
Il a enseigné le judo aux prisonniers, accompagné des toxicomanes dans leur sevrage et formé des jeunes en difficulté. À 72 ans, George Othello s’apprête à devenir prêtre le 28 septembre à Pamplemousses. Portrait d’un homme qui fait du respect sa religion.
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Dans le petit bureau de l’église Saint-François d’Assise à Pamplemousses, George Othello ajuste sa ceinture noire de judo avant d’enfiler sa soutane de diacre. À 72 ans, cet homme au regard pétillant s’apprête à vivre l’aboutissement d’un parcours hors du commun : son ordination sacerdotale le 28 septembre prochain.
Mais George Othello n’est pas un séminariste comme les autres. Avant de servir Dieu, il a servi la discipline martiale, transformant le tatami en temple de rédemption pour les plus démunis de la société mauricienne. « Le judo, c’est comme une famille où la discipline et le respect règnent », explique-t-il de sa voix posée. « Mon coach m’a appris à voir l’adversaire comme un miroir et à devenir un champion dans la vie, pas seulement sur le tatami. » Une philosophie qu’il a appliquée bien au-delà des dojos.
Dans les années 90, tandis que d’autres judokas collectionnaient les médailles, George Othello avait choisi un défi autrement plus corsé : enseigner son art aux pensionnaires du Rehabilitation Youth Centre et du Correctional Youth Centre de Beau-Bassin. « Ces jeunes, souvent dans des situations difficiles, m’ont appris autant que je leur ai appris », confie-t-il. « Sur le tatami comme dans la vie, on tombe et on se relève. »
Pour moi, l’Esprit saint est en chacun, qu’il s’appelle Abdool ou Suresh»
Le succès était au rendez-vous : plusieurs de ses élèves travaillent aujourd’hui dans des bureaux, d’autres ont émigré. « C’était un échange réciproque : le judo est devenu pour eux une philosophie, un mode de vie. »
Mais c’est peut-être avec les toxicomanes de Terre-Rouge que George Othello a réalisé ses plus beaux exploits. « Au début, j’ai fait l’erreur de vouloir leur montrer des acrobaties. Puis, j’ai compris qu’il fallait leur transmettre la philosophie du judo : le respect de soi, la discipline. »
Sa méthode ? Traiter l’addiction comme un « sport négatif ». « On sait qu’ils sont mauvais quand on ne peut pas les pratiquer ‘openly’. Le sport, lui, canalise l’énergie », analyse-t-il avec la sagesse de celui qui a côtoyé la détresse humaine.
Une rencontre l’a particulièrement marqué : « Un ancien toxicomane m’a dit avoir ‘mis son addiction sur la croix’. Je n’ai pas compris tout de suite, mais il a réussi à tout arrêter par sa propre volonté. » Pour George Othello, la leçon est claire : « Les centres accompagnent ceux qui ont déjà pris la décision de changer. Comme dans le sport, c’est la discipline qui fait la différence. »
Pourtant, rien ne prédestinait ce fils d’une famille modeste de dix enfants à devenir homme d’Église. « Mon enfance a profondément influencé ma vie, notamment par la discipline stricte de mes parents, tempérée par leur amour », se souvient-il. À 17 ans, il était opérateur de machines, côtoyant des collègues de toutes les confessions dans une harmonie qui forge sa vision œcuménique.
« Cette bienveillance m’a marqué et m’a appris l’importance de l’ouverture et du respect mutuel », explique-t-il, évoquant son supérieur d’une autre confession qui s’assurait qu’il avait assisté à la messe.
C’est cette ouverture qui caractérise aujourd’hui sa spiritualité. « Pour moi, l’Esprit saint est en chacun, qu’il s’appelle Abdool ou Suresh. Je ne pousse personne à changer de religion, mais à approfondir sa foi. »
Sur le tatami comme dans la vie, on tombe et on se relève»
Devenu diacre en 2021 après cinq années de formation, George Othello a longtemps hésité avant de franchir le pas vers la prêtrise. « Quand on m’a proposé de devenir diacre, j’ai hésité, pensant que je n’étais pas à la hauteur. Mais ma curiosité m’a poussé à continuer. »
Sa rencontre avec le père Raymond Zimmerman fut décisive : « Il m’a fait revivre mon baptême. Les spiritains m’ont appris que Dieu m’aime tel que je suis. » Une révélation pour cet homme qui confesse n’avoir « jamais fini de lire la Bible » mais qui a « rencontré un prisonnier qui l’a lue cinq fois ! »
À la veille de son ordination, George Othello rayonne de sérénité. « Je me sens heureux et serein, car je ne suis pas seul. Il y a une équipe autour de moi », confie-t-il. Sa philosophie inclusive transparaît dans son invitation : « J’invite tout le monde, rouge, bleu, jaune et vert, à mon ordination. Je vais prier pour tous. »
Car pour ce septuagénaire qui continue de pratiquer le judo « différemment », en se concentrant sur « l’aspect moral », l’habit ne fait pas le moine. « Je n’aime pas le terme ‘petit prêtre’ : nos rôles sont différents. Je me vois comme un poteau indicateur, comme le père Laval, qui montre le chemin vers Jésus. »
Derrière cette vocation tardive, une femme : sa mère. « Ma mère, c’est ma reine », avoue-t-il avec émotion. « Dans notre famille modeste, elle transformait peu de choses en repas savoureux, même avec du pain rassis. » Cette femme illettrée qui « gérait dix enfants tout en restant un modèle de générosité » continue d’inspirer son fils septuagénaire.
Le 28 septembre prochain, quand Mgr Ian Ernest imposera les mains sur George Othello dans l’église Saint-François d’Assise de Pamplemousses, ce ne sera pas seulement un homme qui recevra l’ordination sacerdotale. Ce sera l’aboutissement d’un parcours où le tatami et l’autel se rejoignent dans une même quête : celle du respect de l’autre et de la rédemption par la discipline.
À 72 ans, George Othello prouve qu’il n’est jamais trop tard pour répondre à un appel. Même quand cet appel vous mène du dojo à la sacristie.

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