Cette tendance à voir émerger les enfants de figures politiques dans des rôles de premier plan soulève des questions sur la nature de la démocratie à Maurice. Si certains y voient une preuve de stabilité et de transmission des valeurs, d’autres s’interrogent sur les risques d’un pouvoir trop concentré entre les mains de quelques familles influentes.
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À Maurice, les noms des grandes familles politiques résonnent comme des symboles de continuité et de pouvoir. Cette tendance semble loin de s’essouffler. La récente candidature d’Avineshwar Dayal dans la circonscription n°10, ou encore l’élection d’Adrien Duval au poste de Speaker de l’Assemblée nationale, en sont les dernières manifestations.
Avineshwar Dayal, fils de l’ancien ministre de l’Environnement Raj Dayal, se lance en politique avec l’espoir de marquer de son empreinte la scène politique locale. Sa présence dans la circonscription n° 10 (Montagne-Blanche/GRSE) est un test autant pour lui que pour ceux qui croient en la nécessité d’un renouvellement politique.
De l’autre côté, Adrien Duval, héritier d’une lignée prestigieuse, poursuit la tradition familiale. Fils de Xavier-Luc Duval et petit-fils de sir Gaëtan Duval, il a été choisi pour présider l’Assemblée nationale. Sa nomination à ce poste a toutefois suscité des réactions mitigées : pour certains, c’est la preuve de la solidité d’une tradition politique, pour d’autres, c’est un signe inquiétant de concentration du pouvoir.
L’observateur politique Faizal Jeeroburkhan, estime que « les dynasties politiques ont eu une influence décisive sur les élections ». « Il y a eu 12 élections générales depuis 1967 dominées par deux principales dynasties à tour de rôle en alliance avec d’autres partis dynastiques, sauf en 1982 avec la victoire de l’alliance MMM-PSM », rappelle-t-il.
En 2024, ces dynasties dominent toujours le paysage politique, observe-t-il. Et cela, « malgré le fait qu’elles traînent de nombreuses casseroles et qu’elles se sont donné en spectacle avec des mariages souvent contre-nature, suivis de divorces ahurissants et de remariages avec l’unique but d’accaparer le pouvoir ». Ainsi, pour Faizal Jeeroburkhan, « les dynasties politiques sont perpétuées de par notre Constitution et notre système électoral ».
Contrôle total
Les leaders dynastiques, poursuit-il, agissent souvent comme des dictateurs au sein de leurs partis ; ils ont le contrôle total sur le partage des tickets aux candidats potentiels, la répartition des portefeuilles ministériels, le choix des postes clés, des ambassades, etc. « Ils sont des agents du gros capital ; ils opèrent en concubinage avec les sociétés socio-culturels pour assurer leur survie », souligne-t-il.
Cette domination des grandes familles pose la question de la diversité et de l’ouverture du système politique. Les nouvelles générations sauront-elles apporter du neuf ou resteront-elles figées dans l’ombre de leurs prédécesseurs ? « Penser que le nom d’une famille politique peut nécessairement faire gagner les élections ou se faire élire relève d’une approche simpliste et erronée », affirme l’observateur Abdallah Golamallee.
Génération déconnectée
À Maurice, dit-il, il est connu que certains politiciens, qui arborent le nom d’une famille politique, jouent cette carte pour rappeler aux électeurs les bons souvenirs des anciens du même nom. « Cependant, constate-t-il, comparativement à la génération précédente, la nouvelle génération est déconnectée du concept de dynasties politiques. Les noms de famille en politique ont peu, voire aucune importance, car leurs attentes sont autres. »
Abdallah Golamallee est d’avis que pour la nouvelle génération, « peu importe le nom et l’identité du politicien, l’attente est surtout sur ce que la personne va pouvoir apporter à ses besoins et exigences, en plus d’une société meilleure ».
Quand les gens évoquent le terme « dynastie », déclare le député du Parti travailliste (PTr) Shakeel Mohamed, ils le font par mauvaise compréhension ou par jalousie. « Sir Abdool Razack Mohamed est mon grand-père. Il a été l’un des tribuns du pays, l’une des chevilles ouvrières pour l’avancement du pays », souligne-t-il.
