pour les professionnels de l’information.
Lacunes inquiétantes
Au-delà des principes, Me Penny Hack pointe du doigt une faille majeure du système : la facilité avec laquelle une autorité publique peut obtenir une ordonnance en référé, sans urgence réelle, sans preuves solides, et à l’insu de la personne concernée. Il rappelle que dans l’affaire en question, Axcel Chenney avait déjà contesté l’examen des téléphones saisis lors d’un interrogatoire. Pourtant, ce n’est que plusieurs mois plus tard que la police a déposé une requête ex parte devant le juge des référés, en vertu de l’article 13(1)(a) de la Computer Misuse and Cybercrime Act 2003. L’ordonnance a été rendue uniquement sur la base de cette requête et d’un affidavit, sans audition du journaliste.
Me Hack Penny dénonce un abus récurrent de cette procédure ex parte par les autorités, qui vont, selon lui, jusqu’à induire la Cour en erreur. « Cette tendance persiste depuis des années à cause d’un biais en faveur des instances publiques – une présomption de bonne foi – et au détriment des droits de l’individu », dit-il.
Il explique dans ce cas précis, les conditions étaient contraires à toute notion d’équité, la base de toute demande en référé. Axcel Chenney aurait dû, au minimum, avoir l’occasion de faire valoir ses droits constitutionnels avant que la décision ne soit rendue.
Pour l’homme de loi, ce jugement est un signal d’alarme. Il marque le début d’une prise de conscience contre les abus et les iniquités que subit le citoyen. « Vu les nombreux cas de fraude et de corruption révélés depuis le début de l’année y compris la saga Reward Money, il est peut-être temps de remettre en question cette présomption de bonne foi accordée à nos institutions publiques », conclut-il.
Sommé de remettre ses données personnelles : L’ex-journaliste de l’express Axcel Chenney obtient l’annulation de cet ordre
La Cour suprême a annulé, le 16 septembre 2025, un ordre contraignant l’ancien journaliste de l’express Axcel Chenney, à fournir des données électroniques contenues dans ses appareils personnels. Les juges ont estimé que cette obligation violait son droit constitutionnel au silence et le privilège contre l’auto-incrimination.
Tout a commencé en septembre 2017, quand Axcel Chenney, alors journaliste à La Sentinelle, avait été convoqué aux Casernes centrales avec son directeur des publications Nad Sivaramen et son collègue Yasin Denmamode. La police les soupçonnait d’avoir comploté avec Mohamad Husein Abdool Rahim afin de provoquer la chute de l’ex-Attorney General, Ravi Yerrigadoo.
Lors d’une perquisition à son domicile, deux téléphones portables et une clé USB avaient été saisis. Par la suite, la police avait obtenu, via une demande ex parte devant le juge des référés, une ordonnance, obligeant Axcel Chenney à soumettre les données « directement pertinentes » à l’enquête, stockées dans ces appareils.
Contraire à ses droits
Mais l’ancien journaliste de l’express avait contesté cette décision, avançant qu’elle violait ses droits constitutionnels, notamment celui à ne pas contribuer à sa propre incrimination, la liberté de la presse. Dans leur arrêt, les juges Nicholas Oh San-Bellepeau et Raatna Seetohul-Toolseee ont estimé que l’ordonnance en question obligeait le journaliste à sélectionner et valider lui-même les données à remettre. Ce qui, selon eux, revenait à un acte volontaire de coopération à l’enquête, contraire à ses droits.
Les juges ont également relevé qu’aucune preuve ne démontrait que les données échappaient au champ du journalisme. Ainsi rendant injustifiée l’absence d’audition du journaliste avant que l’ordonnance ne soit rendue.
En conséquence, l’ordonnance a été annulée. D’autre part, ils ont souligné que si le droit au silence n’est pas absolu, toute mesure coercitive à l’encontre d’un « suspect » doit respecter les principes de justice fondamentale, y compris la présomption d’innocence et l’équité procédurale.
