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Face aux propos «insultants» de l’ex-ministre Lutchmeenaraidoo - «On ne pardonne pas» : la colère des victimes de la BAI

Salim Muthy dénonce une manœuvre politique.
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  • Salim Muthy : « Nou pe lans li enn iltimatum pou prezant so exkiz »

Dix ans après la chute de la BAI, les propos de Vishnu Lutchmeenaraidoo ont ravivé les blessures et suscité colère et indignation. Les victimes de la BAI réclament justice.

Elle parle doucement, mais ses mots cognent. Dix ans après l’effondrement du conglomérat BAI, Mavis Latchman, retraitée et actionnaire auprès de Bramer Assets Management Ltd (BAM), vit encore avec le vertige d’une chute brutale, celle d’un pays qui, du jour au lendemain, a renié ses promesses. « J’ai réinvesti le 26 mars 2015. À 8 % l’an, pour cinq ans… », se remémore-t-elle. Le silence, depuis, est plus lourd que les pertes.

Elle n’accuse pas, elle questionne. Et chaque question est une gifle pour les institutions qui, dit-elle, ont déserté leurs responsabilités. « Si Vishnu Lutchmeenaraidoo savait depuis 2009 qu’il s’agissait d’un Ponzi, pourquoi n’a-t-il rien dit ? » demande-t-elle. 

Elle réagit à la conférence de presse de Vishnu Lutchmeenaraidoo qui, le vendredi 18 avril 2025, est sorti de sept ans de silence pour évoquer l’une des affaires les plus retentissantes de l’histoire financière mauricienne : la chute de l’empire BAI. Son intervention, loin d’apaiser les douleurs du passé, a ravivé les blessures de milliers de victimes du Super Cash Back Gold (SCBG) et de BAM.

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Sheila Opeegadoo en larmes lors d’une réunion organisée le 28 décembre dernier, en présence des victimes du crash de la BAI et Dawood Rawat.

Face aux médias, Vishnu Lutchmeenaraidoo a affirmé haut et fort qu’il n’était pas le bourreau de la BAI. « Je ne suis pas l’auteur de la chute. J’ai été écarté lorsque j’ai voulu prendre les bonnes décisions », a-t-il soutenu. Poussant plus loin son argumentation, il a affirmé détenir des « preuves » que la BAI opérait bel et bien un Ponzi scheme. 

Mais ce qui a véritablement mis le feu aux poudres, ce sont ses propos jugés insultants à l’égard des victimes. En les qualifiant de « zougader », soit de joueurs imprudents, il a franchi une ligne rouge pour bon nombre d’entre eux (voir encadré).

Mavis Latchman, elle, ne s’attarde pas sur les propos de celui qui était ministre des Finances au moment des faits. Elle constate simplement qu’entre 2009 et 2016, il n’y a eu ni plainte ni cri d’alarme. Seulement la sidération collective d’avril 2015, quand la licence bancaire de la Bramer Bank est révoquée, et que les épargnants découvrent, trop tard, qu’ils étaient sur un volcan.

Mavis Latchman n’a pas oublié ses lettres restées sans réponse. Selon elle, ni la Financial Services Commission, ni l’Integrity Reporting Services Agency n’ont daigné répondre. « Je n’ai jamais eu de réponse. Ni sur mon argent, ni sur la vérité », dit-elle. 

Ce qu’elle demande aujourd’hui, ce n’est pas un discours. C’est un geste. Une reconnaissance. Et peut-être, un début de justice. « Derrière les chiffres, derrière les sigles opaques, il y a des vies », martèle Mavis Latchman. Il y a celle de Mavis, et des milliers d’autres. Piégées dans le silence.

Sheila Opeegadoo, elle, refuse ce silence. Veuve d’un ancien policier, elle raconte son histoire avec une poignante sincérité. « Mon mari, après 39 ans de service, avait mis toutes ses économies dans le SCBG. Il n’a pas tenu le choc. Il est mort peu de temps après la chute de la BAI. Quand j’ai entendu Lutchmeenaraidoo nous traiter de ‘zougader’, j’ai eu mal. C’est une insulte à moi, à mon époux défunt, à toutes les victimes », martèle-t-elle.

