Directeur de Media Expertise et journaliste, Jean-Luc Mootoosamy commente les sondages récents qui, selon lui, révèlent une lassitude générale des Mauriciens face à la classe politique, qu’elle soit de la majorité ou de l’opposition. Il place cette situation dans le contexte des élections générales.
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Les sondages de Pulse Analytics et d’Afrobarometer montrent que ni les politiciens de la majorité ni ceux de l’opposition ne se démarquent en termes de popularité. Comment l’expliquer ?
Dans les deux camps – si nous parlons des deux blocs d’alliances –, les actions, les initiatives ne sont pas parvenues à convaincre les personnes interrogées. Ça ne semble pas transporter les foules. Je pense que ces chiffres traduisent une lassitude. C’est le reflet de l’indécision des sondés et cela se sent dans la population. Les Mauriciens ne savent pas encore à qui accorder leur confiance.
J’imagine aussi la déception des sondés face au triste spectacle auquel ils assistent. Les invectives et hurlements au Parlement, les expulsions, les suspensions... Des politiciens contesteront peut-être ces chiffres en disant « fos sondaz », que leurs partisans sont contents et donc qu’ils sont populaires. Ils confondent notoriété et popularité. Être connu, entendu à longueur de journée, ne veut pas dire être aimé.
Pour provoquer une adhésion, il faut aussi être respecté, admiré, aimé même. Aucun doute que les partisans interrogés se sont exprimés pour leur camp, mais les chiffres publiés montrent que le parti des non diehards est plus important. Je pense aussi que certains sondés n’ont pas voulu s’exprimer publiquement sur leur choix de peur de représailles. Beaucoup réservent leur décision pour les élections.
Notre pays a surtout besoin du vote de chaque Mauricien inscrit sur les listes électorales. Pour notre démocratie, reprenons la main. Votons !»
Quel crédit faut-il donner à ces sondages ?
Un sondage est toujours une photographie à un moment précis. Les choses évoluent entre la collecte des données, l’analyse et la publication. Celui-ci a été réalisé entre le 24 avril et le 11 mai 2024, donc ce n’est pas un instantané d’août 2024. Il concerne, entre autres, la performance des partis politiques au meeting du 1er-Mai.
Ce sondage est-il toujours valable avec les développements politiques des dernières semaines ? La question est légitime. Ce sondage demeure, cependant, un outil de travail très utile. Le meilleur sondage reste, pour moi, les élections, « kan kas bwat ».
Est-ce que ce mécontentement pourra cette fois-ci être bénéfique aux petites formations politiques ?
Difficile à dire. D’ailleurs, le sondage ne précise pas si « opposition » inclut les nouveaux partis politiques, ceux appelés partis émergents. Je pense que ceux qui n’iront pas dans la logique « vot blok » choisiront leur candidat et puiseront parmi des candidats de partis qui auront fait campagne sur le terrain, écouté les Mauriciens, montré de la proximité, mis en avant des valeurs. Nous aurons bien vite un aperçu des intentions pendant la campagne.
Il est vrai que ces partis « émergents » font face à beaucoup de vents contraires : un système électoral qui favorise les blocs, une sous-exposition dans les médias par rapport aux deux alliances... La tâche est plus difficile pour occuper l’espace national, mais localement les choses sont différentes. La proximité compte et paye.
Certains observateurs n’excluent pas que certaines de ces formations diviseront le vote des électeurs dans l’opposition et pourraient ainsi ouvrir la porte au gouvernement. Quelle est votre opinion sur la question ?
C’est le propre de toutes les élections, n’est-ce pas ? C’est le jeu que tout démocrate devrait accepter : une élection avec plusieurs candidats. Les deux blocs ne manqueront pas de sortir le refrain du vote utile et diront qu’ils sont les seuls recours. Ils doivent vraiment comprendre qu’ils entrent dans une période où les électeurs redeviennent les patrons. C’est à l’opposition parlementaire de mettre les bons candidats.
Quant au gouvernement, il est aussi face à un problème comparable. Est-il convaincu d’obtenir les sièges dans les régions rurales ? Le gouvernement sait que sa tâche sera extrêmement compliquée dans les villes qu’il a privées d’élections municipales. Et ce n’est pas le Metro Express qui fera oublier cette frustration.
Quid des membres de l’alliance gouvernementale ? Est-ce qu’elle restera soudée avec l’arrivée de nouveaux partenaires ?
Est-ce que vous pensez que le taux de participation sera plus élevé cette fois-ci qu’en 2019 ?
Le sondage d’Afrobarometer laisse entendre que les Mauriciens ne sont pas encore décidés. Les enjeux sont importants. Je ne me considère pas comme prescripteur, mais si vous me permettez de dire ceci : c’est important de s’indigner, de dire les choses sur les antennes de radio, de débattre de la situation dans le pays sur les réseaux sociaux. Mais notre pays a surtout besoin du vote de chaque Mauricien inscrit sur les listes électorales. Pour notre démocratie, reprenons la main. Votons !
