Notre demi-siècle de décolonisation imposée par une Angleterre plus boutiquière qu’impériale, plus Margaret Thatcher que reine Victoria, est période trop brève pour comprendre le comportement séculaire du peuple mauricien. Il est le prolongement du vécu de nos ancêtres, à différentes périodes de notre histoire.
Un rappel de celles-ci s’impose. Pour ne pas répéter ce qui a été dit précédemment et ce qui sera dit ailleurs, surtout à l’occasion des 50 ans d’Indépendance, oublions nos chefs d’Etat et de gouvernement, les personnages principaux de nos événements majeurs, pour suivre à travers les âges le comportement évolutif de nos administrateurs (nos fonctionnaires) et leurs administrés (nous, citoyens productifs, consommateurs et conséquemment contribuables).
Au 17e siècle, lors de la colonisation hollandaise le gaspillage des ressources naturelles (bois d’ébène, oiseau totémique dodo) est à son comble et l’administration d’un amateurisme affligeant. Il nous reste quelques séquelles. Des chefs administratifs de maints ministères ne valent pas mieux que ces gouverneurs bataves, attendant instructions du Cap de Bonne-Espérance ou de Batavia, comme des secrétaires permanents comptent, aujourd’hui, sur ministres siégeant en cabinet pour penser pour eux, pour leurs subalternes, pour leurs administrés (nous, Ti-Dimounes).
Une roupie posée sur la table d’un organisme collectif (libre entreprise, ONG, organisation, coopérative, syndicat, mouvement socioculturel) remplace, avant comme après l’Indépendance, le défunt dodo du 17e siècle. La roupie reviendra bien sûr au voleur plus rapide que d’autres. Voilà pourquoi des entreprises progressent, pendant que d’autres s’étiolent. L’argent facile même sale est en 2018 ce qu’était le dodo au 17e siècle.
Mais il y a un Bon Dieu pour le pays Maurice. Des Hollandais, pour ne pas dire Adriaan van der Stel, introduit à Maurice, en 1639, entre autres cannes à sucre et cerf. Qu’aurait été Maurice sans la canne à sucre de 1639 ?
Au 18e siècle, Maurice ou plus exactement l’Isle de France, sort de la jungle batave, pour devenir une colonie française (peuplée de colons), port-chantier naval (Merci Labourdonnais), un centre mondial d’acclimatation des épices, précédemment monopole, valant de l’or, jalousement gardé par les Hollandais aux Moluques (Merci Pierre Poivre). La Révolution Française coupe le cordon ombilical (aussi étrangleur) nous assujettissant précédemment au bon plaisir de roi (Soleil ou Bien-Aimé), régnant absolument à Versailles.
Les guéguerres indocéaniques anglo-françaises, pour cause de succession autrichienne, durant sept ans ou davantage, ruinent à plusieurs reprises une économie mauricienne, n’ayant rien à faire de ces embrouilles. En 2018 encore, nous survivons tant bien que mal dans un monde où Donald Trump et un dictateur nord-coréen se querellent, comme gamins mal élevés, pas seulement en récréation, risquant à tout moment de mettre notre unique planète (plus exactement celle des enfants de nos enfants) à feu et à sang, pour n’effrayer personne en parlant ici d’apocalypse nucléaire.
Ce cordon ombilical coupé, pour cause révolutionnaire, nous oblige à faire nos premiers pas en démocratie. Ne recevant plus aucune instruction d’aucune métropole, nous finissons par décider de prendre en main nos propres affaires. Les Mauriciens commencent à tenir sur leurs propres jambes. Nous n’oublierons jamais cette leçon révolutionnaire.
Decaen, l’envoyé du dictateur Napoléon-le-Petit, voudra nous assujettir de nouveau, à l’instar de l’esclavage et de la traite négrière qu’il instaure de nouveau. Entretemps, l’Isle de France est devenu un nid de corsaires qu’animent, entre autres, les frères Surcouf (Robert et Nicolas). Cela révulse la Royal Navy qui, en décembre 1810, oblige l’Isle de France à redevenir Mauritius, et au Tricolore de céder la place (mais si peu) à l’Union-Jack, dans le ciel mauricien. Ne le répétez pas.
Notre ministère de la Culture l’ignorait en 2010 d’où Rs 50 millions pour commémorer l’éphémère victoire navale française du Grand-Port et 50 sous pour célébrer la prise de l’Isle de France par Abercromby et 10 000 cipayes indiens.