Pour Salim Muthy, figure emblématique de la lutte pour les victimes de la BAI, la conférence de Vishnu Lutchmeenaraidoo ne serait qu’une manœuvre politique déguisée. « Non seulement Vishnu Lutchmeenaraidoo tente de fuir la vérité, mais il cherche clairement à refaire surface sur la scène politique. Ses propos sont non seulement erronés, mais aussi honteux ! »

Il va plus loin dans ses accusations : « S’il dit que c’était un Ponzi scheme, pourquoi personne n’a été arrêté jusqu’à présent ? » Et de rappeler que la BAI opérait sous la supervision de la Financial Services Commission et d’autres instances de régulation. « Où était le problème alors ? »

Salim Muthy insiste : les victimes étaient des citoyens honnêtes, des travailleurs acharnés ayant mis toutes leurs économies dans un produit présenté comme sûr et fiable. « Ces gens ont investi pour assurer leur avenir, celui de leurs enfants, pour vivre dignement. Ce ne sont pas des ‘zougader’, ce sont des victimes d’une injustice » tonne-t-il.

Il confie avoir visionné la conférence de presse en trois fois, tant les mots de l’ex-ministre étaient douloureux à entendre. « J’ai été outré. Il nous doit des excuses publiques. Et nous lui donnons jusqu’au lundi 21 avril pour le faire. Sinon, nous irons en cour pour entamer des poursuites. »

Pour beaucoup, les cicatrices sont encore ouvertes. Sur les quelque 13 500 victimes du SCBG et les 5 000 du BAM, rares sont ceux qui ont récupéré l’intégralité de leur argent. Certains ont perçu entre 50 % et 70 % de leurs bénéfices, tandis que d’autres mènent encore des batailles juridiques pour récupérer ce qui leur revient.

Salim Muthy se remémore avec émotion les heures sombres de 2015, où il a été contraint de jouer les médiateurs pour éviter une crise sociale majeure : « C’était avant Pâques. Et aujourd’hui, à la veille de Pâques encore une fois, il veut se faire passer pour un saint. Mais là, non ! »

Un autre nom est également lié de près à cette affaire : celui de Roshi Bhadain. Alors ministre de la Bonne gouvernance peu après la chute de la BAI, il avait tenté de mettre en place des mécanismes pour atténuer les impacts et résoudre partiellement la situation. À la suite des déclarations de Vishnu Lutchmeenaraidoo, sa réaction était très attendue. Nous avons essayé, à plusieurs reprises, de le contacter afin d’obtenir sa position, mais nos appels sont restés sans réponse.

Le combat des victimes, lui, continue. Et face à ce qu’ils considèrent comme une provocation, ils réaffirment leur détermination à obtenir justice et respect. « Nous n’oublions pas. Et nous ne pardonnerons pas l’humiliation », assure Salim Muthy. Une promesse. Un avertissement.

Ce qu’a dit l’ex-ministre

Vishnu Lutchmeenaraidoo a frappé fort. Selon lui, feu sir Anerood Jugnauth aurait qualifié de « bêtes » les souscripteurs du Super Cash Back Gold (SCBG), qui espéraient un retour de 14 % d’une entreprise au bord de la faillite, alors que les banques offrent à peine 3 %. « C’est une histoire de cupidité sans limites », a-t-il asséné, vendredi face à la presse.

Il a dénoncé le coût colossal du remboursement de ces investisseurs, qu’il n’a pas hésité à appeler des « spéculateurs ». Selon lui, l’État a déboursé Rs 19,2 milliards de fonds publics pour les indemniser. « Cet argent, c’est celui des contribuables. Pour préserver la paix sociale, nous avons puisé dans les caisses publiques et remboursé autant que possible », a-t-il souligné.

Vishnu Lutchmeenaraidoo a également fustigé une campagne de désinformation qui, selon lui, a brouillé les enjeux de la crise. « Propagande et mensonges ont entouré cette affaire. Ce jour-là, le gouvernement a mis le pays en jeu pour garantir à 220 000 Mauriciens qu’ils ne perdraient rien. Nous avons remboursé les sommes investies dans le SCBG », a-t-il martelé.

 

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