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Femmes de detenus : elles luttent contre vents et marées

FEMMES DE DETENUS

Si la réhabilitation des ex-détenus alimente souvent les débats, le calvaire des épouses de détenus est souvent vécu dans l’ombre. Personne n’en parle. Et pourtant la vie de ces dernières a basculé le jour de l’incarcération de leur conjoint. Témoignages.

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Elles serrent les dents. Elles n’émettent aucun cri de douleur. Pourtant c’est un véritable calvaire qu’elles vivent au quotidien. Elles survivent. L’incarcération de leur mari a provoqué de nombreux changements au niveau de leur famille. Du jour au lendemain, leur vie a basculé. Désormais, leur quotidien est marqué par de nombreuses difficultés.

Seule à gérer les dépenses

Depuis l’incarcération de son mari en 2016, Clara, 38 ans, s’occupe tant bien que mal de ses trois enfants. Leur vie a fait un virage de 180 degrés. « Bonzour madam. Ou mari inn arete par lapolis, pran ou kart idantite ek vinn station.» Cette phrase énoncée par un policier était comme une gifle en plein visage pour Clara. Ces mots résonnent encore dans sa tête. « J’avais beaucoup pleuré ce jour-là et je me suis posée des milliers de questions. Je n’avais que quelques minutes pour reprendre mes esprits. C’est à ce moment précis que le calvaire a commencé pour moi. Entre les papiers, les avocats et les autres démarches, on finit par se perdre », relate-t-elle avec beaucoup de peine.

Les difficultés de cette mère de famille sont multiples. Après les pleurs et les vives émotions, elle a dû se redresser pour affronter la nouvelle vie qui l’attend. « Ma première difficulté a été de joindre les deux bouts. Les fins de mois étaient très difficiles. Mon mari s’occupait d’une grande partie des dépenses de la maison. Mes revenus étaient consacrés uniquement à l’éducation des enfants. Je payais les leçons particulières et je m’acquittais de toutes les dépenses relatives à leur scolarité. Après l’incarcération de mon mari, je devais gérer toutes les dépenses. Notre vie a vraiment changé voire basculé. J’ai dû vendre ma voiture, mes bijoux et pratiquement toutes les choses de valeur que je possédais pour pouvoir payer les honoraires des avocats et nourrir mes enfants », explique Clara.

Sentiment de culpabilité

Outre les difficultés d’ordre financier, les femmes dont les maris ont été incarcérés doivent aussi gérer leurs émotions. Entre chagrin, honte et sentiment de culpabilité, ces dernières ne sont pas sorties de l’auberge. Rajeshwari, 42 ans, a passé les cinq dernières années sans son mari. Elle avoue avoir été rongée par un sentiment de culpabilité entre l’arrestation de son mari et sa condamnation. «Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir coupable de la situation. Je me tenais pour responsable de ne pas avoir vu ou de ne pas avoir voulu voir certaines choses. Même si rien ne laissait prévoir un tel dérapage. Je me disais qu’il y avait des ratages et des manquements de ma part. C’est un sentiment de culpabilité qui me rongeait de l’intérieur. J’avais besoin d’aide pour m’en sortir. »

Quid du regard des autres ?

Si les détenus souffrent d’avoir été mis à l’écart et d’être isolés, tel est aussi le cas pour leurs épouses. « Beaucoup de mes amis et de mes proches m’ont abandonné après l’incarcération de mon mari. Ils m’ont tout simplement tourné le dos, comme si la prison était une sorte de maladie contagieuse. C’est très dur. Du jour au lendemain, je me suis sentie complètement isolée », crie Rachel, 29 ans.
Cette dernière estime que les mentalités n’ont pas évolué à Maurice. Elles trouvent même que « dans certains cas on peut dire qu’elles ont détérioré. La famille et les proches des détenus sont souvent considérés comme des ‘intouchables’.»

« On a choisi de vivre notre souffrance dans l’ombre», lâche-t-elle, finalement.


Jacqueline Dursoniah, Civic Action Team : «Certaines sont forcées à se prostituer ou voler»

Certaines épouses de détenus vivent dans des situations très précaires. Elles peinent à joindre les deux bouts. Certaines avouent être contraintes de se tourner vers les moyens de bord pour pouvoir s’en sortir. Tel est le constat de Jacqueline Dursoniah, travailleuse sociale, qui est à la tête de la Civic Action Team (CAT).

Notre interlocutrice soutient que même avec une allocation sociale, les femmes de détenus n’arrivent pas à survivre. « La pension n’est pas suffisante pour répondre aux besoins de la famille. En l’absence du mari, souvent le pilier central de la maison, la femme n’arrive pas à combler le vide financier. Depuis l’existence de la CAT, nous avons rencontré plusieurs de ces femmes et je peux dire qu’elles font face à de nombreuses difficultés. Certaines d’entre elles sont forcées à se prostituer et d’autres à voler pour ne pas dormir le ventre vide. C’est tout simplement inadmissible !»

Si le gouvernement mauricien a mis en place plusieurs structures, dont des allocations sociales, pour prendre en charge les femmes de détenus, cependant, les démarches pour en avoir accès sont souvent compliquées. « Ainsi, notre association aide ces femmes et les assiste dans leurs démarches. J’estime que les procédures doivent être simplifiées. Il est aussi nécessaire d’avoir des ateliers de travail avec les femmes de détenus. Ces dernières ont besoin d’aide pour mener à bien leur combat. »


La prison, est-ce la seule solution dans certains cas ?

