Interview

Gavin Glover, Senior Counsel: «La PoCA n’est pas tout à fait au point»

Gavin Glover, Senior Counsel

Le procès en appel de Pravind Jugnauth a mis en exergue des divergences d’interprétation sur la Prevention of Corruption Act. Quels sont les contours exacts du conflit d’intérêts ? Me Gavin Glover livre quelques pistes sur la loi gouvernant l’Independent Commission Against Corruption. Clare Montgomery a qualifié la Prevention of Corruption Act (PoCA) de « conservative law ». Partagez-vous cet avis ? En faisant état de « conservative law », Clare Montgomery voulait en fait parler d’une interprétation de la loi. Il semblerait qu’il y ait deux écoles de pensée. Elle a comparé notre interprétation à d’autres dans des juridictions qui pourraient être considérées comme plus libérales, comme au Canada. Ainsi, je ne pense pas qu’on puisse parler de « conservative law ». Selon moi, toute loi est là pour être interprétée par les juges et ils le font, évidemment, en se fondant sur le contexte précis mauricien.

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Me Rashid Ahmine, Senior Assistant DPP, estime que quand un membre de sa famille est impliqué, il ne faut participer à aucune étape de la prise de décision. Où commence et où finit le conflit d’intérêts, selon vous ? S’il y a problème, c’est précisément parce que les paramètres ne sont pas clairement spécifiés dans la loi. Ils sont définis par rapport aux membres de la famille. Du côté de l’implication, on est toujours dans le flou. Encore une fois, cela relève de l’interprétation des juges. Je pense qu’il faudrait probablement être plus précis dans la loi. Mais pour l’instant, la loi est telle qu’elle est.
[blockquote]« On aura une Icac efficace le jour où la commission anticorruption arrêtera d’être politisée »[/blockquote]