Farquhar, francophone et francophile, convainc des colons français à rester sur place car la fraternisation se fera avec leurs nouveaux maîtres-administrateurs. Le Colonel Draper l’aide dans cette noble mission. Farquhar crée, en 1825, notre industrie sucrière en obtenant pour nos sucres les avantages fiscaux et douaniers déjà octroyés à ceux des Antilles anglaises. D’où le développement d’un lobby anti-francophonie et anti-francophilie et pas seulement à Londres. A Maurice s’y illustrera, mais vainement, John Jeremy. Maurice demeure francophone. Pour la francophilie, une enquête plus approfondie s’impose.
L’allergie anti-francophilie nous vaut l’abolition de l’esclavage en 1834-39. L’industrie sucrière, en plein progrès, a de plus en plus besoin de bras. Des travailleurs agricoles remplaceront nos esclaves, surtout africains, dans nos champs de canne. Il y viendra un demi-million de travailleurs engagés entre 1830-1920. Il en repartira un quart de million. Maurice devient dès lors Little India. Qui s’en plaindra !
Paresseux, le fonctionnaire anglais laisse faire le Mauricien, voulant de plus en plus participer activement à la saine administration de son pays, à sa bonne gouvernance. Paresseux et aimant ses aises, le British Born fuit les chaleurs portlouisiennes pour les fraîcheurs des Hauts Plateaux et de Moka. Le chemin de fer (1864-1964) aidera leurs déplacements à travers l’île, comme il facilitera les pique-niques d’Hesketh-Bell et de sa suite à Blue-Bay.
Pour mieux laisser le dirty work (épidémies, quarantaines, voirie dans les poussiéreuses rues de la capitale à arroser constamment, lutte contre les incendies, tout à l’égout à mettre en place, lutte anti-malaria), Whitehall crée, en 1850, la municipalité de Port-Louis, en charge, dans un premier temps, du service des… douanes. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la corporation municipale gouverne le pays car toute l’économie mauricienne, hormis le secteur agricole, se concentre à Port Louis. Les Anglais laissent faire et se contentent de surveiller tout cela d’un œil fatigué, blasé, auquel s’ajoute leur flegme.
La Rétrocession (mouvement suggérant que, au nom de l’Entente cordiale sanctifiée dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, l’Angleterre restitue Maurice à la France) scelle l’union également sacrée de l’oligarchie blanche et des classes supérieures de la communauté mauricienne originaires de l’Inde, pour mieux cadenasser une population de couleur, voulant faire jeu égal avec cette oligarchie surtout foncière et financière. On n’aura de cesse d’ôter à cette population de couleur, sinon créole, les pouvoirs administratif gagnés au service d’une administration urbaine se concentrant, Dieu sait pourquoi, à Port-Louis et aux Plaines-Wilhems.
Un gouvernement central mais toujours colonial se met en place et ravit à bon escient à une élite créole la direction de services publics (fourniture d’eau potable et d’énergie, voirie, hôpitaux) pour les étendre aux districts ruraux. Rodrigues devra attendre Serge Clair pour avoir sa part au gruyère gouvernemental, Agaléga est en quête d’un Olivier Bancoult.
A partir de 1940 et grâce à Kissoonsingh Hazareesingh, les Anglais poussent en avant Seewoosagur Ramgoolam, de loin leur meilleur interlocuteur sur place, et lui cèdent la place à la tête du pays. L’oligarchie joue le jeu en raison du pacte sacré anti-population de couleur. Ne commettons surtout pas l’erreur de croire que les chefs oligarchiques se rangent derrière aveuglément NMU.
Ils savent leurs biens fonciers heureusement à l’abri. Si 44% des Mauriciens votent contre l’Indépendance, n’oublions pas que Fernand Leclézio, Malcolm de Chazal, Jean Margéot, Philippe Forget, Hervé Masson, acceptent et promeuvent cette évolution inéluctable et d’ailleurs riche de promesses. Maurice n’aurait jamais connu la prospérité qui est la nôtre, si nous étions restés colonie anglaise ou territoire européen ultra-marin comme la Réunion. Il faut être comorien pour envier Mayotte.
Quel changement depuis les Hollandais du 17e siècle ? Ne devons-nous pas toujours débrille nous cari, même si les services publics, l’administration, ne sont pas toujours à la hauteur de nos attentes. Malheur à qui compte sur le gouvernement pour progresser. Il risque l’enracinement à force de faire du sur-place. Et si la course à l’argent facile, même sale, ressemblait à s’y méprendre à la chasse exterminatoire de notre dodo totémique par les Hollandais trop cupides ?
Par Yvan Martial
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