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Face aux deux blocs parlementaires - Alternance politique : les petits partis à l’assaut d’un tenace statu quo

Avec la concrétisation de l’alliance PTr-MMM-PMSD pour contrecarrer l’alliance gouvernementale, les petits partis politiques se retrouvent-ils une nouvelle fois avec le rôle de simples figurants ? Ou y a-t-il une opportunité de se frayer une place au soleil aux prochaines élections en pariant sur un rejet de l’électorat envers ces deux blocs traditionnels ?

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Patrick Philogène

Avec la formation de l’alliance PTr-MMM-PMSD, se retrouve-t-on, une nouvelle fois, avec deux grands camps qui s’affrontent au détriment des petits partis et d’idées nouvelles ? Les opinions divergent grandement sur ce point de vue. Si pour certains, l’espoir de ces petits partis est réduit à peau de chagrin, d’autres estiment, en revanche, qu’ils pourraient jouer les arbitres aux prochaines élections, voire faire une percée au Parlement.
« Il y a un besoin indéniable de changement au niveau du gouvernement. Les trois partis de l’opposition parlementaire n’ont rien trouvé de mieux que de s’allier pour se battre contre le gouvernement en place », constate Patrick Philogène, président de Nou Repiblik. 

Sauf que lorsqu’il y a une confrontation entre deux gros blocs, « nous, les petits partis, avons très peu de chances de nous faire élire, voire d’exister ». C’est, dit Patrick Philogène, « une certitude, d’autant que le découpage électoral et notre système électoral basé sur le first-past-the-post ne jouent pas en notre faveur ».

Du reste, poursuit le président de Nou Repiblik, les petits partis sont conscients que se positionner face aux partis parlementaires donne plus de chances au gouvernement. « Cela divise les votes des gens qui sont contre le gouvernement. Mais, d’un autre côté, la démocratie ne nous permet pas non plus de ne pas participer du tout aux élections générales. La question est, en fait, très complexe », fait-il ressortir.

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Faizal Jeerooburkhan

Patrick Philogène anticipe d’ailleurs que les élections générales de 2024 seront une joute très compliquée, car les petits partis se sont non seulement multipliés, mais ont, en plus, beaucoup gagné en visibilité. Puis, il y a un certain ras-le-bol de l’électorat face aux leaders traditionnels. « Mais je ne pense pas que les Mauriciens prendront le risque de voter en faveur des partis extraparlementaires, parce qu’ils ont compris que l’enjeu est grand », estime le président de Nou Repiblik.

Cependant, la situation peut évoluer d’ici les élections. « La situation n’est pas définitive, avec cette nouvelle alliance des trois grands partis de l’opposition. Rien n’est encore joué. En fonction de la date des élections, tout peut se passer au niveau de l’alliance de l’opposition parlementaire, car le temps joue contre eux. Les leaders Navin Ramgoolam et Paul Bérenger sont âgés. Dans ce contexte, deux ans, c’est beaucoup », affirme Patrick Philogène.

Et d’ajouter : « le Mauricien qui réfléchit aura à choisir de ne pas voter pour un parti, mais contre un gouvernement, car il n’a pas le choix. C’est ce qui va faire les élections encore une fois ». Pourquoi se retrouve-t-on dans cette situation ? « Tous les partis qui ont été au gouvernement disent, quand ils sont dans l’opposition, que le système ne favorise pas une alternance démocratique, mais quand ils sont au gouvernement, ils changent de discours et refusent d’appliquer les changements nécessaires pour ouvrir la démocratie aux autres », déplore-t-il.

Le président de Nou Repiblik surenchérit : « Le système politique est bloqué avec et par les grands partis. Le découpage électoral amène un élément communautarisme qui bloque encore une fois la démocratie totale. Cela force les gens à réfléchir en tant que communauté et cela joue en faveur des grands partis, car les électeurs ont l’impression qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Avec un autre découpage qui aurait un nombre plus cohérent de votants par rapport aux députés, ce serait différent. La population a doublé depuis 1968, avec des circonscriptions qui ont peu d’électeurs et des circonscriptions avec énormément d’électeurs. » Dans ce contexte, Patrick Philogène se pose la question de savoir « si on va participer aux élections ou pas ».