Un sondage est toujours une photographie à un moment précis (…) Mais le meilleur sondage reste, pour moi, les élections, ‘kan kas bwat’»
Pensez-vous que les électeurs ont déjà fait leur choix ou attendront-ils la dernière minute pour trancher ?
Les diehards ont déjà choisi et ne bougeront pas. Ce sont des fidèles investis pour la cause de leurs partis. C’est un attachement admirable.
Quant aux autres citoyens – je pense que c’est la majorité –, ils suivront ce qui leur est proposé et choisiront quand viendront les élections. Ces citoyens ne sont pas des « san konpran », ils veulent seulement prendre le temps pour cette décision. C’est leur droit.
Cette situation impose, en face, un investissement énorme des candidats en termes de présentation de ce qu’ils feront, de présence sur le terrain. Ceux qui disent, encore aujourd’hui, qu’ils ont leur « électorat », devraient se montrer modestes. De plus en plus d’électeurs effectueront un exercice simple : combien de fois ont-ils vu leurs députés en cinq ans. Et là je ne parle pas de funérailles, de mariage, de safran, de « vindu », de « gato Marie », mais simplement de passages pour voir l’état de la circonscription.
J’ai vérifié : en cinq ans, ma mère n’a pas vu passer une seule fois les députés du n°19 – deux de l’opposition et un de la majorité – dans sa rue. Qu’on ne vienne pas lui parler de dépôt fixe. Et ce n’est pas non plus la pension qui augmente qui changera les choses. Elle voit plus les prix qui augmentent que la pension qui grossit. Et je suppose que beaucoup d’autres personnes vivent cela.
Il est un fait que malgré un vœu de rupture avec les pratiques politiques du passé d’une partie de la population, les principales formations politiques ne parviennent pas à incarner cette rupture. Qu’est-ce qui pourrait l’expliquer ?
Le Dr Navin Ramgoolam parle régulièrement de « rupture » dans la manière de faire les choses s’il est élu. C’est un engagement qu’il prend. Mais des Mauriciens voudraient aussi une rupture dans l’alignement des acteurs qui réaliseront le travail.
Que voient-ils ? Quasi le même casting et un enracinement tenace plutôt qu’un renouvellement. Les Mauriciens voient le rajeunissement des dirigeants dans d’autres pays. À Maurice, la question de rajeunissement à la tête des partis, avec des personnes capables de tenir le gouvernail pendant cinq ans et s’engager sur la durée, demeure taboue.
L’opposition avait une opportunité avec un vrai mélange d’anciens qui prendraient le rôle de mentor, de guides expérimentés, et de nouvelles têtes qui seraient au front. Il ne faudrait pas sous-estimer cette occasion manquée dans le choix des électeurs.
Et ce n’est pas mieux pour ceux qui sont aux commandes ou leurs alliés déclarés ou pas. Quand on entend M. Xavier-Luc Duval parler de « bate rande » avec sa motion de censure contre le leader de l’opposition, c’est bien l’illustration que nous sommes loin d’un changement de culture politique. D’un côté, on ne veut pas céder la place, de l’autre on confond l’Assemblée nationale avec « lakaz mama » ou « kanpman papa ».
Les nouvelles formations ont la possibilité de montrer une autre approche. Certaines sont malheureusement déjà dans le culte du leader.
Est-ce que ces cadeaux arriveront à convaincre les indécis ? Ils les prendront probablement, mais réfléchiront au moment du vote»
Croyez-vous que des récentes décisions, inaugurations à venir ou annonces qui seront faites, influenceront l’opinion des électeurs ?
Nous savons tous que le Bolom Nwel va passer et repasser plusieurs fois durant les prochaines semaines. Il pleuvra des maisons, des couettes, des micro-ondes, de meilleures conditions de service dans le public. Et nous pouvons même nous attendre à ce que le prix de l’essence baisse de moitié deux jours avant les législatives. Pourquoi pas ? Rien dans nos lois existantes ne peut empêcher cette forme de « campaigning », n’est-ce pas ?
Il y a quand même une forme d’indécence dans ces pratiques, une absence de respect pour ces compatriotes à bout le souffle. Les parkings de centres commerciaux sont peut-être pleins, mais les caddies sont quasi vides. Est-ce que ces cadeaux arriveront à convaincre les indécis ? Ils les prendront probablement, mais réfléchiront au moment du vote.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de ces élections ?
L’ambition que nous avons pour notre République et ses composantes, pour sa jeunesse, pour chacun de ses citoyens, pour ses services publics – l’éducation, la santé, la radiotélévision nationale –, pour sa place sur le continent africain, son rayonnement dans la région, sa gouvernance, son indépendance. Les enjeux de cette élection sont d’intérêt public et non d’intérêt particulier de chefs de partis ou de formations politiques qui veulent se maintenir ou maintenir leur lignée.
Quelles sont les principales stratégies des partis pour mobiliser leurs électeurs ?
