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Eau : des pistes à explorer pour une amélioration - Prem Saddul : «Le problème réside dans une mauvaise gouvernance»

Le taux global de remplissage des réservoirs du pays est actuellement de 40 %.

Des restrictions sur la distribution d’eau seront bientôt mises en place. Cette situation se répète tous les ans pendant la saison sèche. Face à ce manque d’eau, les autorités n’ont d’autre choix que de « fermer les vannes » en attendant des jours meilleurs. Mais quelles solutions pourraient être adoptées pour éviter que ce scénario se reproduise ?

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L’hydrologue, Farook Mowlabaccus, revient sur les enjeux liés à l’approvisionnement en eau et les solutions envisagées depuis plusieurs années. « En 1996, un plan de mobilisation des ressources additionnelles en eau avait été lancé. La construction de cinq réservoirs était envisagée. Le dernier de ces réservoirs devrait être achevé d’ici à 2040 », relate notre interlocuteur. 

Il explique que le réservoir de Midlands a été terminé dans les temps prévus, mais la construction de Bagatelle a pris beaucoup plus de temps, même si elle avait commencé peu après Midlands. Quinze ans après, le réservoir de Rivière-des-Anguilles est toujours en attente. « Si le réservoir de Rivière-des-Anguilles avait été réalisé comme prévu, il aurait permis d’alimenter le sud-est, le sud et le sud-ouest de l’île. Ce qui aurait réduit la pression sur Mare-aux-Vacoas », explique l’hydrologue.

Construction de réservoirs

Farook Mowlabaccus souligne que la situation restera inchangée tant que les réservoirs ne seront pas construits. « La situation est problématique, car les réservoirs qui devaient être construits ne le sont toujours pas près de trois décennies après que le plan a été élaboré », déplore ce dernier. Il évoque également d’autres projets, comme la construction de deux réservoirs dans le nord et l’ouest, mais qui n’ont pas vu le jour jusqu’ici. 

Le plan de gestion des ressources en eau avait initialement estimé que la population augmenterait à 1,6 million, mais celle-ci n’a atteint que 1,2 million. « Si la situation démographique avait suivi les prévisions, les besoins en eau auraient été bien plus importants. Aujourd’hui, la demande est moins pressante pour l’eau domestique, mais elle reste élevée pour les besoins industriels », précise Farook Mowlabaccus.

Le réservoir de Bagatelle était destiné à alimenter Port-Louis, ainsi que les régions de Quatre-Bornes, Beau-Bassin et Rose-Hill pendant la saison sèche. Toutefois, il regrette que ce plan n’ait pas été mis en œuvre. 

Perte d’eau

Selon notre interlocuteur, le taux de perte d’eau est également un sujet de préoccupation, atteignant 62 %. « Si on réduisait cette perte, la situation des réservoirs s’améliorerait, et moins d’eau serait gaspillée. Actuellement, pour 100 gallons envoyés aux consommateurs, de 60 à 70 gallons sont perdus dans les tuyaux, et seulement 30 à 40 gallons arrivent à destination », explique l’hydrologue.

Pour améliorer la situation, il exhorte qu’il est crucial d’agir en amont. « Nous avons besoin d’une gestion plus efficace, pas uniquement au niveau des réservoirs, mais aussi au niveau de l’infrastructure de distribution. Avec le changement d’administration gouvernementale, il espère que des actions concrètes seront prises. Le gouvernement doit donner plus de moyens à la Central Water Authority (CWA) pour réparer les tuyaux défectueux et mettre en place un plan de maintenance », insiste Farook Mowlabaccus.

Hausse du tarif 

Il plaide également pour que la CWA puisse investir dans le remplacement et la réparation des tuyaux vieillissants. « Maurice a un tarif très bas par rapport à l’eau. L’augmentation du tarif permettrait à la CWA d’avoir plus de fonds pour pouvoir réparer et remplacer les tuyaux défectueux. Il n’y a pas de solution miracle. Mais si nous n’agissons pas maintenant pour réparer les infrastructures existantes, la situation continuera de se détériorer. »

Prem Saddul, géomorphologue et ancien Chairman de la CWA, revient sur les défis liés à la gestion de l’eau. Il indique que Maurice, en tant qu’île volcanique, bénéficie d’une géologie particulière, composée de couches perméables et imperméables en surface et en subsurface. Ces caractéristiques favorisent l’infiltration de l’eau et un bon écoulement hydrologique. « Avec une pluviosité adéquate par rapport à nos besoins, ces caractéristiques jouent en notre faveur », explique Prem Saddul. L’île compte 52 cours d’eau et cinq aquifères principaux qui sont rechargés par les eaux de pluie, contribuant ainsi au stockage naturel des eaux souterraines.

