Ex-directeur de Programmes aux Nations unies, président d’Action Civique dans les années 1970 et membre de Democracy Watch Mauritius depuis 2008, Michael Atchia regrette que les grandes formations politiques ratent le coche en faisant miroiter le superficiel aux électeurs, plutôt que de proposer des stratégies et orientations qui pourraient propulser le pays vers un nouveau palier de développement.
Quel est, selon vous, le principal enjeu pour Maurice dans les années à venir ?
Fort de mon expérience aux Nations unies, pour moi, le principal enjeu pour Maurice est de penser à long terme, c’est-à-dire comment gérer les 5, 10, 20 prochaines années. Dans un contexte mondial, régional et même local de changements climatiques, de réchauffement de la planète, de montée du niveau de la mer, de fortes inondations et de sécheresses à prévoir, de guerres, etc., qui affectent et affecteront toutes les activités humaines, où sont les propositions concrètes et projets tangibles ?
Nous sommes si loin des solutions proposées ces jours-ci, telles que l’augmentation des salaires avec de l’argent non disponible ou l’internet gratuit, qui ne semblent pas adéquates. Il faut une politique, des stratégies et des propositions d’actions résolument tournées vers l’avenir, dans le respect du bien commun. Kot sa politik-la ?
Pensez-vous que l’argent jouera un grand rôle durant la campagne, comme certains le craignent ?
Oui, et c’est dommage. L’éducation des citoyens/électeurs pour des choix de candidats valables et de programmes politiques bien élaborés peut les guider dans leurs choix et réduire l’importance de l’argent, des cadeaux, des « briani parties », etc.
Le principal enjeu pour Maurice est de penser à long terme, c’est-à-dire comment gérer les 5, 10, 20 prochaines années»
Voyez-vous une évolution dans les promesses électorales des partis par rapport aux élections précédentes ? Ces fameuses promesses n’ont-elles pas pris le pas sur l’essentiel, c’est-à-dire des propositions sur le développement de Maurice ?
Par exemple, l’autosuffisance énergétique et l’autosuffisance alimentaire, y compris la fourniture d’eau, sont cruciales pour l’avenir, pour nos 1,3 million de citoyens et nos 1,3 million de visiteurs annuels attendus dans le futur. Où sont les propositions concrètes, bien étudiées, sur des bases scientifiques solides, de chaque alliance/parti voulant gouverner Maurice entre 2025 et 2029-2034 ? Les sociétés modernes, dont la nôtre, n’ont pas encore pleinement réussi la transition vers l’ère des énergies renouvelables, ce qui nous rend totalement vulnérables à tout arrêt soudain de l’approvisionnement en carburants fossiles.
Gouverner, c’est prévoir ! Les pays bien gouvernés ont des réserves stratégiques de carburants couvrant leurs besoins pour plusieurs mois, voire plus d’une année ou deux. Ici, à Maurice, petit État insulaire, nous avons des réserves pour seulement 15 à 30 jours, en choisissant les meilleurs prix, sans réaliser que le marché du pétrole n’est presque plus un buyer’s market. Dans les années à venir, nous risquons de supplier ou quémander les vendeurs potentiels pour obtenir des cargaisons, même si c’est à des prix élevés, car le pétrole, ressource non renouvelable, se raréfiera.
Il est inutile de rappeler que sans produits pétroliers (essence, gaz, diesel, huile lourde), il n’y a pas de transport, pas de services essentiels gouvernementaux ou privés (hôpitaux, banques, surfaces commerciales, etc.). Donc, plus de shopping, ni de possibilité pour les producteurs d’écouler leurs produits, excepté dans le voisinage immédiat, des coupures drastiques d’électricité, plus de gaz ménager pour cuisiner, pas d’eau en raison de l’impossibilité de pomper, pas de transport par autobus ni par voiture, usines fermées.
Seules rouleraient les voitures électriques si l’approvisionnement en énergie électrique était, par bonheur, maintenu. Mais notre parc de véhicules électriques est encore loin d’être suffisant. Le métro et la bicyclette pourraient éventuellement être d’une certaine aide. Peu ou plus de vols aériens. Maurice serait donc coupé du reste du monde. Le tourisme serait au point mort. Si l’électricité venait à manquer, plus de journaux ni d’internet !
Il n’y a pas de match entre les différentes alliances, mais bien entre les candidats et nous, les électeurs et décideurs»
Il n’y a donc pas eu de prise de confiance ?