Les femmes de détenus se retrouvent fréquemment dans des situations très difficiles après l’incarcération de leur mari. Il s’agit d’une situation récurrente à Maurice, constate la National Human Rights Commission. Ces femmes manquent très souvent des moyens pour tenir seules les rênes. Certaines d’entre elles se retrouvent même à la rue.

Michel Vieillesse, membre de cette commission, estime qu’en absence de structures adéquates, ces femmes doivent serrer les dents et lutter pour survivre. Une situation qui pousse à réfléchir sur la nécessité de l’incarcération. « La prison, est-ce la seule solution dans certains cas ? » s’interroge-t-il. Certaines fois, des personnes se retrouvent derrière les barreaux pour des cas de délits mineurs. « J’estime qu’il est dangereux de se concentrer uniquement sur la façon de punir les gens. Il faut également penser à l’impact de l’incarcération sur leur famille. »

Outre des changements drastiques sur le plan des finances ou du logement, la prison brise surtout de nombreuses familles. D’où l’importance de trouver des solutions, à l’exemple des travaux communautaires, entre autres, juge Michel Vieillesse. Ce dernier est d’avis que les autorités doivent viser à unir les familles et non les détruire.


La prise en charge psychologique : Un élément essentiel

L’incarcération d’un proche entraîne dans la plupart des cas un impact psychologique important sur les femmes de détenus et leurs enfants. Tel est l’avis du psychothérapeute Samcoomar Heeramun. « L’angoisse s’ajoute à la douleur de la séparation. Ce sentiment s’amplifie quand les appréhensions persistent. La femme aussi bien que les enfants sombrent dans l’angoisse de savoir que le maître de la maison soit détenu dans une institution où les conditions de vie sont austères et violentes. La prison est une réalité à laquelle les proches ne peuvent s’échapper. Il est très difficile de passer à autre chose en sachant que son époux ou son père est derrière les barreaux. Cette inquiétude est omniprésente », estime le psychothérapeute.

Outre l’angoisse, les femmes de détenus font également face à une fatigue morale. C’est très épuisant pour elles à la fois de compléter les démarches administratives et légales, de travailler, de s’occuper seule d’un ou de plusieurs enfants et de gérer le quotidien domestique sans l’appui du mari. « Le risque de burnout est très réel chez les femmes de détenus. Il est aussi fréquent d’avoir des femmes qui sombrent dans la dépression. »

Notre interlocuteur est catégorique : « C’est un fait, l’expérience carcérale fragilise incontestablement la santé des proches. » Il précise que le temps est figé et la sortie devient l’objet de nombreux fantasmes pour les proches de détenus.

Y a-t-il une solution ? « La solution est de se faire aider par un psychologue. La prise en charge psychologique est plus qu’essentielle afin d’éviter les risques de burnout ou de dépression. Avec un encadrement approprié, on peut éviter que les proches tombent dans les fléaux sociaux tels que la drogue et la prostitution », conclut le psychothérapeute Samcoomar Heeramun.alternative


Les aides sociales pour les femmes de détenus

Le ministère de la Sécurité sociale prévoit des aides sociales pour toute personne qui se trouve dans une situation d’incapacité temporaire ou permanente de gagner sa vie. Ces aides sont aussi allouées à toute personne qui a des moyens insuffisants pour subvenir à ses besoins et ceux de ses dépendants. Selon les informations recueillies du ministère de la Sécurité sociale, différentes conditions s’appliquent selon les situations. Les aides sociales sont généralement proposées aux dépendants des prisonniers, aux épouses abandonnées, plus particulièrement celles avec des enfants à charge.

Ci-dessous quelques aides sociales payables sous le First Schedule to the Social Aid Act, allocations qui sont sujettes à des modifications apportées au Social Register of Mauritius (SRM) Scheme :

1.    Spouse’s Allowance (allocation aux dépendants des prisonniers) : Rs 1 425
2.    Allocation aux enfants moins de 3 ans : Rs 553
3.    Allocation aux enfants âgés entre 3 et 10 ans : Rs 531
4.    Allocation aux enfants âgés entre 10 et 15 ans : Rs 651

Plus d’informations sur les allocations sur la HotLine du ministère de la Sécurité sociale de 9h à 16h du lundi à vendredi :  Tel : 800 61 63 (Port-Louis)
Tel : 800 34  01 (Port-Louis)
Tel : 800 34 04 (Rose-Hill)


Quelques chiffres

Selon le dernier rapport du bureau des statistiques datant de 2017, le nombre d’admissions dans les prisons s’élève à 4 143 hommes et 129 femmes en 2017 contre 3 582 hommes et 116 femmes en 2016. En 2017, 868 admissions concernent les hommes âgés entre 22 et 25 ans et 797 âgés entre 26 et 30 ans.  En 2017, 363 personnes ont été condamnées à purger une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus contre 303 en 2016.

Le nombre de familles qui ont bénéficié des allocations sociales s’élève à 16 975 en juin 2018. En somme, l’État a déboursé Rs 562,5 millions en termes d’allocations sociales pour la période 2017/2018.

 

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