Vous diriez qu’il s’agit d’une faiblesse ? Toute loi qui n’est pas claire est une loi qui demande à être revue. Et si une loi demande à être revue, c’est qu’elle n’est pas tout à fait au point. Faiblesse n’est pas le mot. Dire qu’elle n’est pas tout à fait au point serait plus juste. Le fait de participer à une procédure administrative relève-t-il du conflit d’intérêts ? C’est très difficile de répondre à cette question telle qu’elle est posée pour la simple et bonne raison que chaque cas a ses propres circonstances. ‘Every case has its own merits’. Il y a une école de pensée qui veut que toutes les procédures, de A à Z, sont sous le coup de la loi. Il y a l’autre école de pensée qui affirme le contraire. C’est l’école libérale. Quand vous parlez d’école de pensée libérale, vous mettez en opposition le système anglo-saxon et français ? Non, on n’est pas en train de diviser le monde entre les Anglo-Saxons et les non Anglo-Saxons. On ne peut dire que le Canada n’est pas anglo-saxon. Il s’agit plutôt de voir comment le judiciaire, qui est le reflet de notre société, arrive à faire une interprétation qui serait juste en prenant en considération les réalités locales. Beaucoup de nos lois, comme la PoCA, sont issues de lois étrangères. Il n’y a pas toujours une adaptation au contexte mauricien et les juges ont besoin d’interpréter la loi selon nos réalités. Dans le cas de la PoCA, quelles dispositions ne sont pas adaptées au contexte mauricien ? Il y a quelques sections de la loi qui, selon moi, ne trouvent pas leur justification à Maurice. Une de ces sections concerne le cas de Johnson Roussety, ex-Commissaire de Rodrigues, que j’ai plaidé devant la cour d’appel. Je ne pourrais pas en dire plus parce que, justement, l’affaire est en appel et on attend le jugement. Mais il y a des sections de la PoCA qui, d’après moi, devraient être revues. La définition de « relative » n’est-elle pas trop restreinte dans l’article 13 de la PoCA ? Non, je ne pense pas. Là aussi, il faut prendre en considération les réalités locales. Tout le monde connaît tout le monde à Maurice. Beaucoup sont parents. Si on commence à élargir le cercle restreint dans la PoCA, beaucoup de gens se retrouveraient dans une situation, où ils ne pourraient pas prendre de décisions. On ne veut pas en arriver là. ‘Where to draw the line?’ C’est la grande question. Les ‘public officials’ sont-ils conscients de la portée du conflit d’intérêts ? Non. Ils n’en sont pas conscients. J’ai défendu beaucoup de ‘civil servants’ et il est clair qu’ils ne comprennent que très rarement la portée totale de la loi sur le conflit d’intérêts. Le conflit d’intérêts n’est-il pas bien défini, ou est-ce que le ‘public official’ est mal éduqué ? Je crois que c’est une question d’éducation. Beaucoup pensent qu’avoir déclaré son intérêt suffit. Dans certaines circonstances, il faut faire un peu plus. Certains estiment que la PoCA ne s’occupe pas assez du secteur privé. Devrait-on changer cela ? Oui, on devrait. Quoiqu’il y ait une section très spécifique qui parle du secteur privé, la PoCA concerne néanmoins principalement pour les ‘public officials’. Le secteur privé est probablement mieux armé parce qu’on voit dans toutes les ‘policies’ des entreprises une section spécifique sur les possibilités de conflit d’intérêts. Ce qu’on ne retrouve pas dans le secteur public alors qu’il est le plus visé par la loi. C’est un paradoxe assez criant. Le secteur privé s’organise-t-il mieux pour éviter les situations de conflit d’intérêts ? Je pense que le secteur privé est beaucoup plus sensibilisé à la nécessité de transparence et d’accountability. Il faut absolument que le secteur public s’engage de façon significative pour que les ‘civil servants’ soient au fait des vraies implications de la loi. Il y a tout un travail à faire en amont. Il faut commencer avec les jeunes qui s’engagent dans le secteur public aujourd’hui. Parce que changer les mentalités qui existent depuis des dizaines d’années, cela va être un peu plus difficile. L’Icac devrait être intégrée à la Financial Crime Commission cette année. Cela nécessite-t-il de revoir la PoCA, selon vous ? On aura une Icac efficace le jour où la commission anticorruption arrêtera d’être politisée et les directeurs ne seront plus choisis selon leur couleur politique. Le mode de nomination du directeur doit-il changer ? C’est la première chose qu’il faut faire. Quand Me Kaushik Goburdhun, de l’Icac, qui est un ami à moi, a plaidé contre Pravind Jugnauth devant la cour intermédiaire, personne n’a dit qu’il était parenté à Roshi Bhadain. Aujourd’hui qu’il est nommé directeur général, tout le monde dit qu’il est le cousin du ministre de la Bonne gouvernance. Je trouve que c’est ‘unfair’ envers Kaushik Goburdhun, qui a fait son travail d’avocat en toute indépendance. Voilà, comme je vous le disais, comment le fait d’avoir des liens de parenté peut jouer contre le système et la loi. Quelle procédure proposeriez-vous pour la nomination du directeur de l’Icac ? Quand Navin Beekharry et Gérard Bisasur ont été remerciés par le gouvernement Ramgoolam et qu’on a changé les dispositions de la loi concernant le mode de nomination, on a changé les sections qui prévoyaient la compensation à payer à ces deux personnes. Nous sommes dans une situation rocambolesque, où l’Icac dit qu’elle n’est pas l’employeur de Gérard Bisasur et l’État aussi. Cela vous donne une idée du méli-mélo qui existe dans la loi. Il faut une refonte totale et je pense que le système de nomination du directeur de la commission anticorruption doit se faire en toute transparence et par des gens qui ne sont pas des politiciens à part entière. Si vous en aviez l’opportunité, vous amenderiez quoi d’autre à la PoCA ? La disposition qui parle de participer à un ‘decision-making process’, par exemple, il y a des jugements contradictoires. Quelle est la portée de la participation ? Est-ce le simple fait de s’asseoir dans une pièce, où la décision sera prise ? Ou alors, faut-il donner son opinion ? Faut-il participer à un processus de vote ? Un des principes de base du ‘rule of law’, c’est que les lois sont claires pour que tout le monde sache dans quelle direction aller. Il faut apporter des clarifications à la PoCA.

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