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Enfant «difficile» - Justice juvénile : l’urgence d’un nouveau regard

L’avocate Amira Peeroo rappelle que le Correctional Youth Centre n’est pas une solution pour les cas sociaux ou éducatifs.
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En six mois, 440 enfants présentant des troubles du comportement ont été recensés à Maurice. L’avocate Amira Peeroo appelle à une approche fondée sur les droits de l’enfant, loin de toute stigmatisation.

440 cas en six mois (janvier à juin 2025), dont 138 jugés sérieux. Le chiffre, livré au Parlement le 15 juillet 2025 par la ministre de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille, Arianne Navarre-Marie, pointe une réalité souvent ignorée : de plus en plus d’enfants présentent des troubles du comportement à Maurice. Une situation qui interroge la capacité de l’État à apporter des réponses adaptées, loin de toute tentation répressive.

Interrogée sur ce constat préoccupant, Me Amira Peeroo, avocate spécialisée en droit de la famille, rappelle d’emblée un point fondamental : « La réponse ne peut être punitive. » Ces enfants, explique-t-elle, ont besoin de protection, de compréhension et de droits, pas de sanctions.

Depuis l’entrée en vigueur du Children’s Act 2020, en janvier 2022, la loi ne parle plus « d’enfants hors de contrôle » – un terme jugé stigmatisant – mais d’enfants présentant des troubles du comportement. Une évolution sémantique qui reflète un changement de paradigme : on ne pointe plus l’enfant, mais le contexte dans lequel il évolue. La notion d’« enfant hors de contrôle », souligne-t-elle, « était péjorative, car elle faisait porter la responsabilité sur l’enfant seul, sans considérer l’environnement social ou familial dans lequel il évolue ». Elle rappelle, dans la foulée, que l’article 2 du Children’s Act définit un enfant comme une personne de moins de 18 ans.

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Me Amira Peeroo plaide pour une approche humaine de la question.

Sur le plan juridique, la distinction est claire. L’enfant en conflit avec la loi est celui qui a commis une infraction et peut être poursuivi. L’enfant ayant des troubles du comportement, lui, adopte un comportement perturbateur sans nécessairement enfreindre la loi. Et pour Me Peeroo, une précision est cruciale : « Un enfant de moins de 14 ans ne peut pas être poursuivi pénalement. Au-delà, la responsabilité pénale est engagée, mais dans un cadre adapté. »

Lorsque ces enfants sont appelés à comparaître devant une juridiction, plusieurs garde-fous sont prévus : assistance juridique obligatoire, présence d’un officier de probation, interdiction de garde à vue par la police. Leur prise en charge relève du Mauritius Probation and Aftercare Service, qui veille à leur placement dans un environnement sûr.

Mais peut-on traduire un mineur en justice simplement parce qu’il présente un comportement perturbateur ? La réponse est catégorique : « Non. Aucun enfant ne peut être poursuivi simplement parce qu’il est difficile. » Cela dit, les enfants peuvent comparaître en tant que suspects, victimes ou témoins dans une affaire pénale, ou dans des procédures civiles engageant la responsabilité parentale. À ce titre, l’article 1384 du Code civil prévoit que les parents sont civilement responsables des dommages causés par leurs enfants.

Quant aux centres comme le Rehabilitation Youth Centre (RYC) ou le Correctional Youth Centre, ils ne peuvent accueillir que des mineurs déjà condamnés. « Il n’existe aucun placement possible sans procédure pénale préalable. C’est une alternative à la prison », insiste l’avocate, et non, de ce fait, une solution pour les cas sociaux ou éducatifs. Pour les autres situations, seule une Emergency Protection Order, suivie d’une Placement Order, peut être émise par la Children’s Court, après évaluation par les services sociaux. Objectif : s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant est respecté.

Cependant, si le Code civil rappelle aux parents leurs devoirs – nourrir, éduquer, protéger, guider –, la loi reste timide face aux manquements, note Me Amira Peeroo. « La loi ne distingue pas entre les enfants ordinaires et ceux avec des troubles. L’obligation parentale est la même », explique Me Amira Peeroo. Et si les parents refusent un accompagnement ou un suivi ? « Le pouvoir de l’État est limité dans ce cas. La Child Development Unit (CDU) peut intervenir, mais seulement après un signalement ou une plainte formelle. Il serait utile de renforcer les pouvoirs d’intervention préventive », recommande-t-elle.

L’avocate milite aussi pour un contrôle indépendant des centres comme le RYC, à l’image des détenus en attente de jugement. Elle propose ainsi que les enfants placés soient régulièrement entendus par un magistrat. « Ils doivent pouvoir être entendus par un magistrat, accéder à des soins médicaux et psychologiques, et exprimer leurs doléances dans le respect de leurs droits fondamentaux. »

Pour elle, la réforme du RYC doit aller au-delà de l’infrastructure. « Le RYC doit être repensé dans une logique de droits de l’enfant. » La réforme du système, avertit-elle, ne peut se limiter aux murs et aux lits. Elle doit intégrer des mécanismes de recours, un encadrement formé, et une culture institutionnelle respectueuse de l’enfant.

Bien que les chiffres soient préoccupants, ils ne justifient pas une réponse répressive. Comme le rappelle Me Amira Peeroo, « un enfant qui dérange est souvent un enfant qui souffre. Il mérite d’être compris, soutenu et protégé – pas puni ».

Ce qu’a dit la ministre

Le chiffre interpelle : 440 enfants présentant des troubles du comportement ont été recensés entre janvier et juin 2025 par le ministère de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille. Devant l’Assemblée nationale, la ministre Arianne Navarre-Marie a livré, mardi dernier, une ventilation précise de ces cas, soulignant d’emblée qu’il ne s’agit ni de délinquance ni de criminalité, mais de situations nécessitant écoute, encadrement et accompagnement.

Sur ce total, 302 cas sont considérés comme légers. Ces enfants bénéficient d’un suivi psychologique, parfois complété par leur intégration au Child Mentoring Scheme, un programme d’accompagnement visant à prévenir l’escalade vers des comportements à risque. Les 138 cas jugés sérieux sont, eux, orientés vers le Service de probation et de réinsertion, pour un soutien parental spécialisé.

La ministre se veut claire : ces enfants ne doivent pas être assimilés à des délinquants. Une réforme est en préparation pour mieux encadrer ces situations, incluant une éventuelle restructuration du Rehabilitation Youth Centre dans une perspective fondée sur les droits de l’enfant, explique-t-elle.

 

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