Docteur en urbanisme, auteur de plus de 200 articles scientifiques et 14 ouvrages, le Dr Zaheer Allam n’est pas qu’un théoricien. Consultant international pour l’UNESCO et l’ONU, il a contribué au modèle de la « ville du quart d’heure » – un concept urbain révolutionnaire désormais adopté par de grandes métropoles mondiales. Il souhaite mettre cette expertise au service de Maurice.
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Avec un doctorat, trois masters, plus de 200 articles scientifiques et 14 livres publiés, comment vous décririez-vous simplement ? Chercheur en urbanisme, praticien, ou un mélange des deux ?
Je me situe entre deux mondes : celui de la recherche et celui de l’application concrète. Mes travaux ont souvent essaimé dans les politiques publiques, tant à Maurice qu’à l’international.
Prenez la « ville du quart d’heure » : un concept auquel j’ai contribué et qui est aujourd’hui déployé dans plusieurs grandes métropoles, avec des investissements colossaux. J’ai également travaillé avec les Nations unies, apportant des perspectives innovantes dans des instances de décision globale.
En somme, je suis une sorte de passeur – un trait d’union entre la théorie académique et les réalités opérationnelles, toujours animé par l’objectif d’améliorer le cadre de vie urbain.
Consultant pour l’UNESCO, ONU-Habitat et l’UE, entre autres, votre expertise est-elle reconnue et valorisée à Maurice ?
Il est vrai que trouver une plateforme locale pour contribuer a été un défi à Maurice. Bien que petit territoire, le pays présente un paysage politique complexe. Ironiquement, mes opportunités professionnelles se sont majoritairement présentées à l’international, alors que mon cœur aspire à servir mon pays.
Je reste convaincu qu’il existe un énorme potentiel pour régénérer nos villes et repenser l’aménagement du territoire. Mais cela nécessite des opportunités concrètes et, surtout, une réelle volonté politique gouvernementale.
Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever pour le développement urbain durable à Maurice, particulièrement dans un contexte insulaire ?
La planification urbaine à Maurice exige un équilibre subtil entre urbanisation, nature et agriculture. Prenez nos routes : plus de 700 000 véhicules, un chiffre qui illustre notre dépendance automobile devenue franchement insoutenable.
Nos zones urbaines atteignent des densités ahurissantes de 3 000 à 4 000 habitants par kilomètre carré, ce qui impose une planification ultra-précise.
Certes, notre taux de propriété à 90 % est remarquable globalement. Mais nous devons désormais garantir des logements abordables, créer des espaces publics inclusifs, développer des transports en commun fiables.
L’urgence, c’est aussi d’intégrer la résilience climatique et de repenser nos services urbains - non comme des sources de profit, mais comme des biens communs.
Si une « replanification » à long terme devait être envisagée pour Maurice, quelles devraient être les premières étapes clés ? Par où commencer concrètement ?
Au-delà de la planification à long terme, il devient crucial de réviser nos « planning guidelines & policies ». Il n’est plus acceptable de guider nos décisions avec des normes vieilles de deux ou trois décennies, alors que le climat, les technologies et nos modes de vie ont radicalement changé.
Ce n’est pas une mince affaire : chaque secteur est interconnecté. Transformer l’urbanisme implique d’aligner simultanément les stratégies de transport, de l’environnement et de l’économie. Cela nécessitera une refonte complète des processus, une coordination intersectorielle et, surtout, une acceptation du changement. Une réforme urgente, et indispensable.
Une volonté politique forte est essentielle pour de telles transformations. Quels sont, selon vous, les acteurs clés qui doivent être mobilisés pour réussir ce changement ?
Le contexte politique actuel offre une opportunité unique pour des transformations audacieuses. Avec une vision claire et l’ouverture du gouvernement à de nouvelles idées, nous pouvons rassembler tous les acteurs : gouvernement, collectivités locales, experts et citoyens.
Le développement durable repose aussi sur la participation des citoyens. Comment Maurice pourrait impliquer davantage ses habitants dans la co-construction de ses villes ?
Il faut adopter une approche radicalement inclusive. La technologie peut devenir notre allié : permettre à chaque citoyen de s’exprimer, de suivre l’évolution des projets urbains. Imaginons des assemblées citoyennes véritablement représentatives, avec une autonomie réelle sur les décisions locales.
Pourquoi ne pas intégrer les enjeux urbains dans nos écoles, faisant de chaque génération un acteur de notre vision collective ? Mais le nerf de la guerre reste la confiance : des leaders qui écoutent et traduisent cette écoute en actions concrètes.
Je suis convaincu que Maurice a l’échelle parfaite pour devenir un laboratoire d’innovation urbaine, transformant nos espaces en véritables moteurs de changement social, environnemental et économique.
Vous avez contribué au concept de la « ville du quart d’heure », « I5 minute City » en anglais. Pouvez-vous expliquer brièvement ce modèle ?
En collaboration avec Carlos Moreno, de la Sorbonne, j’ai contribué à ce concept révolutionnaire : rendre accessibles la majorité des services urbains en 15 minutes à pied ou à vélo. L’idée ? Réorganiser stratégiquement l’accès aux services essentiels - bibliothèques, banques, lieux de culte, épiceries.
Notre recherche suscite un intérêt mondial. L’ONU-Habitat recommande désormais ce modèle à toutes les villes, avec des investissements massifs. La pandémie a amplifié sa pertinence, révélant le besoin crucial de connexion humaine et de diversité locale.
En quoi pourrait-il être pertinent pour des villes comme Port-Louis ou Curepipe, voire des villages comme Triolet, Goodlands, Flacq et Mahébourg ?
Bien que Maurice soit plus petit que les métropoles internationales, le concept de la « ville du quart d’heure » peut s’appliquer à l’échelle nationale. Aujourd’hui, on doit trop souvent traverser des villes entières pour des services de base - un modèle ni inclusif ni durable.
Les études sont claires : environ 60 % de nos déplacements concernent des besoins quotidiens. En créant des micro-centres à Triolet, Flacq ou ailleurs, avec services essentiels accessibles en 15 minutes, nous pourrions réduire les trajets automobiles de 10 à 30 %.
À Maurice, où les frontières entre espaces urbains et ruraux sont floues, il est essentiel d’adopter une stratégie nationale intégrée.
Notre objectif : des espaces plus fonctionnels, résilients, qui améliorent significativement la qualité de vie de tous les Mauriciens.
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