Pour Shakeel Mohamed, « ce n’est pas un héritage. C’est plutôt l’envie de servir son pays et de lutter pour une cause. On consacre son temps aux autres. Ceux qui nous ressemblent de près sont les travailleurs sociaux. Sauf qu’ils ne sont pas rémunérés ».
Du reste, ajoute-t-il, « être ‘le fils de’ est une grande responsabilité, car nous sommes appelés à vivre dans l’ombre de ces géants ». Justement, lui est-il facile ou difficile de marcher dans les pas de son grand-père ou de son père ? « Mon père m’a toujours dit que j’ai le caractère de mon grand-père. La seule différence, c’est que je ne suis pas chef de mon parti. Mon grand-père, quant à lui, était chef de son parti. »
Shakeel Mohamed insiste sur le fait que, pour lui, « la politique est avant tout un devoir. Mais le monde a évolué énormément. La population mauricienne n’est pas pareille. Auparavant, la population s’attendait à ce qu’on lutte pour des causes, mais maintenant, elle s’attend à ce qu’on se batte pour elle ».
Le fils de feu sir Satcam Boolell et leader de l’opposition, Arvin Boolell, souligne que porter un grand nom de famille est avant tout « une fierté, mais il faut le faire avec humilité ». « Ce n’est pas toujours facile de répondre aux attentes de la famille, mais on fait de notre mieux. Lors de mon entrée en politique, je savais que cela s’avérerait difficile. On naît avec un avantage, mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai fait de la politique mon sacerdoce, mais je m’y investis pleinement. La politique m’a donné beaucoup d’opportunités, mais on ne m’a jamais rien offert sur un plateau. C’est un couteau à double tranchant », confie-t-il. Parlementaire depuis environ 36 ans, Arvin Boolell reconnaît la complexité d’être à la hauteur d’un héritage familial tout en forgeant sa propre voie.
Avantage certain
Toujours est-il que l’observateur Faizal Jeerooburkhan pense que « le nom de famille donne un avantage certain sur des candidats moins connus ». « Les électeurs se sentent plus en confiance de voter pour un nom familier. Ces derniers sont souvent soutenus par des bénévoles acquis à leur cause pour des ressources logistiques et organisationnelles. Cela peut faciliter la levée de fonds, l’organisation de campagnes et la mobilisation des électeurs. Ils ont la priorité dans les médias publics, y compris les réseaux sociaux. Ils capitalisent aussi sur le bon bagage politique laissé par leurs prédécesseurs », fait-il remarquer.
Cependant, l’observateur Abdallah Goolamallee ne partage pas cet avis. « À chaque sortie de Navin Ramgoolam, le public doit s’attendre à une rhétorique basée sur l’expression ‘mo papa’. Celui-ci a bâti une réputation politique pendant les 30 dernières années sur ce discours. À l’opposé, Pravind Jugnauth n’évoque guère son père. On pourrait en dire de même pour Arvin Boolell et Xavier-Luc Duval », fait-il remarquer.
Prenant un cas précis de la troisième génération parlementaire, il argue : « Shakeel Mohamed, petit-fils de feu sir Abdool Razack Mohamed, s’est fait élire à trois reprises dans la circonscription où son grand-père fut le leader du parti CAM (comité d’action musulman) et le leader historique de la communauté musulmane. Dans son cas, c’est certainement un atout précieux. À l’opposé, Adrien Duval, petit-fils de feu sir Gaëtan Duval, ne s’est pas fait élire dans la circonscription n° 17 (Curepipe/Midlands) lors des dernières élections, alors que c’était le bastion de sir Gaëtan Duval. » Ainsi, rappelle l’observateur politique, « chaque cas est différent. Il faut tenir compte de plusieurs autres facteurs ».