Me Miguel Ramano : « Les failles résident dans l’application de nos lois »
Pour Me Miguel Ramano, le jugement est bien motivé, solide et argumenté. L’avocat souligne que les journalistes doivent pouvoir exercer leur métier sans crainte. Selon lui, les véritables failles ne résident pas tant dans le cadre législatif actuel, mais dans son application sur le terrain.
Il rappelle qu’en première instance, une ordonnance avait été rendue par la Cour à l’attention du commissaire de police. Celle-ci obligeait Axcel Chenney, ancien journaliste de l’express, à fournir certaines données jugées directement pertinentes pour l’enquête, présentes sur trois appareils électroniques. Cette ordonnance a été annulée par le jugement récent.
Parmi les arguments avancés dans la requête du journaliste figurait l’atteinte à son droit constitutionnel au silence et à la protection contre l’auto-incrimination. En effet, bien que l’affaire ait concerné un journaliste, Me Miguel Ramano souligne que l’importance de cette décision dépasse ce seul cas particulier. Elle aborde des questions de fond sur les droits constitutionnels, notamment l’article 10(7) de la Constitution, relatif à la protection contre l’auto-incrimination.
Après une analyse rigoureuse appuyée sur une jurisprudence abondante, la Cour a conclu qu’Axcel Chenney avait bel et bien été contraint de produire des preuves, ce qui viole les protections constitutionnelles accordées aux suspects dans le cadre d'une enquête pénale. « Certains souhaitent élargir le débat à la protection des journalistes face aux intrusions dans leurs appareils. Je comprends cette inquiétude, mais je ne pense pas qu’il faille tirer des conclusions générales à ce stade », avance Me Ramano.
Il insiste sur le fait que cet arrêt ne dit pas que les appareils électroniques ne peuvent plus être saisis, ni que les demandes de ce type seront systématiquement rejetées à l’avenir. Les lois en vigueur prévoient des mécanismes légaux pour encadrer ces procédures, et selon lui, nous devons nous attendre à en voir d’autres.
« Je ne veux alarmer personne, mais il ne faut pas non plus exagérer la portée de ce jugement. Cela dit, je suis satisfait que la demande d’Axcel Chenney ait été acceptée. Les journalistes jouent un rôle crucial dans une démocratie. Il s’agit de ‘Hold those in power to account’. Pour cela, ils doivent pouvoir exercer leur métier sans crainte », ajoute-t-il.
Droits fondamentaux
Pour Me Miguel Ramano, toute démocratie digne de ce nom doit reposer sur des principes fondamentaux au premier rang desquels la liberté d’expression. Or, celle-ci est indissociable de la liberté de la presse. « La liberté d’expression en fait partie. Il n’y a pas de liberté d'expression sans liberté de la presse. Aucun pays ne peut prétendre être démocratique sans liberté de la presse », dit-il.
Il soutient en autre que la liberté de la presse ne consiste pas uniquement à publier ce qu’on veut, mais à assumer un rôle de contre-pouvoir. Cela implique une presse capable de demander des comptes, de dénoncer les abus, sans craindre les représailles : obligation de révéler ses sources, confiscation ou fouille d’appareils électroniques, ou violation du code de déontologie.
« Imaginez un monde où les lanceurs d’alerte ou les sources ne parleraient plus, de peur d’être exposés. Est-ce cela, une société démocratique ? », s’interroge-t-il. Dans cette optique, même les gouvernants devraient défendre une presse libre, condition indispensable à la transparence et à la redevabilité.
Lois mal appliquées
À son avis, notre arsenal juridique est déjà bien fourni. L’Independent Broadcasting Authority Act, l’Information and Communication Technologies Act 2001 (ICT Act 2001) ou encore la Cybersecurity and Cybercrime Act 2021 encadrent clairement l’accès aux appareils électroniques dans le cadre d’enquêtes. Ces textes prévoient que toute demande d’accès doit être soumise à un juge siégeant des référés du conseil, pour autorisation. Autrement dit, aucune intrusion ne peut avoir lieu sans justification préalable et contrôle judiciaire.