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Geraldine Hennequin

Geraldine Hennequin, fondatrice d’Idéal Démocrate, pense, pour sa part, que « la création d’un bloc politique à travers une alliance est chose normale en politique et est souvent souhaitable ». « Ceci n’anéantit en rien l’existence de nouveaux partis. Je trouve cela sain. À Idéal Démocrate, nous sommes conscients que beaucoup de Mauriciens ont peur que la multiplication des partis émergents fasse le jeu du parti MSM, actuellement au pouvoir », confie-t-elle.

Mais, en même temps, « de nombreux citoyens souhaitent une rupture réelle avec cette pratique politique à l’ancienne que nous connaissons tous et que nous rejetons : du sectarisme, des choix par quotas et un programme souvent oublié après les élections ». C’est là, insiste-t-elle, que les partis émergents doivent faire des choix judicieux et en cohérence avec ce pourquoi ils sont entrés en politique. 

Et Geraldine Hennequin d’expliquer pourquoi elle s’est engagée : « C’est pour que notre génération et celle d’après contribuent à faire évoluer notre démocratie à travers une refonte de notre Constitution, des lois de 3e génération en lien direct avec le développement durable, la justice sociale et une revalorisation des secteurs de la culture et du sport. Cette liste est loin d’être exhaustive et Idéal Démocrate fera des propositions dans ce sens. »

Au niveau de Linion Pep Morisien (LPM), le co-leader Dev Sunnasy affirme que les vrais changements que demande le peuple n’émaneront ni de l’opposition parlementaire ni de l’alliance gouvernementale : « Quand nous faisons nos propositions, nous expliquons clairement ce que nous voulons faire, pourquoi nous voulons le faire et comment nous allons le faire. » 

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Dev Sunnasy

Il cite en exemple le Freedom of Information Act : LPM a rendu public un projet de loi déjà prêt. « Or, l’alliance de l’opposition parlementaire n’a fait qu’annoncer son intention de présenter une telle loi, sans dire ce qu’elle contiendra. L’Ouganda, par exemple, a aussi un Freedom of Information Act, mais elle ne contient rien qui puisse vraiment être efficace pour éclairer la population. Nous, nous proposons des mesures précises et expliquées. Nous sommes clairs et transparents concernant le modèle de changement que nous prônons. »

Il avance également que sur certains grands dossiers nationaux, dont Agaléga, « le gouvernement et l’opposition ont ‘marye pike’ et ils sont du même point de vue en ce qu’il s’agit de ne pas jouer la transparence totale sur ces dossiers ». 

Dev Sunnasy estime cependant que l’opposition extraparlementaire ne va pas puiser dans le bassin de l’opposition parlementaire et ne jouera donc pas en faveur du gouvernement : « On ne voit pas comment on va diviser le vote. Selon un sondage Afrobarometer rendu public l’année dernière, 50 % de la population ne se voit pas dans les grands partis traditionnels. La part des indécis est extrêmement grande et les dernières élections ont montré qu’il y a un fort taux d’abstention. Avec 35 % des voix, l’opposition extraparlementaire peut remporter les élections. »

« Deux dynasties qui ont accumulé les casseroles »

Pour l’observateur politique et membre de Think Mauritius Faizal Jeerooburkhan, il y a définitivement de la place pour les petits partis et cela, pour plusieurs raisons. « Après 55 ans d’indépendance, essentiellement sous le prime ministership de deux dynasties qui ont accumulé de nombreuses casseroles au cours des années, beaucoup de personnes pensent qu’il est temps de les écarter du pouvoir. »

Il déplore que « les leaders vieillissants des trois partis agissent comme les propriétaires de leurs partis respectifs, sans se soucier de la relève par des candidats plus jeunes qu’ils auraient dû ‘groom’ depuis longtemps déjà ». « Ces leaders semblent être plus concernés par l’amour du pouvoir que par l’amour du pays, car ils n’ont pas de programme électoral solide et crédible pour sortir le pays du gouffre où il se trouve. Ils ont les mêmes reflexes et cultures politiques d’antan, comme le MSM », estime-t-il.

C’est pourquoi il est d’avis qu’une bonne partie des indécis choisiront probablement les petits partis « qui ont déjà travaillé sur des programmes bien recherchés, qui ne traînent pas de casseroles, et qui se montrent plus intègres, entreprenants, patriotiques etc. ».