Politiquement, malgré la multitude d’articles rédigés, en vain, depuis des années sur le thème de l’autosuffisance énergétique, et les multiples déclarations d’intentions de nos dirigeants et des gouvernements qui se succèdent à la tête du pays, nous sommes toujours très fortement dépendants du pétrole. La transition vers les énergies renouvelables, c’est-à-dire des combinaisons d’énergies solaire, éolienne, géothermique, et autres, n’a pas démarré à l’échelle requise. Seule une réelle rupture de stock de carburants, comme cela s’est déjà produit au Nigéria et au Zimbabwe, pourrait faire comprendre à tous, et de plein fouet, notre stupide dépendance sur cette ressource non renouvelable vitale qu’est l’énergie fossile, que nous ne produisons pas.
En attendant, bravo à ceux qui, graduellement, développent l’énergie solaire chez nous. Quintuplons nos efforts en faveur de l’éolien et de l’énergie verte, de l’habitat écologique, du transport de masse sur rail, et réduisons progressivement les déplacements inutiles, comme les longues distances entre lieux de résidence et de travail à cause d’une planification peu professionnelle.
À court terme, et en priorité, constituons, au coût estimé à près d’un milliard de roupies, des réserves stratégiques de carburants de divers grades, pour au moins six mois d’utilisation. Privatisons à nouveau l’importation et le stockage des carburants. Libéralisons les prix de vente. Rétablissons la compétition par la concurrence dans ce secteur. Les producteurs locaux d’éthanol pourraient favoriser cette concurrence en vendant cette commodité, soit en la mélangeant avec de l’essence, soit en la vendant, comme au Brésil, à l’état pur.
Les réponses à long terme sont évidemment bien connues et nous sommes déjà engagés sur ces voies avec le solaire, l’éolien, l’hydro et le bio, plus le métro (bravo Maurice !) et une flotte conséquente de véhicules électriques. Mais trop lentement pour prévenir une panne majeure. Il faut accélérer et politiquement interdire tout développement qui dépend du pétrole importé, y compris l’importation de véhicules à essence.
Sentez-vous qu’il y a un intérêt réel des électeurs pour ces élections générales ?
Un très fort intérêt dans tous les milieux : celui des affaires, de l’industrie, du service civil, à la campagne comme en ville. La grande interrogation est de savoir quand ? Le 17 ou 24 novembre 2024, juste après la fin des examens SC/HSC ?
Nous sommes fiers d’avoir eu, et de pouvoir nous offrir encore une fois en 2024, des élections libres, justes, transparentes, crédibles et surtout pacifiques. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays, où les élections générales sont source d’inquiétude, de violence, de résultats truqués, etc., comme récemment lors de l’élection de Nicolas Maduro au Venezuela.
Il y a aussi un grand intérêt pour cet exercice que propose Democracy Watch Mauritius à chaque élection, à savoir l’évaluation de la performance de nos députés et ministres de ce mandat et des mandats précédents. Et, bien sûr, « sans 5 crédits, pas d’admission en HSC ! ». Suivi de zéro vote pour une réélection à ceux dont la performance est déficiente !
Les débats d’idées sur les projets de société et les propositions pour les cinq ans à venir sont les critères sur lesquels les citoyens doivent évaluer et choisir»
Plusieurs sondages récents montrent une certaine lassitude des Mauriciens vis-à-vis des partis traditionnels. Comment l’expliquer et quelle serait la solution ?
La solution est de rappeler la nature des élections générales : les élections générales ne sont pas régies par un genre de « Kraz so Dizef Act », mais bien par une Representation of the People Act. Le jeu démocratique est sérieusement compromis par ces comparaisons journalistiques de combats, d’hostilités, de guerre, de courses de chevaux, de matchs de foot, de qui possède et dépense le plus d’argent, etc. Souvenons-nous que les enjeux sont les qualités humaines, la compétence, l’honnêteté des candidats, le contenu des programmes gouvernementaux pour une meilleure représentation des citoyens.
Dans la pratique, les débats d’idées sur les projets de société et les propositions pour les cinq ans à venir sont les critères sur lesquels les citoyens doivent évaluer et choisir. Il n’y a pas de match entre les différentes alliances, mais bien entre les candidats et nous, les électeurs et décideurs. Telle est la nature du choix démocratique. Les castes, officiellement abolies par la République indienne, persistent encore là-bas et ici, à Maurice. L’égalité des chances doit rester le pilier de toute action politique dans une société multiculturelle comme la nôtre.
L’objectif des élections législatives est de permettre à l’électorat de désigner des députés, des représentants du peuple, mais surtout des législateurs, chargés de la mise à jour de la législation en vigueur. Les députés majoritairement choisis et désignés par l’électorat souverain formeront le gouvernement du jour et administreront le pays en notre nom. Les députés de l’opposition devront assurer le rôle de chiens de garde et défendre les intérêts du peuple, nos intérêts.