« Le vrai problème ne vient pas de la loi, mais de son exécution », soutient-il. Il se demande : la police est-elle suffisamment formée pour comprendre les limites de son pouvoir ? Il évoque l’affaire récente de Narain Jasodanand, où les agissements de la police semblent aller bien au-delà d’un simple manque de formation.
« Il y a une perception claire selon laquelle certaines autorités agissent en dehors du cadre légal. » Selon lui, croire que le « consentement » des suspects à donner accès à leurs appareils est libre et éclairé relève de l’illusion.
Pistes pour combler les failles
Dans un monde en évolution rapide, Me Miguel Ramano estime que notre cadre juridique doit s’adapter aux nouvelles réalités technologiques. Le véritable défi est de trouver un équilibre entre la protection des droits fondamentaux (du citoyen, du journaliste, de toute personne interrogée) et les impératifs de sécurité et de justice.
Malheureusement, observe-t-il, les abus de pouvoir et les arrestations arbitraires se multiplient. Le régime actuel, qui avait fait campagne sur un programme de « Changement », doit traduire ses promesses en actions concrètes. Il cite notamment la nécessité urgente de réformer certaines lois obsolètes ou répressives, comme l’ICT Act. « On ne peut pas dire que l’ICT Act était problématique seulement sous l’ancien gouvernement. Les régimes changent, mais la loi demeure », constate-t-il.
Il plaide également pour une vraie formation juridique au sein de la police. Il évoque des cas où certains officiers pénètrent de force dans des appareils sans autorisation ni consentement, une situation qu’il juge inacceptable. « Il existe une méconnaissance grave des règles d’accès aux données. Il est impératif de former les enquêteurs aux bases du droit. Cela bénéficiera à tout le système judiciaire », dit-il.
Peut-on contraindre un individu à fournir les données contenues dans ses appareils électroniques ?
Pour Me Rouben Mooroongapillay, le récent jugement de la Cour suprême s’inscrit comme une décision « audacieuse et saluée ». Selon lui, ce verdict marque une avancée importante, en ce sens qu’un juge des référés ne peut pas ordonner à un individu de fournir des données électroniques dans le cadre d’une enquête si cette obligation porte atteinte à ses droits constitutionnels, notamment le droit au silence et le privilège contre l’auto-incrimination.
« Au regard de ces principes fondamentaux, la Cour suprême a estimé que l’ordonnance en question violait les droits garantis par la Constitution », souligne-t-il. L’avocat explique que pour obéir à cette ordonnance, l’ancien journaliste de l’express Axcel Chenney aurait dû lui-même trier, sélectionner, puis valider les données à remettre, en les considérant comme étant « directement pertinentes » pour l’enquête policière.
« Cela revient à le forcer à collaborer activement à sa propre incrimination, ce qui est clairement contraire à l’esprit et à la lettre de notre Constitution », fait valoir Me Rouben Mooroongapillay. Autre point soulevé : rien ne permettait de démontrer que les données saisies ne relevaient pas de l’activité journalistique. Or, dans un tel contexte, la Cour a jugé qu’il était inapproprié d’émettre une telle ordonnance sans même avoir entendu le journaliste concerné. Ainsi l’ordonnance a été annulée.
Selon Me Rouben Mooroongapillay, cette décision établit un juste équilibre entre deux impératifs essentiels : les garanties constitutionnelles accordées aux suspects dans une démocratie et les besoins légitimes des autorités d’enquête pour accéder à certaines informations dans le cadre d’une procédure pénale. En outre, le jugement s’aligne sur l’approche en vigueur en droit anglais : un suspect peut être contraint de fournir des éléments, à la seule condition que ceux-ci existent indépendamment de sa volonté.
« Ce jugement fera jurisprudence », conclut Me Rouben Mooroongapillay. Car il protège à la fois les droits individuels et le respect de la procédure, tout en laissant une porte ouverte à l’enquête, lorsque celle-ci est encadrée par les garanties nécessaires.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !