Argumentant sur la réforme électorale et l’absence des trois quarts des votes pour la faire adopter, Jean-Claude de l’Estrac, observateur politique, estime que le gouvernement a présenté le projet pour respecter son manifeste, tout en sachant qu’il ne serait pas voté.
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Le Premier ministre (PM) a rendu public un projet de réforme électorale et cela soulève des débats. Votre première opinion ?
Réforme ? Vous plaisantez ! Soyons aussi clairs que possible : depuis les distorsions électorales des 60 zéros, les Mauriciens ont pris conscience des limites de l’actuel système de First Past The Post (FPTP). Ce système est injuste parce qu’il prive une partie des électeurs d’une juste représentation au Parlement. Il est injuste parce que des partis qui recueillent 20 %, parfois près de 30 % des suffrages, se sont retrouvés sans un seul élu à l’Assemblée nationale. C’est intolérable.
Si c’est aussi simple, pourquoi la réforme ne cherche-t-elle pas à corriger cette distorsion ?
Je l’appelle le Syndrome de Rodrigues. Si vous voulez, la Tyrannie du Mentor. Je m’explique : si nous introduisons une dose adéquate de représentation proportionnelle dans notre système électoral, il faudra admettre que les élections se joueront en deux temps ; et le vrai résultat est celui qui sera déterminé après le deuxième temps qui est le temps de correction d’une éventuelle distorsion entre les suffrages exprimés et le nombre d’élus. C’est comme une élection à deux tours.
Si vous dites que le résultat final devra être le même que le résultat du FPTP, on n’a rien réformé…
Le ministre mentor a eu du mal à comprendre ce mécanisme dans le cas d’une élection à Rodrigues. L’application du principe de représentation proportionnelle (RP) a corrigé une distorsion entre les suffrages exprimés et le nombre d’élus et ce faisant, elle a rééquilibré le rapport de forces. Depuis, SAJ s’oppose à la représentation proportionnelle ou, au mieux, accepte une dose de représentation qui est de l’ordre du symbole et ne change en rien le système existant. La « réforme » proposée par Pravind Jugnauth intègre les peurs déphasées du père.
Il y a quand même l’argument de la stabilité. Le FPTP n’a-t-il pas assuré la stabilité du système politique ?
La bonne blague ! L’histoire politique de Maurice est l’histoire des dissensions, des contestations, des scissions et de la création de groupuscules de toutes sortes. Aucun parti n’a été épargné. Lors de la campagne électorale de 1995, Navin Ramgoolam n’avait eu de cesse de présenter Anerood Jugnauth comme le « Père de l’instabilité ». Il faisait valoir que des crises politiques incessantes avaient fait que le Premier ministre Jugnauth avait perdu une pléthore de ministres dans ses gouvernements… La relative stabilité politique du pays ne vient pas du système électoral. Elle s’explique par le fait que les principaux partis de gouvernement sont tous des sociaux-démocrates et ils sont tous convertis au credo du libéralisme. C’est même cela qui explique leur aisance à passer d’un allié à un autre.
SAJ accepte une dose de représentation proportionnelle qui est de l’ordre du symbole.»
Le nombre d’élus augmentera. Est-ce trop mastodonte pour un si petit pays comme Maurice ?
L’enjeu n’est pas le nombre. C’est plutôt la qualité du personnel politique. Les partis politiques ont de plus en plus de mal à attirer des gens de qualité. Le niveau parlementaire se dégrade au fil des mandats et ce n’est pas en augmentant le nombre d’élus que ce problème sera résolu. Il pourrait bien l’amplifier.
Le PM a avoué qu’il ne faut pas être hypocrite et accepter que l’appartenance ethnique est marquante lors des législatives. Dans ce cas pourquoi une réforme ?
L’hypocrisie est ailleurs. C’est de prétendre que les députés nommés par le Best Loser System représentent leurs communautés. Faux. Archi-faux ! Je n’ai jamais entendu un député correctif intervenir au Parlement au nom de sa communauté. Ce système est une fiction, mais apparemment certains croient pouvoir se rassurer ainsi.
La proportionnelle serait introduite, mais pas totalement comme à Rodrigues. Est-on frileux quant à la garantie de conserver une majorité gouvernementale ?
Je vous l’ai dit. Le FPTP ne garantit rien. Sir Anerood Jugnauth avait déjà été contraint, alors qu’il était PM, d’organiser des élections anticipées parce qu’il avait perdu le soutien de sa majorité.
Le seuil de 10 % est proposé pour une éligibilité à la RP. Est-ce une façon de « get rid » des partis dits « petits » et de ceux qualifiés d’« extrémistes » ?
J’approuve cette proposition. Je ne vois aucun intérêt à encourager une prolifération de petits partis susceptibles de s’appuyer sur des considérations catégorielles.
Il y aura l’introduction de « Best Loser Seats » qui seront choisis par les leaders politiques. Est-ce démocratique ?
Nullement. Une des sources de l’instabilité au sein des partis politiques, c’est précisément les pleins pouvoirs dont jouissent les leaders. Ils diront que les décisions sont collégiales. Ils feront référence à leur comité central et à leur bureau politique. C’est plus que jamais une mascarade.
Quand un élu sous la RP ou le BLS veut quitter son parti, son siège sera automatiquement déclaré vacant. Est-ce normal ou une bonne chose pour éviter le transfugisme ?
Il faudrait que la règle s’applique à tous les élus indistinctement. Je ne vois pas la pertinence de la distinction qui est faite.
Le PMSD veut un redécoupage des circonscriptions. Votre avis ?
C’est ouvrir la boîte de Pandore. Par hygiène civique, je me méfie des propositions de politiciens sur ce sujet. Il y a fort à parier qu’elles ne visent qu’à obtenir, pour eux-mêmes, un dividende électoral. Même s’il est vrai que le découpage actuel comporte quelques incongruités et qu’il y a des disproportions démographiques ainsi que des topographies inconséquentes. Mais dans l’ensemble, il demeure le vrai garant de notre cohésion socio-électorale. Il est la clé de voûte de tout le système.
S’il est vrai que ce découpage, conçu par les Britanniques, avait pour principal objectif d’assurer une représentation adéquate des différentes communautés, il visait également à favoriser un vote politique et partisan. Dans l’ensemble, ces objectifs ont été atteints. Les incohérences qui perdurent pourraient être corrigées par une bonne dose de RP.
Le financement des partis politiques ne figure pas dans la proposition de réforme. S’agit-il d’un manquement ou est-ce volontaire ?
Si nous avons bien compris, la question fera l’objet d’une proposition distincte. S’il veut vraiment réformer, le gouvernement devra procéder autrement cette fois.
Le gouvernement n’a pas la majorité de trois quarts pour faire adopter la réforme. De nouveau à l’eau la réforme électorale ?
Et si c’était bien cela la stratégie du gouvernement ?
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