Élection partielle au no 18 : le rajeunissement politique prend un sale coup

Kugan Parapen, Dhanesh Maraye, Roshi Bhadain, Tania Diolle, Nita Juddoo Kugan Parapen, Dhanesh Maraye, Roshi Bhadain, Tania Diolle, Nita Juddoo étaient les nouveaux visages de la partielle à Belle-Rose/Quatre-Bornes.

Les jeunes sont-ils passés à côté de l’élection partielle du 17 décembre dernier ? Les électeurs de la circonscription no 18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes) ont en tout cas penché pour un candidat de 64 ans. Le rajeunissement de la classe politique est-il donc enterré ? Éléments de réponse.

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« Nos dirigeants politiques ont fait leur temps. Il nous faut du sang neuf. Il nous faut de nouvelles compétences. » Vous devez être nombreux à avoir entendu ce type de discours dans des émissions radiophoniques ou sur des forums de discussion. Le renouvellement de la classe politique est devenu ces dernières années le rêve de plus d’un Mauricien. Ce rêve aurait pu se réaliser le 18 décembre au centre de vote SSS Sodnac vers 15 heures au moment de la proclamation des résultats.

Mais les électeurs de Belle-Rose/Quatre-Bornes en ont décidé autrement. C’est donc un candidat de 64 ans, qui a pris part à huit élections générales et une partielle, qui a eu le dernier mot. Pourtant, ces mêmes électeurs avaient le choix entre Tania Diolle, âgée de 32 ans, Kugan Parapen, 32 ans, Nita Juddoo, 47 ans, ou encore Roshi Bhadain, 46 ans.

Michel Chiffonne, membre de Rezistans ek Alternativ, ne cache pas sa déception. « On entend souvent les gens se plaindre mais lorsqu’il s’agit d’exercer leurs droits pour définir la politique nationale du pays, ils ne le font pas », déplore-t-il. Il ne peut digérer le taux d’abstention de 45,04 %. «On aura beau militer et faire passer nos messages mais aussi longtemps que la population n’assumera pas ses responsabilités citoyennes, cela ne servira à rien », dit-il.

Même s’il n’y a, à ce jour, aucune donnée officielle capable de déterminer le profil des électeurs qui ont préféré s’abstenir le 17 décembre, le militant de Rezistans ek Alternativ se dit convaincu qu’il s’agit essentiellement de jeunes. « Nous n’avons qu’à comparer les scores que nous avons réalisés aux dernières élections municipales et le score de cette année-ci pour avoir une idée. Il est clair que les jeunes sympathisants de Rezistans ek Alternativ ne sont pas partis », constate-t-il. « Ils ont préféré aller faire leur shopping », ironise-t-il.

Constance

Ainsi à défaut de plébisciter les jeunes candidats, l’électorat de Quatre-Bornes a préféré faire confiance à des candidats ayant un passé positif et reflétant une certaine constance. Avis partagé par Christina Chan Meetoo, chargée de cours à l’université de Maurice (UoM).

C’est pour cette raison, dit-elle, que le candidat du Parti travailliste (PTr) Arvin Boolell et Jack Bizlall du Muvman Premye Me se sont illustrés à l’issue du scrutin. « Que ce soit pour Arvin Boolell ou pour Jack Bizlall, on peut dire qu’ils ont jusqu’ici eu un parcours correct », observe-t-elle.

Elle ne manque d’ailleurs pas de faire état de « l’intégrité » de Jack Bizlall, un homme de tous les combats, selon elle. « On aura beau être jeune et présenter de nouvelles idées, mais si un politicien ne parvient pas à convaincre l’électorat de sa crédibilité, c’en est fini de lui », fait-elle ressortir.

