
Le Dr Om Nath Varma, sociologue et pédagogue, décrypte les multiples visages de la pauvreté à Maurice. Matérielle, sociale… banalisée, elle révèle les failles de notre modèle de société. Il plaide pour une prise de conscience collective et des responsabilités partagées.
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À partir de quand est-on considéré comme pauvre ? Et qui décide ?
La définition varie selon les contextes. On est considéré comme pauvre lorsqu’on ne peut pas satisfaire ses besoins fondamentaux : se nourrir correctement, se loger dignement, bénéficier d’un minimum en matière de santé et d’éducation, accéder à un niveau de loisirs – des éléments importants pour l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
À Maurice, ce sont souvent les institutions de l’État, comme le ministère de la Sécurité sociale ou la Banque de Maurice, qui fixent les seuils de pauvreté selon des critères économiques.
Cependant, ces seuils ne reflètent pas toujours la réalité vécue. La pauvreté ne se mesure pas uniquement en roupies : elle se vit aussi à travers l’accès limité aux opportunités, à la dignité, au respect. Les personnes en situation de pauvreté sont souvent privées de leur estime de soi, ce qui les rend encore plus vulnérables.
Je me demande parfois si la pauvreté n’est pas un outil, consciemment ou inconsciemment utilisé par des groupes privilégiés pour servir d’autres intérêts, parfois même politiques»
La pauvreté est-elle avant tout une condition matérielle, ou un regard social ?
Elle est d’abord matérielle, bien sûr : ne pas avoir assez pour vivre correctement. Mais elle devient aussi un regard social, une étiquette. Une personne pauvre n’est pas seulement en manque d’argent, elle est souvent perçue comme « inférieure », « assistée ». On finit par la pousser à se sentir responsable de son propre sort.
Ce regard social peut être encore plus destructeur que la privation elle-même, car il marginalise et enferme les individus dans un statut social figé – ce que les sociologues appellent une « sous-classe », une catégorie inférieure même à celle définie par les classifications professionnelles ou de classe sociale.
Est-ce qu’on a fini par normaliser la pauvreté dans le paysage mauricien ?
D’une certaine manière, oui. La pauvreté est devenue un élément du décor, notamment dans certaines régions connues pour être « défavorisées ». Elle est intégrée aux discours politiques, aux statistiques, aux reportages des médias.
Sauf lorsqu’elle est extrême, la pauvreté n’est plus perçue comme une urgence. Elle suscite même l’idée qu’un certain degré de pauvreté est inévitable, voire acceptable.
C’est problématique, car cela renforce l’idée que les pauvres sont responsables de leur situation, en ignorant les causes sociales et structurelles plus profondes.
Parler de pauvreté, c’est remettre en question la manière dont nous répartissons les ressources, les opportunités, la justice»
Qu’est-ce que notre société considère comme « acceptable » pour les pauvres, et qu’est-ce que cela dit de notre modèle social ?
Souvent, on considère qu’un pauvre doit « se contenter » du minimum : aides sociales, logements précaires, emplois mal payés.
L’idée implicite est qu’il faut les « aider », mais sans trop perturber l’ordre établi. Cela reflète un modèle social dans lequel la pauvreté est tolérée tant qu’elle ne dérange pas. Tant qu’elle reste invisible.
Sauf lorsqu’elle est extrême, la pauvreté n’est plus perçue comme une urgence»
Pourquoi le mot « pauvreté » dérange-t-il autant ?
Parce qu’il renvoie à un échec collectif. Il expose les failles de notre société. Parler de pauvreté, c’est remettre en question la manière dont nous répartissons les ressources, les opportunités, la justice.
C’est aussi reconnaître que, malgré le progrès économique, des personnes sont laissées-pour-compte. Le mot dérange car il exige une réponse, une responsabilité – non seulement de l’État, mais aussi de chacun de nous.
La pauvreté révèle parfois un engagement de façade. Certains prétendent être du côté des pauvres, tout en utilisant leur cause pour accuser le système ; une posture séduisante, même pour les pauvres eux-mêmes.
Le rôle des leaders communautaires, et même des autorités religieuses, devrait être d’inculquer le sens des responsabilités et la discipline dès le plus jeune âge.
On pourrait réduire la pauvreté à long terme si l’on cessait de la considérer uniquement comme un échec de l’État, et si l’on s’efforçait sincèrement d’aider les personnes concernées à adopter des comportements et des mesures pour briser le cycle de la pauvreté, plutôt que de l’aggraver pour la génération suivante.
Prenons l’exemple de familles nombreuses qui perpétuent ce cercle vicieux. Les pauvres sont souvent laissés à eux-mêmes, prisonniers d’un piège qu’on aurait pu les aider à éviter.
Je me demande parfois si la pauvreté n’est pas un outil, consciemment ou inconsciemment utilisé par des groupes privilégiés – y compris ceux qui prétendent la combattre – pour servir d’autres intérêts, parfois même politiques.

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