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Communication gouvernementale : entre volonté de transparence et déficit de dialogue

L’Official Secrets Act verrouille la communication.

Alors que les récents scandales et les décisions jugées impopulaires ont ravivé les critiques sur le manque de communication du gouvernement, la question de la transparence et de la confiance citoyenne se pose. Si certaines avancées sont notables, comme la régularité des conférences de presse, elles peinent encore à combler le fossé entre le pouvoir et la population. 

La communication gouvernementale mauricienne donne aujourd’hui l’image d’un pouvoir sûr de sa légitimité. Mais elle est en difficulté quand il s’agit de la traduire en un dialogue constructif avec la population. Pour Javed Bolah, expert en communication, le constat est sans détour. « Le tableau est celui d’un gouvernement, fort d’une légitimité électorale incontestable, qui a du mal à incarner le renouveau qu’il a promis. Presque un an après, le fossé semble se creuser entre les attentes suscitées et les actions tangibles. » Selon lui, cette fracture révèle une faiblesse structurelle. « Les compétences en communication qui mènent au pouvoir ne sont pas toujours celles qui permettent de l’exercer avec efficacité. »

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Laura Jaymangal, Acting Chief Executive Officer de Transparency Mauritius, partage cet avis, tout en notant certains progrès. « La tenue régulière de conférences de presse hebdomadaires marque une évolution positive par rapport au passé, quand la presse était parfois tenue à l’écart. C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant », nuance-t-elle. Car, pour elle, la confiance du public reste fragile. « La communication gouvernementale demeure trop fragmentée, trop réactive, et manque d’une ligne directrice claire. »

Les deux spécialistes s’accordent sur un point essentiel : l’efficacité d’une communication politique ne se mesure pas à la fréquence des interventions, mais à la cohérence du message et à la capacité du gouvernement à écouter. « Bâtir une relation de confiance exige une vision, une stratégie et des compétences tournées vers l’avenir », avance Javed Bolah. 

  « Il faut dépasser le simple exercice médiatique et instaurer un dialogue continu, porté non seulement par les ministres, mais aussi par des stratèges en communication capables de représenter le gouvernement avec professionnalisme et régularité », poursuit Laura Jaymangal. Si des efforts sont perceptibles, la communication gouvernementale à Maurice reste à mi-chemin entre volonté de transparence et gestion de l’image. Une équation encore fragile, où la parole officielle peine à se transformer en véritable conversation avec les citoyens.

Lacunes et impacts

En filigrane de ce constat se dessinent plusieurs fragilités profondes. Si le diagnostic est posé, encore faut-il comprendre où se situent réellement les failles et comment elles influent sur la relation entre le gouvernement et les citoyens. Javed Bolah soutient que les lacunes sont avant tout stratégiques. « Présenter des réformes importantes comme celles sur les retraites, le nombre de députés ou, récemment, les taxes sur les légumes sans en construire ni maîtriser la narration a été une erreur majeure », explique-t-il. 

Selon cet expert en communication, le gouvernement a « capitulé dans la bataille narrative », se contentant de réactions défensives face aux critiques. « Il subit l’actualité au lieu de la conduire, abandonnant l’espace médiatique à ses adversaires. Il laisse à n’importe qui imposer des thèmes. » Mais au-delà de la stratégie, la crise de confiance a des racines plus profondes. « Aucune narration, aussi habile soit-elle, ne saurait masquer l’amère réalité d’un pouvoir d’achat en baisse, d’un assainissement institutionnel qui tarde à venir, et d’une population en attente de justice. »

Laura Jaymangal, de Transparency Mauritius, ajoute à ce diagnostic une lecture institutionnelle. « Le déficit de communication résulte d’abord d’une culture politique marquée par le secret, héritée d’un mode de gouvernance qui ne favorise pas le partage d’informations. L’Official Secrets Act vient légitimer ce verrouillage, tandis que l’absence d’une Freedom of Information Act prive les citoyens d’un droit fondamental : celui d’accéder à l’information publique. La communication gouvernementale reste trop souvent politisée. La télévision nationale elle-même a longtemps été perçue comme un instrument de propagande, ce qui a durablement entamé la crédibilité du message de l’État. » 

Pourtant, malgré la présence de nombreux conseillers en communication, le message ne passe pas toujours. Javed Bolah y voit une cause organisationnelle. « Cette armée de conseillers talentueux manque de direction. Il faut un stratège en chef capable d’orchestrer leurs efforts. Une communication digne de ce nom exige un commandement centralisé et une cohérence impitoyable. » L’expert évoque également une dimension humaine. « Beaucoup de conseillers, souvent d’anciens journalistes ou experts, découvrent les arcanes de la communication politique en même temps que leur ministre apprend le sien. La communication est une science à part entière, elle ne s’improvise pas. »