Pour la chargée de cours, de jeunes candidats, tels que Tania Diolle, ont, lors de cette campagne, opté pour une stratégie de communication et de marketing novatrice, mais cela ne suffit pas. « Je pense que c’est la candidate du Mouvement Patriotique (MP) qui a fait la campagne la plus intense. Il y a eu un déploiement de gros moyens en sa faveur. Elle s’est signalée par une présence assidue sur les réseaux sociaux. Elle a réalisé beaucoup de vidéos. Mais comme il s’agit d’une nouvelle, on ne peut pas juger son passé et sa constance. Deux critères déterminants dans le choix des électeurs », ajoute Christina Chan Meetoo.

Le président du PTr, Patrick Assirvaden, abonde dans son sens. « C’est la crédibilité de notre candidat et de notre parti qui a pesé dans la balance. Malgré les palabres, le PTr a un bilan. Le transport et l’éducation gratuits en sont des exemples concrets. Les jeunes candidats qui ont été alignés (pour la partielle au no 18 ; NdlR) n’ont aucun bilan. Un politicien peut être jeune mais s’il n’a pas de crédibilité, c’est perdu d’avance. C’est d’ailleurs pour cette raison que Jack Bizlall est parvenu à réaliser un aussi bon score. C’est quelqu’un de crédible et de constant », observe Patrick Assirvaden.

Se voulant toutefois plus optimiste, il concède que le rajeunissement de la classe politique demeure l’enjeu principal des formations politiques traditionnelles. « Si nous voulons réconcilier notre jeunesse avec la politique, il faudra inévitablement procéder à un rajeunissement », reconnaît-il. Le président du PTr est même d’avis que le parti politique qui voudra résister au rajeunissement est condamné à une mort certaine. « Les formations politiques sont condamnées à se réinventer pour ne pas se faire doubler. Car si on ne le fait pas, les partis émergents le feront. En acceptant de nous renouveler, nous ne donnerons aucune chance aux partis émergents », poursuit-il.

Moralité publique

L’historien Jocelyn Chan Low se montre, quant à lui, plus terre à terre dans son analyse. Ceux qui rêvent de voir monter un Macron mauricien devront, selon lui, attendre encore longtemps. La faute, dit-il, revient à notre système électoral et à la complexité de notre société. Le système de First Past The Post est, selon lui, un poison pour toute tentative d’émergence politique.

L’historien explique que la population n’a nullement soif d’un renversement du système actuel. « Malgré les revendications incessantes pour le rajeunissement de la classe politique, il faut surtout savoir que le Mauricien reste quelqu’un de foncièrement conservateur qui ne trouve aucun inconvénient au système économique libéral et à la formule d’État providentiel », explique-t-il.

En revanche, Jocelyn Chan Low fait valoir qu’il y a un point à prouver sur le plan de la moralisation de la vie politique. « L’alternance que s’entêtent à proposer les plus jeunes doit se faire à travers des engagements formels sur la moralité publique », dit-il.

Bien que cette élection partielle ait été marquée par une victoire importante d’Arvin Boolell sur ses adversaires, le secrétaire général du Mouvement militant mauricien (MMM), Ajay Gunness, préfère relativiser : « Le projet de rajeunissement de la classe politique ne peut se faire dans une partielle mais lors des élections générales. »

Après tout, souligne-t-il, cette élection partielle a été sans conséquence pour le pays. « Il ne faut pas oublier qu’au final, elle n’a eu aucune répercussion sur le gouvernement », fait-il remarquer. Les jeunes pourront, selon lui, davantage s’illustrer lors des élections générales. Et le rajeunissement passera, dit-il, par les partis politiques du mainstream.

« Ce sont les formations traditionnelles qui ont les structures nécessaires pour accueillir les jeunes. Ainsi, au MMM, nous avons notre aile jeune, notre comité central et régional pour accueillir les jeunes et nous permettons aussi un frottement entre les jeunes et les vétérans. Ce qui est très important », explique Ajay Gunness. Pour ce dernier, l’espoir n’est donc pas perdu.


