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Faizal Elyhee, pharmacien : «Prendre le Buvidal avec une drogue de synthèse peut s’avérer mortel»

Le Buvidal n’est pas une injection ‘magique’, font ressortir les spécialistes.

Ancien Principal Pharmacist au ministère de la Santé et ex-président du Pharmacy Council, Faizal Elyhee exerce aujourd’hui dans le privé tout en œuvrant comme travailleur social au Centre Idrice Goomany. Il met en garde contre les dangers du mélange du Buvidal avec des drogues de synthèse, tout en soulignant la nécessité d’expertises complémentaires avant son introduction à Maurice.

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C’est quoi le Buvidal en des termes moins techniques?
Le Buvidal est un traitement injectable à libération prolongée de buprénorphine, conçu pour une prise en charge médicale, sociale et psychologique de la dépendance aux opioïdes, tels que le ‘brown sugar’ (héroïne) et certaines dérivations de l’opium. Il peut être prescrit aux adolescents de plus de 16 ans ainsi qu’aux adultes. 

Le Buvidal se présente sous forme de solution injectable sous-cutanée, administrée par un médecin afin de stabiliser les concentrations de buprénorphine dans le sang. Il permet ainsi de réduire les effets de manque liés aux opiacés. Grâce à sa libération prolongée, le Buvidal offre une alternative aux traitements quotidiens par une administration hebdomadaire ou mensuelle. L’objectif est de diminuer les envies et les symptômes de sevrage associés à la dépendance aux opioïdes.

Son approbation par les autorités britanniques en 2019 est-elle suffisante pour garantir son efficacité, alors même que des centaines de décès ont été recensés dans ce pays ?
Le Buvidal a été utilisé avec succès dans plusieurs pays, mais il doit impérativement être administré sous surveillance médicale par un professionnel de santé. Néanmoins, ce produit peut avoir des effets néfastes et graves s’il est mal utilisé ou associé à des dépresseurs du système nerveux central. Le Buvidal présente des interactions avec d’autres dépresseurs tels que les morphiniques, les benzodiazépines, entre autres, ce qui peut entraîner une potentialisation des effets dépresseurs respiratoires, voire provoquer un coma ou la mort.

Prendre cette injection dite ‘miracle’ pourrait-il engendrer des effets contraires ? Si oui, lesquels ? 
Comme tous les médicaments, le Buvidal peut provoquer des effets indésirables. Parmi les plus fréquents, on compte la somnolence, les vertiges, une altération des fonctions cognitives, ainsi que la dépression du système respiratoire et du système nerveux central.

Cette piqûre ne doit pas être administrée par injection intraveineuse, car cela pourrait s’avérer mortel. Pourquoi ?
Ce produit doit être administré par voie sous-cutanée, et des précautions strictes doivent être prises pour éviter toute injection accidentelle par voie intraveineuse, intravasculaire, intramusculaire ou intradermique.

Une injection par voie intravasculaire ou intraveineuse présente un risque grave, car au contact des fluides corporels, le Buvidal forme localement une masse solide. Cela peut entraîner une lésion des vaisseaux sanguins, une occlusion ou des événements thromboemboliques, comme la formation de caillots sanguins dans les veines.

Le Buvidal a été conçu pour lutter contre la dépendance au Brown Sugar, mais cette injection n’est pas prescrite à la légère, ni même par des médecins généralistes. Quelle est sa dangerosité ? 
Une prise en charge globale, incluant une surveillance étroite des fonctions respiratoire et cardiaque du patient, doit être mise en place. Ce produit est recommandé pour les patients âgés de plus de 16 ans et pour les adultes. Le Buvidal est contre-indiqué en cas d’hypersensibilité à la substance active ou à l’un des excipients, d’insuffisance respiratoire sévère, d’insuffisance hépatique sévère, ainsi que d’alcoolisme aigu ou de delirium tremens.

Afin de réduire les risques de mésusage, d’abus ou de détournement, des précautions strictes doivent être respectées lors de la prescription et de la délivrance du Buvidal. Ce sont des professionnels de santé dûment formés qui doivent administrer ce produit. L’utilisation à domicile et l’auto-administration par les patients ne sont pas autorisées

Cette injection sous-cutanée pourrait-elle être néfaste pour les consommateurs de drogues de synthèse, sachant que celles-ci contiennent souvent des substances vendues dans des quincailleries ?
Ce médicament est strictement réservé aux personnes dépendantes aux opioïdes. Il ne doit pas être utilisé par les consommateurs de drogues de synthèse, car il n’est pas indiqué dans ce cas. Les risques d’interactions avec des substances inconnues présentes dans ces drogues sont réels et dangereux.

Le coût d’une injection est élevé et son administration ne peut pas se faire dans des conditions informelles. Cela signifie-t-il que, même si le Buvidal est présenté comme ‘miraculeux’, il pourrait être hors de portée financière du ministère de tutelle ?
Le Buvidal coûtera environ Rs 18 000 par patient et par mois. Ce traitement pourrait être proposé dans un premier temps à une partie des personnes dépendantes, dans le cadre d’un projet pilote, avant d’être étendu à un plus grand nombre, une fois les expertises nécessaires obtenues.

L’accès à ce produit dépendra également des négociations avec les fabricants, ainsi que des modalités de financement assurées par le gouvernement et d’autres sources.