Les conséquences, elles, dépassent le seul champ médiatique. « Le silence ou l’opacité créent un vide rapidement comblé par la rumeur, la désinformation et les fake news. Ce qui fragilise le débat public, délégitime les institutions et nourrit une défiance généralisée envers l’État », dit Laura Jaymangal. Pour elle, la communication n’est pas un outil secondaire, mais un pilier de la démocratie. « Lorsqu’elle est déficiente, elle entraîne une perte de confiance, une moindre participation citoyenne et une montée du cynisme politique. »

Crédibilité et transparence

Alors que le déficit de communication se fait sentir dans la confiance citoyenne, une question essentielle se pose : quelles solutions permettraient de redresser la situation et de rétablir un dialogue crédible entre le gouvernement et la population ?

Certains observateurs politiques estiment qu’il est nécessaire de recruter un Communication Manager. Selon Javed Bolah, il s’agit d’une nécessité et non d’une option. Mais il précise que la fonction dépasse largement le simple rôle de porte-parole. « Le véritable impératif est double : d’une part, disposer d’une expertise en gestion de communication pour une structure complexe ; d’autre part, participer aux délibérations plutôt que de simplement en assurer la promotion. Sa place est au cœur même des arbitrages, pour en comprendre les subtilités et forger un message cohérent. »

Sans cette autorité,  le directeur ne devient qu’« un porte-parole de plus ». Ce constat est particulièrement sensible dans un gouvernement de coalition, souvent miné par les calculs partisans. « Les stratégies échouent alors, non par incompétence, mais par impossibilité structurelle. La fonction de la communication n’est pas de maquiller l’échec, mais de servir de levier à la réussite. » Pour Javed Bolah, un redressement crédible passe par plusieurs impératifs. En premier lieu, il faut rétablir la crédibilité grâce à des actions tangibles et à la reconnaissance des erreurs passées. Il fait restructurer l’équipe gouvernementale en privilégiant compétence et humilité. Il faut refondre la communication en veillant à son adéquation stricte avec l’action. Et il faut expliquer clairement les réformes complexes et assurer leur mise en œuvre effective.

Laura Jaymangal insiste quant à elle sur les mesures institutionnelles. Elle recommande l’adoption d’une Freedom of Information Act, pierre angulaire pour garantir le droit d’accès à l’information et ancrer une culture de transparence. Il est également essentiel d’institutionnaliser une communication de crise, en formant et en responsabilisant des porte-parole techniques et indépendants, au-delà du discours politique. Il faut encourager la proactivité en publiant régulièrement des données ouvertes telles que les budgets, les contrats et les statistiques. Ce qui permet de réduire les zones d’ombre. Enfin, elle souligne l’importance de distinguer communication gouvernementale et communication partisane, car la parole de l’État doit servir le citoyen et non l’agenda d’un parti.

Jean Claude de l’Estrac, observateur politique : « Les dirigeants politiques font aujourd’hui de l’information où le personnage central est le messager »

Vous avez été aux premières loges de la vie politique et institutionnelle mauricienne : pourquoi la communication gouvernementale peine -t-elle encore à s’imposer comme un outil de gouvernance moderne ?
Nous parlons de deux périodes distinctes et différentes. Dans les années 80-90, et avant, les dirigeants politiques faisaient de la communication comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Ils communiquaient directement avec la population dans de multiples rencontres, échanges et conversations où ils se devaient de tenir compte de la manière dont leur message était reçu. C’est cela la communication : la prise en compte par l’autre de la qualité de la réception du message. Les dirigeants politiques font aujourd’hui de l’information où le personnage central est le messager, l’émission est centrale et non pas la réception. Il en résulte ce que les experts appellent « l’incommunication », de plus en plus d’échanges de moins en moins d’intercompréhension.

Ni nos politiques ni leur soi-disant « communicants » ne maîtrisent cette technique. Il faudrait, à mon avis, faire la formation professionnelle des communicants des ministres, et le Bureau du Premier ministre devrait s’attacher un cabinet de communication avec une empreinte internationale.

Dans quelle mesure diriez-vous que la culture politique mauricienne marquée par le secret et la centralisation du pouvoir est-elle responsable des zones d’ombre reprochées au gouvernement ?
Il y a en effet beaucoup de ces travers : l’Official Secrets Act est le bouclier que les fonctionnaires utilisent pour faire de la rétention de l’information et l’absence d’un Freedom of Information Act, un outil au service des citoyens et pas des seuls journalistes, expliquent pour une part une absence de transparence systémique. Encore que l’on parle ici de l’information et pas encore de communication.