Le recul de Rezistans ek Alternativ

S’il y a bien une formation  à Maurice qui semble le plus incarner le renouveau politique par ses idées et ses engagements, c’est bel et bien Rezistans ek Alternativ. La formation politique de gauche incarnait l’espoir au début de la campagne, notamment en raison de son score jugé « encourageant » en 2014. Kugan Parapen, qui était aussi candidat aux législatives de 2014, avait recueilli 2 093 voix alors qu’en 2017, le même candidat a dû se contenter de 932 voix. Une véritable déception pour plusieurs membres du parti qui avouent que plusieurs de leurs sympathisants n’ont tout simplement pas fait le déplacement.


Raj Meetarbhan : « Il faut une rupture avec les pratiques du passé »

Est-ce que le résultat de cette élection partielle montre que Maurice n’est pas prêt au rajeunissement de la classe politique ?
Je crois, au contraire, que la demande de l’électorat pour un renouveau politique est toujours très forte. Si une majorité de votants a semblé opter pour le retour du Parti travailliste de Navin Ramgoolam au pouvoir, c’est tout simplement parce qu’aucune autre formation crédible ne s’est présentée devant l’électorat dans la perspective d’une alternance.

Je suis convaincu que le désenchantement du peuple à l’égard des dirigeants politiques est réel. Le fort taux d’abstention enregistré lors de la partielle du 17 décembre n’a fait que confirmer le ras-le-bol de l’électorat face à cette classe politique  traditionnelle. Il va falloir en tenir compte à l’avenir et ne pas mal interpréter le vote du numéro 18.

« Peu importe leur âge, ce qu’il nous faut ce sont des politiciens capables d’amener le pays à changer d’époque. »

L’attention ne doit pas pour autant se cristalliser sur un rajeunissement de l’élite politique. Je préfère le terme renouveau. Il ne suffit pas de remplacer les « vieux » par des jeunes pour que les idées innovantes jaillissent, pour que les institutions se modernisent, pour que les pratiques politiques soient plus respectueuses de la démocratie. Il ne suffit pas de donner la chance à une génération plus jeune pour que le renouvellement ait lieu. Personne ne peut croire que Kalyan Tarolah ou Lormus Bundhoo, par exemple, soient capables d’apporter une bouffée d’air frais et de « think out of the box ». Faisons du renouveau – et pas du rajeunissement – notre cheval de bataille.

Bien que plusieurs jeunes candidats aient été alignés, l’électorat du no 18 a finalement préféré faire confiance à un politicien de 64 ans. Pourquoi ces jeunes n’ont-ils pas été capables de convaincre ?
N’en faisons pas une question d’âge justement. Ce serait trop restrictif. Parlons d’Arvin Boolell puisque c’est lui dont il s’agit. Malgré son âge, il possède les qualités nécessaires pour incarner le renouveau. Déjà, son ascension politique indique qu’il est capable de bousculer certaines traditions électorales mauriciennes liées à l’état civil des candidats au poste de Premier ministre. Ensuite, il se distingue du lot archaïque des politiciens par son humilité, sa sobriété et sa disponibilité.

Pour vous, le rajeunissement de la classe politique n’est finalement pas aussi nécessaire que cela pour Maurice ?
Le plus important à mes yeux demeure une rupture avec les pratiques du passé. Le pays a besoin d’idées nouvelles et de projets innovants. Peu importe leur âge, ce qu’il nous faut ce sont des politiciens capables d’amener le pays à changer d’époque. Si la classe politique se rajeunit incidemment, ce n’est pas plus mal.

Plusieurs formations politiques traditionnelles ont promis un rajeunissement à la population. Croyez-vous à ces promesses ?
Le terme « rajeunissement » est à la mode. Mais je ne crois pas aux promesses des leaders historiques. Vous n’avez qu’à voir comment ils essaient tous d’étendre leur mainmise sur les structures de leurs partis tout en se faisant passer pour des démocrates ouverts aux courants modernes. Il en résulte un déphasage de ces dirigeants, fatigués face aux défis modernes. Les conséquences pour notre développement risquent d’être lourdes.

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