Captage d’eau de pluie 

Cependant, dit-il, le paradoxe réside dans le fait que, malgré une moyenne annuelle de 4 000 mm de pluie dans les zones de captage du plateau central, la CWA ne capte que 9 % de cette eau. « Tous les ans, plus de 100 millions de m³ d’eau douce s’écoulent vers la mer », précise-t-il. Ce phénomène de perte d’eau, combiné à une consommation quotidienne élevée de 170 litres par personne, met en lumière un problème structurel dans la gestion des ressources hydriques.

Capacité de stockage

Pour optimiser cette capacité, Prem Saddul plaide pour un meilleur captage et stockage de l’eau de pluie, en s’inspirant de Rodrigues, où cette pratique est plus courante. « Malheureusement, ici, la collecte des eaux de pluie peine à s’imposer. Une véritable éducation est nécessaire sur ce sujet », insiste-t-il. Pour lui, une bonne gouvernance est cruciale pour faire face à la gestion des ressources en eau. « Le problème n’est pas climatique ou géographique, mais une crise de gouvernance », déclare Prem Saddul. Il cite le Fonds monétaire international qui a souligné que les problèmes liés à l’eau à Maurice sont en grande partie dus à une mauvaise gestion.

Stress hydrique ?

Prem Saddul s’oppose à l’idée que Maurice soit déjà en situation de stress hydrique, comme le prévoit le rapport de l’ONU SIDS in Numbers 2017 pour 2025. « Je ne suis pas d’accord pour dire que nous sommes ou serons en situation de stress hydrique. Le problème réside tout simplement dans une mauvaise gouvernance. » 

Il reconnaît que les changements climatiques et les aléas météorologiques ont un impact sur la pluviométrie, avec des variations spatiales et temporelles des pluies. Mais il reste optimiste quant à la possibilité de gérer cette situation, à condition d’avoir une gouvernance efficace et une vision claire pour l’avenir.

Il compare la situation de Maurice à celle d’Israël, un pays qui reçoit 50 % moins de pluie que l’île, mais qui parvient à offrir un approvisionnement en eau potable 24/7 à sa population. Selon Prem Saddul, une bonne gestion des ressources et des infrastructures adéquates permettraient de résoudre les problèmes liés à l’eau, même avec des conditions climatiques moins favorables.

Changement climatique 

Les changements climatiques engendrent des phénomènes comme des pluies torrentielles et des inondations éclair, qui affectent les modèles de ruissellement et d’infiltration. Cependant, les caractéristiques géologiques et morphologiques de l’île offrent un avantage pour la gestion de ces phénomènes. « Notre géologie, notre morphologie et notre gradient hydraulique favorisent un écoulement rapide de l’eau excédentaire à la surface, via nos cours d’eau. De plus, cette eau s’infiltre rapidement vers nos nappes souterraines. »

Toutefois, il met en garde contre l’urbanisation excessive. « Il est impératif de cesser de bétonner Maurice et de privilégier la reforestation au lieu de la déforestation. » Ces actions contribueraient à maintenir l’équilibre hydrologique naturel et à limiter les risques liés aux inondations et à l’évaporation de l’eau.

Eaux usées 

Prem Saddul évoque également la question de la gestion des eaux usées. « Plus de 80 % des eaux usées sont déversées en mer. Avec une technologie appropriée, elles pourraient être réutilisées pour des besoins de l’irrigation », propose-t-il. Il souligne aussi que plus de 20 % de l’eau utilisée dans l’irrigation est perdue. « Il est nécessaire d’investir dans des technologies de gestion de l’eau plus efficaces pour éviter ce gaspillage », conclut-il.

 

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