L’annonce d’une possible décommunalisation du système électoral relance un débat de fond sur l’avenir politique de Maurice. Présentée comme une avancée vers une citoyenneté plus inclusive, cette mesure suscite aussi des interrogations sur les équilibres sociopolitiques du pays et l’avenir du Best Loser System.
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L’annonce d’une possible décommunalisation du système électoral, faite par le président de la République Dharam Gokhool dans le discours-programme, vendredi dernier, relance un débat majeur sur l’avenir de la démocratie mauricienne. Cette réforme, qui pourrait mettre fin à l’obligation pour les candidats de se déclarer selon l’une des quatre grandes catégories ethniques – hindous, musulmans, sino-mauriciens et population générale – est présentée comme une avancée vers une citoyenneté plus inclusive.
Mais elle soulève également des interrogations profondes sur les équilibres sociopolitiques du pays. S’agit-il d’un premier pas vers la décommunalisation complète du système électoral ? Et surtout, cela signifie-t-il à terme la suppression du Best Loser System (BLS) ?
Depuis l’indépendance en 1968, le système électoral repose sur des critères communautaires pour assurer une représentation équilibrée. La Constitution elle-même repose sur ce principe, avec l’obligation pour les candidats aux élections de se déclarer appartenant à l’une des quatre catégories officielles : hindous, musulmans, sino-mauriciens et population générale.
Toutefois, ce dispositif, initialement conçu pour éviter une hégémonie politique et garantir une représentation équitable, a progressivement montré ses limites. La proposition la plus radicale concernant les amendements constitutionnels concerne la suppression de l’obligation pour les candidats de se déclarer selon l’une de ces quatre grandes catégories ethniques. Ce système, censé garantir un équilibre des pouvoirs, est aujourd’hui perçu comme un carcan qui fige les appartenances.
Pour le politologue Avinaash Munohur, cette mesure ne constitue pas une nouveauté radicale. En 2014, une disposition similaire avait déjà été introduite à titre exceptionnel, permettant aux candidats de ne pas déclarer leur appartenance communautaire.
Or, cet amendement ne modifie en rien le mode d’attribution des sièges à l’Assemblée nationale. Dans la pratique, tout candidat qui refuse de déclarer son appartenance communautaire s’exclut automatiquement du BLS, mais le système demeure intact pour les autres candidats. « Cela signifie une seule chose dans la pratique : un candidat renonce de son plein gré à la possibilité d’être repêché via le BLS », explique Avinaash Munohur.
Afin de comprendre les implications de ce changement, il faut remonter à la période pré-indépendance. Le BLS fut conçu comme une garantie pour assurer la représentation de toutes les composantes de la société mauricienne au sein de l’Assemblée nationale. Il visait aussi à éviter un raz-de-marée électoral (comme un 60-0) qui aurait laissé certaines communautés sans voix au Parlement. « Le BLS est un élément central de notre système électoral. Il ne peut pas être changé en morceaux. Une réforme globale est nécessaire », affirme un observateur politique.
Compétences en avant
Les critiques pointent un système qui fige les identités et alimente les clivages. « Nous sommes en 2025 et on nous demande encore de nous définir selon des critères ethniques avant même de parler de compétences ou de programmes politiques. Les compétences doivent être mises en avant », déplore Hansraj Jaunky.
Candidat lors des élections générales de 2014, ce militant engagé de 37 ans estime qu’il « est temps de tourner la page et d’inscrire la politique dans une logique citoyenne plutôt que communautaire ». Il dit s’attendre à ce que cette mesure soit introduite le plus tôt possible. « Je remercie le gouvernement pour une telle mesure », ajoute-t-il.
Lindsey Collen, du parti de gauche Lalit, doute que cette réforme aura un réel impact. Pour elle, tant que les mentalités ne changeront pas, cette mesure restera purement symbolique. « Pendant 20 ans, Rezistans ek Alternativ a refusé de déclarer son appartenance communautaire, mais cela n’a rien changé à la nature du système électoral ni aux logiques communautaires prévalant dans la société », rappelle-t-elle.
Pour Lalit, il est essentiel d’aller plus loin en menant d’autres batailles pour réduire le poids du communalisme dans la politique mauricienne. Parmi les mesures proposées : la suppression progressive des subventions aux associations socioculturelles et religieuses, qui accentuent les divisions communautaires. Le parti préconise aussi une réforme électorale avec quatre députés par circonscription, afin de diluer l’effet communautaire lors des élections.
Si la suppression de l’obligation de déclaration communautaire semble préparer le terrain pour une réforme électorale plus ambitieuse, elle ne remet toutefois pas en cause, du moins à ce stade, l’existence du BLS. Ce qui signifie qu’elle n’entraîne pas une décommunalisation totale du processus électoral.
Avinaash Munohur est de cet avis, mais il va plus loin, en mettant en garde contre les dangers d’une suppression brutale du système : « Le BLS doit être modernisé et repensé, mais l’abolir purement et simplement serait extrêmement dangereux. Il assure une représentation équilibrée des différentes composantes de la société. »
Pour lui, une approche à la française, avec une citoyenneté abstraite et uniforme, poserait de sérieux problèmes dans une société intrinsèquement multiethnique, multilingue et multireligieuse. « Confondre le communalisme avec le racisme est une erreur courante à Maurice. Le BLS, dans son essence, vise justement à prévenir l’exclusion et l’invisibilité de certaines communautés dans l’espace politique », souligne-t-il.