En tant que pharmacien, quel conseil donneriez-vous au gouvernement concernant cette injection dite ‘miracle’, le Buvidal ?
La disponibilité du Buvidal comme médicament additionnel pour le traitement des dépendants aux opiacés est une initiative bienvenue qui doit toutefois être préalablement discutée et étudiée par un comité d’experts. Néanmoins, je pense qu’il faudrait, en priorité, revoir et améliorer le programme de traitement à base de méthadone, tout en rendant l’utilisation du Suboxone (combinaison de buprénorphine et de naloxone) plus accessible dans les centres de traitement à travers le pays. 

Peerbaccus plaide pour le Buvidal

La ‘star witness’ de la Commission Rault sur la drogue se vante de pouvoir convaincre le gouvernement mauricien d’introduire le Buvidal. Selon lui, sur Radio Plus mercredi dernier, Raffick Peerbaccus affirme : « Beaucoup de toxicomanes ont pu arrêter, car l’injection est efficace et il n’y a pas de rechute, la drogue n’aura aucun effet sur eux après un traitement . » Quel serait son motif ? Il répond : « J’ai connu la misère, je prenais tout mon argent pour me procurer ma dose de drogue, et si je fais ce geste envers mon pays, je n’attends rien en retour. »

Ehsan Juman : « Une piqûre ‘magique’ ne peut combattre le fléau de la drogue »

Ehsan Juman est catégorique : « Piqûre ‘magique’ ou pas, pour combattre le fléau de la drogue, qu’elle soit dure ou de synthèse, il faut la méthode dure et musclée. » Pour le député travailliste, « la police est dépassée par ce problème. Il faut l’intervention musclée de la SMF et de la SSU dans les ‘dark spots’, et montrer aux barons de la drogue qui sont les vrais patrons dans ce pays. »

Il ajoute que la drogue est partout : les synthétiques se vendent à Rs 50 la dose, tandis que l’héroïne est réservée à une certaine élite en raison de son prix. Et le Buvidal ? « Cette piqûre peut donner de l’espoir, mais elle ne fait partie que des solutions. D’ailleurs, le Buvidal est administré aux consommateurs de ‘brown sugar’ et d’héroïne, des drogues dites dures. »

Imran Dhanoo : « Elle exige une logistique coûteuse »

Contrairement au Subutex, qui se place sous la langue pour une absorption rapide, l’injection de Buvidal se fait sous-cutanée — c’est-à-dire sous la peau — et offre un effet actif plus long, explique Imran Dhannoo du Centre Idrice Goomany. Seule l’injection ne suffit pas : un accompagnement et une logistique coûteux sont nécessaires.

Pour lui, « se faire administrer du Buvidal sans accompagnement et un suivi strict ne servira à rien, et cela peut même être dangereux. Cet accompagnement psychosocial et ce suivi ont un coût, et l’injection coûte énormément. L’introduire à Maurice comporte beaucoup de variables, notamment financières. »

Concernant les dépendants à la drogue, Imran Dhannoo explique qu’il y a des rechutes malgré la prise de méthadone, « car le cerveau possède un circuit limbique, responsable du plaisir et de la motivation… Quand le manque se fait sentir, ce circuit pousse automatiquement à rechercher ce plaisir, d’où la rechute pour certains. »

Concernant les drogues de synthèse, « il n’y a aucun protocole de traitement, car elles sont composées de substances très variables. Il existe six familles de drogues de synthèse dans le monde, chacune différente, et quand elles arrivent à Maurice, d’autres composantes y sont ajoutées. »

Il souligne aussi que si Maurice introduit le Buvidal, « il faut faire attention à ne pas prendre en même temps d’autres drogues, car c’est mortel. »

Sam Lauthan, de la NADC : « Le Buvidal est pour les dépendants du ‘brown sugar’, pas des drogues de synthèse »

Le président de la National Agency for Drug Control (NADC) et travailleur social estime que, même si le Buvidal est reconnu en Grande-Bretagne, cette injection a été créée pour les dépendants du ‘brown sugar’ et de l’héroïne. Alors qu’à Maurice, ce sont les drogues de synthèse qui sont les plus consommées.

Sam Lauthan émet des réserves sur l’efficacité du Buvidal : « Cette injection sous-cutanée a été reconnue par les services de santé en Angleterre en 2019, cela ne fait donc que cinq ans, alors que les experts préfèrent attendre encore quelque temps avant de la disséminer. »

Pourquoi ce doute ? Sam Lauthan explique : « Le Buvidal a été créé pour les dépendants de drogues dures, comme le ‘brown sugar’ ou l’héroïne, mais chez nous, la plupart des dépendants consomment des drogues de synthèse, car elles sont extrêmement bon marché et accessibles, et le mélange Buvidal et ces drogues bas de gamme serait néfaste. »

Cette piqûre n’est pas injectée par voie intraveineuse, mais sous-cutanée, « sinon il y a des risques de grosses complications. » Le président de la NADC ajoute que, selon la littérature sur cette piqûre dite « miracle », « le Buvidal ne peut être prescrit par un médecin généraliste, mais par des spécialistes, et il y a tout un suivi fait par des psychothérapeutes ; il y a un encadrement complet autour des dépendants, ce qui engendre un coût énorme et nécessite une logistique lourde. »

Serait-il possible qu’un accord soit trouvé entre les gouvernements mauricien et britannique, ou avec les fabricants, pour avoir le Buvidal à un prix raisonnable ? « Le Buvidal coûte très cher, entre Rs 40 000 et Rs 60 000, selon le nombre de doses nécessaires pour que les dépendants ne soient plus esclaves des drogues dures. J’ai référé le dossier au ministère de la Santé, qui se penche sur le sujet », conclut Sam Lauthan.

 

 

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