« Ninport ki fami kapav vinn Premie minis sa pei-la »
Le Deputy Speaker de l’Assemblée nationale, Zahid Nazurally, est revenu sur la dynastie politique du pays lors d’une cérémonie dans le cadre de la fête de l’indépendance au mois de mars. Ses propos ont fait le tour des réseaux sociaux. « Zot kinn fer mwa vinn depite, Lasanble nasional-la pou zot sa. Sinkant-sis-zan lindepandans, sa ve dir ki ninport ki fami zordi kapav vinn Premie minis sa pei-la. Nou dakor ? » a-t-il dit. L’assistance a ensuite manifesté son accord par un « oui ».
« Apre sinkant-sis-zan, vire tourne samem zis de fami vinn Premie minis. Samem mo mesaz pou zordi. Mo espere zot konpran li kler. Si zot anvi li koumsa, li ava kontign koumsa. Sinkant-sis-zan lindepandans fer nou trap pavion, vire tourne ena zis de proprieter. Vre pa vre ? Kisann-la zot trouve 56 banane ? De proprieter, non ? Kan eleksion vini, zot pran zot responsabilite lerla kot nou vinn selebre nou lindepandans ansam. Samem mo mesaz zordi. Mersi », a-t-il déclaré à l’assistance.
Ceux qui marchent dans les pas de leurs pères
La politique mauricienne est marquée par des dynasties familiales, où les fils et filles suivent souvent les traces de leurs pères. Cette tradition soulève des questions sur la diversité et l’ouverture du système politique. Parmi les plus connus, on retrouve :
Pravind Jugnauth
Le Premier ministre et leader du MSM Pravind Jugnauth est le fils de feu sir Anerood Jugnauth, ancien Premier ministre et président de la République.
Navin Ramgoolam
L’ancien Premier ministre et leader du PTr Navin Ramgoolam est le fils de feu sir Seewoosagur Ramgoolam, le premier Premier ministre du pays et considéré comme le « père de la nation ».
Arvin Boolell
Le leader de l’opposition Arvin Boolell est le fils de feu sir Satcam Boolell, ancien ministre de la Culture et ancien ministre de l’Économie.
Adrien Duval
Le Speaker de l’Assemblée nationale Adrien Duval est le fils du leader du PMSD Xavier-Luc Duval et le petit-fils de l’ancien ministre du Tourisme, feu sir Gaëtan Duval. Il avait fait son baptême du feu aux élections générales de 2014. Élu, il est devenu le plus jeune Deputy Speaker de l’Assemblée nationale. Aux législatives de 2019, il a toutefois mordu la poussière.
Joanna Bérenger
La députée du MMM Joanna Bérenger est la fille du leader du MMM et ancien Premier ministre Paul Bérenger. Elle s’est présentée pour la première fois aux élections générales en 2019.
Shakeel Mohamed
Le député du PTr Shakeel Mohamed est le fils de l’ancien ministre du Travail, feu Yusuf Mohamed, et petit-fils de feu sir Abdool Razack Mohamed, leader du Comité d’action musulman. En 2019, il en était à sa cinquième participation aux législatives.
Reza Uteem
Reza Uteem, député du MMM dans la circonscription n°2 (Port-Louis Sud/Port-Louis Central), est le fils de l’ancien président de la République Cassam Uteem. Il est entré en politique en 2005, marchant sur les pas de son défunt frère, le Dr Oomar Uteem.
Fabrice David
Le député du PTr Fabrice David est le fils de l’ancien ministre des Collectivités locales, feu James Burty David. Il a participé à ses premières élections générales en 2019.
Avineshwar Dayal
Avineshwar Dayal, fils de l’ancien ministre de l’Environnement feu Raj Dayal, se jette dans l’arène politique en participant à la partielle au n°10.
Rishon Bhadain
Le fils de l’ancien ministre de la Bonne Gouvernance Roshi Bhadain, qui est âgé de 25 ans, a été élu le 23 novembre 2020 lors des élections villageoises dans la région d’Albion. Dans un forum organisé le 12 septembre 2019 a Petite-Rivière, Roshi Bhadain, leader du Reform Party, avait pourtant fait ressortir qu’il fallait en finir avec ce système de dynasties politiques.
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