Dose de proportionnelle
À ce stade, la suppression de l’obligation de déclarer son appartenance ethnique ne constitue qu’une option supplémentaire pour les candidats. Elle n’affecte en rien le mécanisme plus large de représentation communautaire. Mais prépare-t-elle réellement le terrain pour une refonte profonde du système électoral ou s’agit-il d’un simple ajustement cosmétique ?
« Il a déjà été annoncé qu’une refonte du système électoral aurait lieu. Mais la vraie question est de savoir si elle inclura une dose de proportionnelle. Autre point d’interrogation : nous ignorons encore les contours exacts des réformes et leurs modalités », souligne l’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low.
Pour lui, un toilettage en profondeur de la Constitution s’impose. « Mais comment garantir une représentation équitable pour tous ? C’est là tout l’enjeu. La solution passe par l’introduction de la proportionnelle. Reste à définir le dosage idéal », estime-t-il.
Père Philippe Goupille, président du Conseil des religions : « Il faut bien qu’à un moment donné, on évolue… »
Le père Philippe Goupille, président du Conseil des religions, soutient pleinement cette initiative. « Tout ce qui peut décommunaliser le pays est le bienvenu dans la philosophie du Conseil des religions », affirme-t-il. Pour lui, chaque Mauricien doit se sentir respecté. Il ajoute que le communalisme ne doit envahir ni les institutions, ni la gestion du pays.
« Il faut bien qu’à un moment donné, on évolue et qu’on ne reste pas figés dans le passé. La vie est mouvement. L’histoire d’un pays doit l’être aussi », souligne-t-il. Il insiste sur le fait que toute mesure visant à renforcer la cohabitation et à atténuer les tensions identitaires est la bienvenue.
« Nous devons arrêter de nous regarder en chiens de faïence à cause de nos différences culturelles. Il est temps de favoriser une citoyenneté mauricienne assumée », explique-t-il. Pour autant, il reconnaît que le chemin sera long. « Beaucoup d’efforts restent à faire, mais tout commence par cette étape », termine-t-il.
La Constitutional Review Commission bientôt instituée
Lors de la lecture du discours-programme, le président de la République, Dharam Gokhool, a fait comprendre que des réformes constitutionnelles seront introduites afin de consolider notre démocratie. Dans un délai de six mois, une Constitutional Review Commission sera nommée pour renforcer la protection des droits fondamentaux et d’autres droits.
Un combat signé Rezistans ek Alternativ
Le combat pour l’abolition de la déclaration obligatoire d’appartenance ethnique est une longue lutte menée par Rezistans ek Alternativ (ReA) depuis le début des années 2000. Défendant le principe d’égalité entre tous les citoyens, le parti de gauche milite pour un système électoral où l’origine communautaire ne constitue plus un critère pour se porter candidat aux élections législatives.
Cette revendication a également pris une dimension internationale lorsque ReA a saisi le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (UNHRC). Lors de sa 105e session en juillet 2012, l’UNHRC a reconnu que cette obligation contrevenait à l’article 25(b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, recommandant à Maurice de revoir sa législation.
Or, malgré cet avis, le gouvernement MSM a refusé d’apporter des amendements à la loi. En réaction, ReA a pris une décision radicale en 2019 en boycottant les élections générales, dénonçant un système qu’il jugeait discriminatoire et contraire aux principes démocratiques.
En 2025, cette lutte pourrait enfin aboutir. Lors de son discours-programme, le président Dharam Gokhool a annoncé l’introduction prochaine d’amendements constitutionnels visant à supprimer la déclaration d’appartenance ethnique. Si cette réforme se concrétise, elle marquera une avancée majeure vers une plus grande inclusion et une modernisation du cadre électoral.
Olivier Précieux, observateur politique : «Tant qu’il n’y aura pas de véritable réforme électorale, le BLS restera indispensable»
Olivier Précieux, observateur politique, est catégorique : « Un candidat ne devrait pas être obligé de déclarer son appartenance ethnique au moment
de déposer sa candidature. » Une position qui fait écho à la volonté affichée de moderniser le paysage électoral, mais qui ne doit pas être confondue avec une réforme plus large du BLS, selon lui.
Si le gouvernement venait à introduire une loi supprimant la déclaration ethnique, ce ne serait pas une révolution. « Ce serait une mesure similaire à celle de 2014 », rappelle-t-il, en référence à l’épisode où le gouvernement d’alors avait permis aux candidats de s’inscrire sans mentionner leur communauté.
Toutefois, cette avancée, aussi symbolique soit-elle, ne saurait suffire sans une réflexion plus globale sur le système électoral. Olivier Précieux ajoute que le BLS, souvent critiqué pour sa dimension ethnique, ne doit pas être balayé d’un revers de la main sans d’autres options crédibles.
« Il y a deux choses distinctes : la déclaration ethnique et le BLS », martèle l’observateur politique. Selon lui, la suppression du BLS nécessiterait une réforme électorale en profondeur. « Mis en place par les pères fondateurs de la Constitution, il visait avant tout à rassurer les minorités, en leur garantissant une représentation minimale à l’Assemblée nationale. Ce mécanisme, malgré ses imperfections, a permis d’assurer une certaine diversité politique. Il a joué un rôle clé en évitant une majorité parlementaire absolue et offrant au moins une opposition, même minime », souligne-t-il.
Le risque, selon lui, serait de supprimer le BLS sans assurer une alternative qui protège toutes les composantes de la société. « Tant qu’il n’y aura pas de véritable réforme électorale garantissant une représentation équitable, le BLS restera indispensable », conclut-il.
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