Promesses et réalisations : les électeurs doivent évaluer le potentiel et la compétence des candidats. Ils doivent voter pour ceux qu’ils considèrent, en leur âme et conscience, comme les trois meilleurs candidats, sans tenir compte d’aucune autre considération. Votez pour les trois meilleurs candidats. Aux candidats : réfléchissez avant de parler. Vous aurez à « walk your talk », car beaucoup de citoyens, dont nous, sommes engagés dans un processus « marke garde » !
Pensez-vous que des formations comme le Reform Party ou En Avant Moris pourraient surprendre lors de ces élections ?
À la Macron en 2017 et 2022 en France avec un nouveau parti, En Marche, puis La République en Marche ? Non, ce ne sera pas pour 2024.
Pour avoir une chance d’être élus et travailler pour le peuple, ces nouveaux partis auraient intérêt à se joindre à une des alliances, mais avec leurs propositions de réformes. Dans un monde en crise, le choix serait de confier la gouvernance à des hommes d’expérience comme Pravind Jugnauth, Navin Ramgoolam, Paul Bérenger ou Xavier-Luc Duval, et non pas se mettre entre les mains d’un débutant ou d’une débutante ! Sinon, nous risquons, en confiant le pays à un nouveau parti pas encore bien défini et sans expérience, de nous retrouver avec comme résultat En Arrière Moris.
Dans un monde en crise, le choix serait de confier la gouvernance à des hommes d’expérience comme Pravind Jugnauth, Navin Ramgoolam, Paul Bérenger ou Xavier-Luc Duval»
Voyez-vous une évolution dans le comportement et les attentes des électeurs par rapport aux précédentes élections ?
Oui, les électeurs sont beaucoup plus demandeurs de propositions concrètes, d’actions et de projets tangibles, avec une description claire des résultats à venir. On voit la fin de l’ère du « nou ki la », « vot pou nou, nou finn touzour defann zot ». Les électeurs exigent des résultats concrets et peut-être même des time-tables pour la réalisation de ces promesses.
Quel impact auront les réseaux sociaux sur la campagne électorale actuelle ?
Très grande. D’ailleurs, Trump et Harris (aux États-Unis), Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth, et d’autres encore, ne peuvent absolument pas ignorer ces réseaux, qui ont déjà remplacé les affiches et les colleurs d’affiches. Les nouveaux colleurs d’affiches sont les techniciens qui feront en sorte que leurs poulains soient présents, bien présents même, avec des messages et un visage crédible sur Facebook, X (anciennement Twitter), Google et d’autres plateformes.
Quel est votre avis sur la participation des jeunes aux élections ?
D’après mes discussions et rencontres avec des étudiants, tant au niveau secondaire qu’universitaire, il y a un grand intérêt et une envie de participer. Certains se demandent encore comment s’impliquer au-delà des associations d’étudiants et des conseils des élèves.
Je ne pense pas que la démocratie à Maurice soit en danger. Nous avons des élections libres, justes, transparentes et pacifiques»
Certains observateurs disent que la démocratie à Maurice est en danger. Partagez-vous ce sentiment ?
Du point de vue de Democracy Watch, je ne pense pas que la démocratie à Maurice soit en danger. Nous avons des élections libres, justes, transparentes et pacifiques. N’oublions pas que nous sommes le numéro 1 sur 54 États africains en termes de démocratie. Y a-t-il une nécessité de renforcer la démocratie ? Oui, mais utilisons plutôt le terme améliorer, dont toute organisation, structure ou système a toujours besoin. Je pense, par exemple, à l’introduction d’une deuxième Chambre, un Sénat, ou la représentation proportionnelle en remplacement du First Past The Post.
Quelles sont vos attentes concernant le taux de participation ?
Au vu des enjeux pour la bonne gestion du pays pour les prochaines années qui pourraient être difficiles, je m’attends à une participation d’au moins 90 %. Il est crucial que chacun prenne ses responsabilités et aille voter.
Quel est votre avis sur l’utilisation des sondages d’opinion dans cette campagne ?
Les sondages, comme ceux d’Afrobarometer pour lesquels j’ai le plus grand respect, sont très utiles pour éclairer les citoyens et les électeurs. Par exemple, un sondage sur « Avez-vous l’intention d’aller voter aux prochaines élections ? » et qui révélerait, disons, 60 % seulement de OUI, pourrait bien influencer beaucoup à prendre la résolution : « Mwa mo pou al vote. Mo drwa sa, mo devwar sa. »
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