Certains observateurs estiment que la communication officielle se rapproche plus de la propagande que de l’information. Partagez-vous ce constat, et où tracer la ligne de démarcation ?
Je partage absolument cette critique. Je ne suis pas moi-même un spécialiste de la communication mais je sais qu’elle est une science de rupture entre l’information et la communication. Elle étudie notamment les difficultés à se comprendre tant à l’échelle individuelle que sociétale malgré la multiplication des réseaux d’information. Et peut-être même en raison de cette technicité tyrannique.

Alexandre Laridon, Senior Advisor au PMO, responsable de communication du GM : « Nous rejetons le sensationnalisme et prônons une communication de vérité »

Selon Alexandre Laridon, Senior Advisor au Bureau du Premier ministre et responsable de la communication du gouvernement, la stratégie actuelle repose sur trois piliers : transparence, confiance et inclusion. « Il ne s’agit pas seulement de multiplier les conférences de presse, mais aussi d’organiser des assises pour recueillir l’avis de toutes les parties concernées avant la prise de décisions importantes. L’objectif est de favoriser l’écoute et la participation citoyenne et de rendre la communication plus proche du citoyen, y compris à travers les médias », explique-t-il.

Le Senior Advisor compare les stratégies de la communication gouvernementale à celles du football : « Il faut du temps pour réfléchir, planifier et mettre en œuvre les actions. En tant que gouvernement, nous avons la responsabilité de savoir quelles informations partager et à quel moment. »

En 2025, la communication publique et politique connaît une transformation profonde. À l’ère du numérique, des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle, elle n’est plus un simple relais d’informations officielles : elle devient un véritable outil stratégique de dialogue, de confiance et de participation citoyenne. « La communication politique doit avant tout être claire, honnête et accessible à tous. Pour combattre les fake news, la défiance envers les institutions et l’infobésité qui fragilise le lien entre politiques et citoyens, la transparence proactive est essentielle. Cela signifie publier les données et les rapports, expliquer les décisions et reconnaître les erreurs. Mais cela passe aussi par une communication inclusive, où chaque citoyen peut s’exprimer et participer », fait valoir Alexandre Laridon. 

Par ailleurs, il ajoute que depuis la victoire de l’Alliance du Changement en 2024, un changement de paradigme s’est opéré. « Sous l’ancien régime, la communication publique était verticale : l’État parlait et les citoyens écoutaient. Aujourd’hui, ce modèle est révolu. Les citoyens connectés et exigeants veulent participer, commenter et interpeller. Nous sommes passés d’un monologue à un véritable dialogue avec les citoyens », souligne le responsable de communication. 

Selon ce dernier, la mission première de la communication gouvernementale reste inchangée soit de servir l’intérêt général. « Mais aujourd’hui, cela implique une exigence accrue de transparence, d’inclusion et d’accessibilité. Les messages doivent être compréhensibles par tous, et la communication se doit d’être à la fois technologique et humaine. Communiquer, c’est désormais gouverner avec les citoyens, et non plus seulement pour eux ». 

Alexandre Laridon insiste sur la responsabilité éthique de la communication publique à l’ère des réseaux sociaux. « Les algorithmes activent le circuit de la récompense du cerveau en libérant de la dopamine, l’hormone du plaisir. Cela crée une soif constante d’informations et de stimulation. C’est là que la communication publique doit être responsable : éviter de transformer l’information en une source de gratification qui pourrait nuire à la santé mentale des citoyens », affirme-t-il.

Jean Luc Émile, Senior Advisor au ministère de l’Égalité des Genres et du Bien-être de la Famille : « La communication privilégie des contenus humains et accessibles »

Face aux critiques passées et à l’évolution des attentes citoyennes, la communication gouvernementale exige aujourd’hui une approche plus proactive et tournée vers l’écoute.

C’est ce dont nous explique Jean Luc Émile, Senior Advisor au ministère de l’Égalité des Genres et du Bien-être de la Famille. Selon lui, la communication institutionnelle a évolué d’un schéma réactif à un schéma proactif. « Autrefois, le ministère n’apparaissait dans les médias qu’en réaction à des crises et il était difficile d’obtenir une prise de parole officielle. Aujourd’hui, la ministre et ses équipes vont sur le terrain et participent activement aux campagnes médiatiques, offrant une parole plus transparente et humaine sur des sujets délicats », explique-t-il. 

Au sein de ce ministère, un plan d’actions a été mis en place pour combler certaines lacunes. Selon Jean Luc Émile, ces lacunes concernent notamment « le manque de préparation des intervenants à la prise de parole publique et la dispersion des informations sur différents canaux, qui pouvait entraîner des messages contradictoires ». La stratégie mise en place repose sur une coordination renforcée entre tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse des cadres techniques, du personnel administratif ou des partenaires. « Les campagnes sont désormais planifiées de manière structurée pour garantir cohérence et impact, et la communication privilégie des contenus humains et accessibles, permettant de mieux informer le public et de renforcer la compréhension des actions menées », ajoute-t-il.

 

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