En revanche, l’union fait la force, fait valoir Faizal Jeerooburkhan : « Ces petits partis doivent se regrouper pour présenter un programme commun acceptable par la population et descendre sur le terrain pour faire l’éducation politique de la population. Les petits partis doivent se présenter pour consolider la démocratie. S’ils se présentent séparément, ils pourraient en effet faire le jeu du pouvoir en place ou de l’opposition traditionnelle. S’ils se regroupent convenablement, ils ont la chance de faire une percée historique. »

Questions à…Alexandre Barbès-Pougnet, secrétaire général d’En Avant Moris : «Les votes donnés aux nouvelles formations sont de réels votes de conviction»

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Comment les « petits partis » peuvent-ils exister face aux deux grands blocs politiques ? 
Deux facteurs évidents permettent aux « petits partis » d’exister aujourd’hui. D’abord, l’impossibilité pour un groupe de citoyens souhaitant s’engager dans le combat politique de se retrouver dans la philosophie, les visions et les valeurs des formations existantes. Ces citoyens n’ont alors d’autre choix que celui de se rassembler sur la base d’un consensus afin de créer une nouvelle formation politique. 

Puis, une demande de renouvellement de la classe politique émanant de la partie la plus lucide, selon moi, de l’électorat. Je parle de lucidité, car j’estime qu’il est suicidaire de voter pour des formations politiques ayant enchaîné les abus depuis plus de 50 ans.

Y a-t-il finalement un avenir pour les « petits partis » avec le « first-past-the-post » sur lequel est basé notre système électoral, ou bien la scène est-elle « verrouillée » par les grandes formations politiques qui dominent la scène depuis l’Indépendance ? 
J’ai toujours pensé que l’existence et la survie d’une formation politique dépendait exclusivement du choix effectué par les électeurs, peu importe notre modèle de système électoral. C’est bien le candidat ayant obtenu le plus de voix qui est élu en fin de compte. 

Ce qui fait la différence lors d’une élection, c’est surtout la capacité financière d’une formation politique à tenir le rythme. Je n’évoquerai pas ici les montants astronomiques distribués à bon nombre de Mauriciens durant les élections, ou encore les cadeaux matériels (réfrigérateur, moteurs de bateau, télévisions, caisses de whisky, etc.), mais je me limiterai à n’évoquer que les dépenses légales (meeting, carburant, bannières, communication, etc.). 

La multiplication des petites formations ne risque-t-elle pas de diviser le vote des personnes qui sont contre le gouvernement, avec comme conséquence que ce dernier parvient à se maintenir à la tête du pays ?
Je ne pense pas qu’une formation politique ayant la capacité de présenter 60 candidats ayant un potentiel certain à une élection puisse être considérée comme étant petite. C’est du moins l’ambition de l’alliance En Avant Moris et Reform Party. 

L’alliance PTr-MMM-PMSD n’est, somme toute, qu’une coalition de partis aujourd’hui très diminués, incapables de recueillir, individuellement et par circonscription, le nombre de voix nécessaires pour disposer d’une solide assise politique. Les électeurs du PTr sont donc appelés à voter pour le MMM et le PMSD, et vice versa. 

Les votes donnés aux nouvelles formations politiques ne sont plus des votes de sympathie, mais de réels votes de conviction. Je doute fort qu’un vote donné à notre alliance ou à toute autre nouvelle formation politique aurait été dirigé en faveur de l’alliance PTr-MMM-PMSD, ou encore du MSM, si nous n’existions pas. Nous aurions tout simplement été confrontés à un fort taux d’abstention ou de votes blancs. Or, nous savons que l’abstention est susceptible de favoriser la fraude électorale en faveur du parti au pouvoir. Cette règle n’est pas propre à Maurice. 

Meghna Raghoobur, entrepreneuse et sociologue : «Les partis doivent accepter de nommer des leaders selon le mérite»

meghnaLes grands partis politiques ne permettent pas le renouveau, estime la sociologue. Le fait que les leaders politiques restent à la tête de leur parti politique pendant des décennies est une mauvaise chose pour la démocratie mauricienne, dit-elle. 