Il y a ce que nous voyons dans des prises de paroles publiques et ce qui se passe hors caméra. Et ce qui transpire sur les réseaux sociaux sent vraiment mauvais. L’arme « communale » est déjà bien utilisée. Quand M. Xavier-Luc Duval – et pas un autre leader proche du pouvoir – répète à plusieurs reprises que le Dr Navin Ramgoolam est sous l’influence de M. Paul Bérenger, nous comprenons le sous-titre : attention, Bérenger est le vrai patron de leur alliance ! Cela pèse lourd dans certaines régions.
L’opposition a annoncé, récemment un meeting à Triolet en septembre pour les nos 5, 6 et 7, puis au no 8. Il faudra voir comment les zones rurales réagiront. Le terrain est plus important que les conférences de presse, où ces discours seront contrés.
Nous voyons comment les formations politiques mobilisent leurs partisans, les convaincus. Mais pour moi, la stratégie pour agrandir leur électorat n’est pas claire.
Nous savons tous que le Bolom Nwel va passer et repasser plusieurs fois durant les prochaines semaines»
On entend beaucoup parler de la cherté de la vie, malgré les récents compensations et réajustements salariaux, ainsi que les différentes aides du gouvernement (CSG Allowance, soutien de la MRA, etc.). Comment les questions économiques influencent-elles la campagne électorale ?
Ce sera central. Chacun viendra avec sa mesure, sa proposition. C’est ce dont parlent les Mauriciens chaque jour. Ils s’attendent donc à des mesures. La distribution d’argent ne suffit pas, les Mauriciens le disent. Il faut des mesures plus profondes et qui prendront du temps à rapporter des fruits. Les propositions économiques compteront dans cette campagne.
Quels sont les principaux défis auxquels seront confrontés les candidats lors de ces élections ?
Pour ceux de la majorité, ce sera de défendre le bilan du gouvernement pour expliquer que le positif est plus important que le côté obscur. Une tâche difficile où ils devront se préparer aux réactions d’un public à bout dans certaines régions. Pour l’opposition, ce sera de convaincre qu’elle est en mesure de faire mieux que le gouvernement, que l’alliance tiendra, que les leaders ont la capacité de tenir la barre pendant cinq ans.
Pour tous les candidats, la démonstration de leur légitimité pour se présenter dans une circonscription sera aussi importante. Les « parachutés » auront beaucoup à faire pour se faire accepter dans certaines circonscriptions. Le parcours professionnel de chacun ne suffit pas. Il faut savoir ce qu’ils feront localement, quelles valeurs les portent, ce qu’ils ont dans le cœur aussi.
Ceux qui disent, encore aujourd’hui, qu’ils ont leur ‘électorat’, devraient se montrer modestes»
Quel rôle joueront les médias dans cette campagne électorale ?
Un rôle essentiel, celui de raconter cette campagne de manière honnête, fiable et sans parti pris. Les médias doivent pouvoir donner la parole à toutes les voix légitimes, permettre une circulation d’idées pour aider les citoyens à faire leur choix. Ils ont aussi la responsabilité de ne pas enflammer le pays, de permettre un débat apaisé. Ces règles s’appliquent au privé comme au public.
Il appartient aussi aux médias d’établir, construire, maintenir des relations de travail avec le bureau du commissaire électoral de Maurice. Ils doivent éviter d’affaiblir cette institution en propageant des rumeurs véhiculées par des partis politiques.
Pensez-vous que les médias sur les réseaux sociaux joueront un plus grand rôle cette fois ?
Il faut s’y attendre, avec toutes sortes de contenus, sérieux ou pas. De nouvelles plateformes sont nées avec des journalistes sérieux. Il y a aussi ceux qui s’improvisent journalistes parce qu’ils savent tenir un micro. Ceux-là n’ont pas de carte de presse et font du mal à ce secteur.
Par ailleurs, les fake news, ces éléments fabriqués sous forme d’articles de presse pour nuire, sortiront de partout. Filtrer tout ce qui passe sur les réseaux est impossible, surtout dans un pays où il n’y a pas d’éducation aux médias, pour faire le tri.
En revanche, il est possible pour les médias de lutter contre les fake news en proposant des contenus riches, originaux, proches des citoyens, en étant médias de référence. Quand de tels médias existent, il reste peu d’espace pour les fake news. C’est généralement ce qui est attendu du service public, ce qui est attendu de la Mauritius Broadcasting Corporation. Je lui souhaite d’être un jour ce média refuge. La redevance qu’elle perçoit du public la rend redevable envers les Mauriciens.
Les programmes électo-raux, et des questions environnementales, de développement durable ou de lutte contre la corruption auront-ils une importance pour les électeurs ?
Je souhaite vivement que ce soit le cas. Je souhaite aussi que les électeurs aient connaissance des projets détaillés des partis politiques sur ces sujets d’importance nationale. Qu’ils n’oublient pas comment nous étions démunis lorsque Port-Louis s’est retrouvée sous l’eau. Ces situations vont aller en augmentant. Et les programmes électoraux doivent nous y préparer.
Par ailleurs, le sondage d’Afrobarometer relève la perception des sondés sur la corruption et les parlementaires. C’est suffisamment inquiétant pour que les électeurs s’en saisissent au moment du vote. Ces thèmes sont essentiels pour l’avenir de Maurice.
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