Est-ce que la politique devrait intéresser la jeunesse mauricienne ?
La réponse est définitivement oui. Quand on se penche sur l’Histoire, on constate qu’énormément de grands changements dans le monde ont été enclenchés par de jeunes révolutionnaires à travers la politique. Même à Maurice, on a vu ce qu’a amené l’engagement des jeunes en politique après l’Indépendance. C’est l’époque où plusieurs partis, qui existent encore aujourd’hui et qui ont contribué à façonner le pays, ont été créés. Malheureusement, au lieu que la jeunesse d’aujourd’hui s’intéresse à la politique, c’est le contraire. Il y a de moins en moins d’intérêt. Pourtant, ce ne sont pas les compétences qui manquent.

Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Il y a beaucoup de facteurs qui contribuent à ce constat. Parmi ceux-ci, il y a le fait qu’il n’y a pas de démocratie normale au sein des grands partis politiques mauriciens. Si la démocratie fonctionnait vraiment au sein des partis, il y aurait eu des changements de leadership. 

De même pour ce qui est de la tête du pays. Normalement, après deux mandats, il aurait fallu avoir automatiquement un changement de leadership. Mais que voit-on à Maurice ? Le leadership se transmet de génération en génération. Cela révèle bien l’état de notre démocratie. 

Est-ce encourageant pour les jeunes d’entrer en politique quand ils savent que certaines places sont déjà prises et qu’ils ne pourront jamais accéder au poste de leadership ?

La situation peut-elle changer ?
Cela pourrait changer, mais ce ne sera pas pour les prochaines élections générales. Ce sera dans 15 ou 20 ans. Il faudra, entre autres, opérer un changement au niveau de l’état d’esprit au sein des partis et au niveau de la jeune génération. Puis, il y a aussi l’électorat qui continuera à voter comme à son habitude, mais les jeunes qui vont entrer au fur et à mesure dans le bassin des électeurs pourraient ne pas voter de la même façon.

Que faut-il faire pour intéresser les jeunes ?
Il faut que les partis traditionnels changent leur façon de fonctionner. Les jeunes peuvent être intéressés lorsque les changements de leadership se feront selon le mérite et non selon l’appartenance à telle ou telle famille. L’introduction de mandats de 10 ans, par exemple, aurait pu changer les choses et aurait pu empêcher que le leadership des partis et du pays reste en famille. Même pour le développement du pays, l’introduction de mandats limités aurait été un plus pour la démocratie et aurait pu assainir les choses.

Nous ne sommes pas dans une démocratie normale ?
Dans toute démocratie, des choses fonctionnent et d’autres pas. Barack Obama est parti après ses deux mandats, car il ne pouvait pas se représenter pour un troisième mandat, selon la Constitution des États-Unis. Il n’a pas non plus passé la main à son épouse ou à un autre membre de sa famille, Or, à Maurice, le leadership reste au sein d’une même famille. Cela devrait plutôt être transmis d’un leader à un autre. C’est la personne la mieux qualifiée qui devrait reprendre le flambeau après un processus démocratique. Alors qu’ici, les leaders restent pendant des décennies au pouvoir. Vous vous rendez compte qu’à 33 ans, j’ai toujours connu les mêmes leaders à la tête des partis.

Durant les années 70 et 80, et même avant, des idéologies fortes soufflaient sur le monde et sur Maurice. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Qu’est-ce qui peut porter les jeunes vers la politique ?
L’écologie et le bien-être de la personne sont des thèmes qui intéressent de plus en plus les jeunes. Ce sont deux choses extrêmement importantes. Mais avons-nous des leaders qui mettent en pratique ce qu’ils prêchent ? Sont-ils convaincus lorsqu’ils en parlent ? Pourquoi un jeune adhérerait-il à un parti, si celui-ci ne donne pas la place nécessaire aux causes qui l’intéressent ? 
Puis, je côtoie beaucoup de personnes qui sont impliquées dans des partis politiques. Avant d’y adhérer, elles avaient des idées précises du changement qu’elles voulaient apporter. Mais dans le concret, quand elles entrent dans ces partis, elles perdent ce pour quoi elles voulaient faire de la politique. Elles épousent à 100 % les idées de leur parti.

 

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